En ce triste dimanche après-midi bruineux et venteux il faut vraiment avoir envie de sortir de son cocon. Cette envie il faut qu’elle soit provoquée par quelque chose qui en vaille la peine, ça tombe bien j’ai ce qu’il me faut. Un concert du Thomas Bercy trio, en plus au Café du Sport d’Uzeste, en plus avec un invité de marque, en plus avec un répertoire inédit, en plus en étant sûr d’y retrouver des amis, ça agit comme un aimant.
Je le saurai à la fin, c’était par-dessus le marché la dernière occasion de voir le Café du Sport avant les travaux qu’entreprend Betty qui vient d’y succéder à Marie-Jo, sa mère. Ça commence aujourd’hui !
Musicalement ce rendez-vous est toujours un beau moment. Le Collectif Caravan animé par Cécile Royer et Thomas Bercy a pour idée de fidéliser un public jazz dans le Sud Gironde et bien sûr au-delà. Ainsi pour ne pas le lasser, et eux aussi par la même occasion, ils proposent à chaque fois un invité et un répertoire différents ; c’est tout à leur honneur et à notre bonheur.
Aujourd’hui l’invité est le saxophoniste Thomas Koenig et le répertoire celui de son collègue disparu en 2001, Joe Henderson. La rencontre entre les deux Thomas, Bercy et Koenig est émouvante à raconter. Il y a quelques mois lors des obsèques d’Olivier Normand, lui aussi saxophoniste, et frappé par la maladie dans la fleur de l’âge, ses amis musiciens ont joué pour lui, une sorte de jam. C’est là que le premier, impressionné, a découvert le second et lui a proposé de travailler ensemble. Clin d’œil de la vie, me dit le pianiste, je me faisais un nouvel ami le jour où j’en perdais un.
Thomas Koenig possède déjà malgré son jeune âge un beau CV de musicien. Après huit ans de flûte traversière classique et n’en pouvant plus ce Toulousain se tourne à 14 ans vers le rock et la guitare électrique, traverse même une période punk, puis se prenant très vite de passion pour le blues découvre un bluesman un peu particulier, Roland Kirk multi instrumentiste à vent notamment à la flûte le premier instrument de Thomas. « C’est ça que je veux faire ! » Et il le fait, partant même au prestigieux Berklee College of Music de Boston dont il est diplômé. Auparavant il est passé au saxophone et a joué beaucoup de latino et de salsa dans la ville rose. Retour à Paris pour jouer mais aussi étudier l’écriture classique et la composition. De là la composition de musiques pour le théâtre, les documentaires (Thalassa, Faut pas Rêver…) et de très nombreuses collaborations avec par exemple Sony Troupé, Ambrose Akinmusire, Felipe Cabrera… Un parcours déjà dense. Thomas Koenig possède un son très pur au sax ténor, du lyrisme sans esbroufe, un phrasé limpide et une utilisation de toutes les tonalités de l’instrument. En ce sens le répertoire de ce soir lui convient parfaitement. Il est de plus spectaculaire à voir jouer par son engagement physique assez sportif – ça tombe bien au Café du Sport – souvent en flexion sur ses jambes. Et j’ai compris que mes amies présentes l’avaient trouvé charmant… Attention, pas de harcèlement mesdames !
Pas commode à jouer ce répertoire de Joe Henderson, truffé paraît-il de pièges, des nombres de mesures bizarres, 10, leur nombre évoluant au fil des morceaux, bref une extrême concentration pour les musiciens. Pour les oreilles du public une musique finalement accessible, mélodieuse et riche, pleine de rebondissements.
Pas facile alors pour les musiciens surtout comme le batteur Philippe Gaubert appelé deux jours avant pour remplacer Gaëtan Diaz qui vient de perdre son père, grand musicien lui aussi. On est avec toi Gaëtan. Philippe heureusement commence à être un vieux de la vieille et le répertoire de JH il le connaît, on va en avoir la preuve ; belle prouesse quand même que de s’être adapté si vite. A la fin d’un titre alors que je venais d’écrire sur mes notes le nom d’Elvin Jones tant le frappé lourd sur les toms me faisait penser à lui, Thomas Bercy l’a présenté comme Elvin Gaubert. Un compliment.
Les deux titulaires des chaires piano et contrebasse du lieu ont eux aussi bien sûr un réel mérite car ils ont bien bossé. Ça s’entend.
Jonathan Hédeline a un son de plus en plus rond et la puissance nécessaire à ce genre de musique. Son velouté dans les ballades et les chorus qu’il y a pris, comme dans « Search for Peace » est un régal. Sur « The Countdown » c’est un exercice de métronome palpitant qu’il nous a offert ; belle endurance sans faiblesse aucune !
Thomas Bercy tantôt McCoy tantôt Mulgrew c’est un spectacle permanent, un engagement total au service de la musique. Lui aussi avec un grand lyrisme est capable de distiller des gouttelettes ou de provoquer des orages, le thème n’étant jamais loin quand il semble parti ailleurs. Ses choix – et donc ses goûts – musicaux sont toujours originaux nous sortant des sentiers battus et rebattus. On sort toujours plus riche musicalement de ses concerts.
Toujours cette belle ambiance ici, public de tous âges – ça change – des enfants qui jouent eux aussi, un chien bien sage, des galettes, un vrai bar à l’ancienne, du bric à brac comme chez soi, on se sent bien. Vivement les beaux jours quand-même qu’on s’installe sous la tonnelle !
Il est 20 heures, la nuit est tombée depuis longtemps, la pluie tombe elle depuis trop longtemps, je quitte Uzeste presque à regret en passant à côté de la massive Collégiale dont le clocher démesuré agit comme un phare dans la brume.
Allez, la soirée mérite de se poursuivre si du jazz je ne veux pas passer au blues, alors direction Bordeaux et le Molly Malone’s. En plus ce soir ça manquait un peu de musiciennes et là-bas il y en a trois en ce moment : Rachael Magidson et Laure Sanchez des Sophisticated Ladies accueillent une « ancienne » du groupe Valérie Chane-Tef. Un peu de soleil pour finir cette journée pluvieuse comme dira Jean-Gabriel. Tiens, Philippe Gaubert m’a suivi.
Set list Joe Henderson :
Jinrikisha (1963)
Serenity (1964)
The Countdown (1988)
Search for peace (1967)
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If (1968)
Out of the Night (1963)
Inner Urge (1966)
Beatrice (1987)
N’oubliez pas le tremplin samedi soir !