par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat.

Soustons, mars 2023.

Lundi 20 mars

Conservatoire des Landes

Arrive pile avec le printemps le festival South Town 2023 et ça se passe au Pôle Sud. Pas en Antarctique rassurez-vous, mais à Saint -incent de Tyrosse dans ce beau lieu de création et de formation. Une antenne du Conservatoire des Landes y est hébergée avec notamment les classes de musiques actuelles et de jazz et ce soir ce sont ses grands élèves qui nous offrent un concert. Ils seront neuf à nous proposer un répertoire très varié et bien choisi. On entendra ainsi Wayne Shorter avec « Fee-Fi-Fo-Fum », Charlie Parker et « Donna Lee », Bill Evans, Charles Mingus et son « Goodbye Pork Pie Hat », Monty Alexander et un arrangement très latino du « Killer Joe » de Benny Golson et d’autres titres. Un concert de grande qualité qui illustre celle de l’enseignement prodigué notamment par Didier Ballan le directeur des classes jazz et Guillaume Schmidt, présents ce soir.

Auparavant Thierry Olié avait proposé une conférence sur le piano jazz. Le piano jazz a commencé bien avant le Ragtime et n’a jamais cessé d’évoluer jusqu’à aujourd’hui. L’implication des grands jazzmen sur cet instrument a fait que le piano est toujours-là avec une grande présence tant dans les mélodies que les accompagnements. Et comment peut-on ignorer l’importance de la main gauche pour soutenir la dextérité de la main droite ? Avec sa maîtrise du piano, Thierry Ollié alterne les démonstrations avec la projection de photos des pianistes qui ont fait bouger le piano. Les changements arrivent avec au fur et à mesure de l’évolution de la société, de la prise de donscience du besoin de se révolter contre la racisme ou alors les changements de génération et le développement des technologies

Mardi 21 mars

Tcha Limberger trio invite Adrian Cox

Trois chaises, une contrebasse, quelques spots et pas un seul ampli ou micro, (sinon deux pour la captation ). Une sobriété absolue pour ce concert purement acoustique dans cette pourtant grande salle de près de 500 places. On ne sait pas encore que ça va être éblouissant. Hormis Sébastien Girardot, le contrebassiste franco-australien, ou l’inverse, je n’ai jamais vu les autres, je les découvre même. Tcha Limberger d’abord, ce manouche né en Belgique – ça ne vous rappelle pas quelqu’un ? – multi instrumentiste mais ce soir seulement (!) au violon et au chant. Il est arrivé sur scène guidé par le guitariste rythmique anglais Dave Kelbie, Tcha est en effet aveugle, ce qui ne l’empêche pas de parler une dizaine de langues européennes. Avec eux, la gravure de mode mais surtout brillant clarinettiste, Adrian Cox dont le ramage vaut largement le plumage, une telle puissance dans le jeu de clarinette, un tel lyrisme très musical, j’ai rarement entendu ça.

Un concert de Tcha Limberger c’est un voyage, lui a tellement bourlingué. Ce n’est pas seulement du jazz manouche, bien sûr Django sera là, il a tellement compté pour ces musiciens, bien sûr cette musique venue des Balkans est présente avec le style Magyar Nota du violon, mais on se transporte aussi à New Orleans avec Fats Waller, on rencontre le blues, les standards comme « After you’re gone » et, surprise, à l’initiative d’Adrian Cox qui y a séjourné, le Mexique ; ne manquaient que les Mariachis ! Tcha joue du violon, remarquablement, il chante aussi très bien et parfois fait les deux en même temps (en harmonie décalée d’une tierce m’ont dit les spécialistes) notre oreille ne distinguant plus les cordes, de l’instrument et vocales, les unes des autres ; il siffle même de la bouche… et du violon, incroyable. Humour, gentillesse, histoire de sa musique dans ses interventions, il est aussi passionnant à écouter parler. Avec Adrian Cox c’est seulement la deuxième fois qu’ils jouent ensemble, c’est Dave Kelbie qui a proposé la collaboration et il a tellement bien fait. Pour cette musique la clarinette a plus que sa place, elle est les Balkans et avec un tel instrumentiste c’est extraordinaire. Qu’à la fin de son premier chorus, dès le premier morceau, le public lui fasse une telle ovation est révélateur. L’enthousiasme ne baissera pas de tout le concert, deux fois une heure, généreux. Et la rythmique ? Un festival, un tempo métronomique bien entendu, mais surtout un son chaud mêlant la contrebasse à la guitare, parfois en pompe mais pas toujours, créative aussi. Ce son global n’arrive pas par hasard, Il n’y a que des instruments en bois vous avez remarqué, ce matériau qualifié de chaud en construction mais qui ne l’est pas moins en musique.

Une telle sobriété de moyens pour un tel résultat ! Et si la simplicité ne méritait-elle pas plus de reconnaissance ?

Mercredi 22 mars

The Three Wise Men

Guillaume Nouaux, le programmateur du festival et toute l’équipe municipale d’organisation, sont inquiets. La tenue du concert de jeudi est encore incertaine, les grèves de transports rendant aléatoires les acheminements de musiciens. Ceux d’aujourd’hui sont déjà là depuis la veille, comment repartiront ils, on ne le sait pas.

Nous sommes en mars mais on nous annonce les Rois Mage, the Three Wise Men plus précisément. Un des plus grands pianistes au monde de Stride, l’Italien Rossano Sportiello, le clarinettiste et saxophoniste hollandais Franck Roberscheuten et le batteur vibraphoniste autrichien Martin Breinschmid. Distribution européenne donc qui va se traduire dans le choix du répertoire du soir qu’ils ont baptisé le European Song Book, des standards mais européens seulement. Aujourd’hui encore le concert est totalement acoustique, pas un seul micro sur scène, quel bonheur d’entendre le son naturel des instruments, on en l’avait presque oublié. Pas de Gershwin donc mais du Franz Lehar et sa joyeuse veuve, pas de Nat King Cole mais du Piaf, en rose bien sûr … « It s a long way to Tipperary » arrive aussi, cette chanson de 1913 que les troupes anglaises chanteraient en partant au combat un an plus tard. Tous ces titres sont bien sûr réarrangés en jazz et garnis d’improvisations. On réalise ainsi le niveau de ces trois musiciens, Franck jonglant avec grande aisance avec sa clarinette, son alto et son ténor, Matin très énergique et expressif sur la batterie de Guillaume Nouaux et bien sûr Rossano. Quel toucher chez ce pianiste, main gauche agile pour marquer les basses mais sans violence, tout en élégance, main droite légère pour un lyrisme raffiné. Il ne va pas hésiter d’ailleurs à s’attaquer à eux pièces de Chopin, un autre Européen, passant délicatement du concerto solo à une interprétation jazz en trio ; de quoi réconcilier deux mondes qui parfois se regardent de travers (mais de moins en moins). Un peu plus tard, Bach, un grand improvisateur, sera soumis à la même métamorphose sur la célèbre Badinerie, un régal de légèreté du trio. Trio de haut vol musicalement ce qui n’empêche pas la fantaisie et pour cela Martin n’est pas le dernier. A la fin du premier set Franck lui apporte une desserte, cachée jusque-là derrière le piano et recouverte d’un drap noir qui une fois enlevé révèle un alignement de bouteilles de vin – les reliefs des premiers jours du festival – avec lequel il se lance aux mailloches dans le légendaire « Bei mir bist du schön » (Pour moi tu es belle). Du cirque ? Halte là ! De la musique ; virtuosité, musicalité insolite mais très juste ; les bouteilles ont été accordées à niveau (d’eau) lors des balances grâce au vibraphone. Un moment tellement joyeux !

Ce trio de jazz classique est une pure merveille. Après le yiddish « Bei mir… » le tzigane « Les Yeux Noirs », l’Europe toujours et encore, si riche musicalement elle aussi. Pianiste italien (certes vivant à New York) alors medley de là-bas, on voyage librement sur notre continent ce soir à Soustons.

Ovation bien sûr et rappel, Guillaume Nouaux est incité à rejoindre le trio reconstituant ainsi le quartet de Lionel Hampton, Martin dans le costume de ce dernier au vibraphone. Une entorse au répertoire avec un « Avallon » très enlevé, une ballade puis un autre moment de fantaisie, toujours à l’initiative du facétieux Martin. D’abord un duel au tambour avec Guillaume puis un autre… à l’escabeau (un 5 marches pour les puristes, pentatonique). Intello le jazz ? Festif surtout quand il le faut.

Bientôt minuit, Guillaume doit conduire le trio à Bordeaux pour un train de bonne heure le lendemain, plus rien ne sortira de la gare de Dax ce jeudi et le lendemain…

Galerie photos de Philippe Marzat

Photo PhD

Lien : Vidéo et interview de Tcha Limberger

https://blog.lagazettebleuedactionjazz.fr/soutenez-le-jazz-en-aquitaine/