Par Anne Maurellet
Le Rocher de Palmer, samedi 19 octobre 2019.
Yaron Herman , piano
Or Bareket, contrebasse
Ziv Ravitz, batterie
Yaron a fermé les yeux dès le premier accord de Our Lover pour que cela ré(rai)sonne en nous. Ses doigts cherchent l’ à-peine, juste une sensation que doucement la batterie caresse. Des notes s’élèvent du subtile brouillard et la contrebasse les accueille. Nous sommes sur une île et/ou nous naviguons en pleine mer, il est question de roulis, de vagues discrètement déferlantes. C’est une danse spirituelle comme une naissance progressive, une respiration qui se déploie. Il en dégage un thème, quelques notes suffisent, Or Bareket le sait : reproduire l’univers proposé par le pianiste, entendre, respecter certainement, composer au plus près.
Le trio revient aux sources. C’est un homme de cheminement, Yaron. Ce n’est pas à proprement parler un retour, c’est creuser avec finesse pour approcher l’origine, ici, le swing dans sa plus simple expression. Un Keith Jarrett contemporain en quelque sorte…
Il préfère le fil du funambule, fragile.
Il tente l’accord répété : créer, configurer. Les deux morceaux nous ont emmenés au cœur de cet espace. Dans Song of degrees, Yaron laisse Or fouiller à son tour, traquer encore avec habileté le swing ; Ziv mène la danse, le tempo est serré. Yaron semble vouloir faire émerger quelques figures -spectres?- quelque chose de Debussy s’immisce parfois.
Ce qu’il y a de beau, c’est de traduire la fragilité de la musique et la passion de sa construction qui prend le risque de l’immédiat, des échos des compagnons, de leur étonnement.
Or et Ziv assument, Yaron explore, c’est un sensible cérébral ou le contraire, qu’importe, il remet en jeu cet assemblage, si personnel… Sensualité raffinée. Ne pas se fier aux apparences : le presque pas est toujours d’une délicatesse somptueuse.
Pour Still awake, fermez les yeux, avancez dans le coton en le touchant par petites palpations rapides, à peine, à peine. Toujours se maintenir au plus près de l’infini-tésimal ! Il suffit de se laisser envahir par la richesse des sensations feutrées et puis la construction de cette charpente qui monterait vers nulle part ?
Ils ont choisi tous trois la même nudité pour broder avec la plus belle sobriété, la plus précise. La batterie a relancé Yaron qui affine davantage encore l’ouvrage. L’air passe au travers et magnifie cette transparence.
A la faveur du tabouret qui s’est mis à grincer un peu -sic- Ziv agace sa batterie pour engager une charmante bataille avec le piano. Bien sûr qu’ils « jouent », c’est la force du live… La balle est dans le camp de Yaron qui dribble pour chauffer ses camarades. Pari réussi. Le batteur danse sur les caisses et les toms. On glisse vers une sorte de buggy. Le troisième complice arrive en courant à la rescousse. Un babillage ininterrompu s’est engagé : délicieuse logorrhée musicale.
Quelques gouttes de pluie chaude, c’est un paysage mental, comme si les éléments eau-air nous entouraient au travers de la musique, le rythme étant là pour faire battre le cœur autrement, pour que le corps se meuve dans une harmonie colorée, vivante, avec bonheur et par instants, espoir. Si on observe bien, on ne respire plus de la même façon.
La batterie est un petit cheval lancé au galop, mais avec la précision de la gestuelle du cadre noir de Saumur !…Ziv a commencé en solo, Yaron ponctue avec Or et pince les cordes du piano à rendre jaloux le contrebassiste. Ne pas oublier la joie, le plaisir qu’ils ont à se surprendre, bloquer le son du piano pour engager la batterie à rappeler son bruit heurté.
C’est le signe « infini » entre ces trois-là ! Peut-être que c’est ça aimer. Partager la musique. Et garder le jeu, la récréation des âmes attentives !
Et n’oubliez pas, bientôt le festival jazz à Caudéran organisé par Action Jazz !
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