« Shuffle Enterprise » le nouveau projet de Sanseverino

Interview

par Philippe Desmond, photos Ben Ransom et PhD

Studio Château de la Grave, Saint-Caprais de Bordeaux le 9 décembre 2024.

C’est alors qu’ils finissaient leur déjeuner que j’ai retrouvé Sanseverino et trois musiciens de jazz bordelais qui venaient de boucler une résidence pour ce nouveau groupe « Shuffle Enterprise ». Et c’est ainsi que cette interview très sympathique s’est déroulée, entre verres de bordeaux et tasse à café. Musicien touche-à-tout, inclassable, Stéphane Sanséverino a un pied dans le jazz quand il chante sur des arrangements de jazz manouche ou qu’il chante du blues. Dans cette interview il parle de son nouveau projet, de ses rapports avec le jazz, le tout avec son naturel et sa verve de titi de Montreuil ; un régal que de cotoyer cet être solaire.

Le groupe : Sanseverino au chant et à la guitare électrique, Nicolas Dubouchet à la contrebasse, Sylvain Tejerizo aux sax ténor et baryton, Yann Vicaire à la batterie.

de g à d Nicolas Dubouchet, Sanseverino, Sylvain Tejerizo, Yann Vicaire – Photo Ben Ransom

L’interview

Action Jazz : d’où vient l’idée de ce projet ?

Sanseverino : elle vient de l’insistance de Nico Dubouchet qui est un copain de longue date, on a fait plein de choses ensemble. Alors je lui ai proposé de faire un groupe avec des gens du coin car il y a des gars qui sont des bons clients pour faire un projet qui démarrerait ici. L’idée c’était de faire un projet mais pas avec un gars qui joue bein mais qui vient des Alpes, un autre un super copain qui habite en Angleterre, un autre dont la femme est allemande, etc. On a tous plein de potes qui jouent très bien partout et avec qui on a envie de travailler ; si on me donnait un budget énorme je ferai un projet avec tous les copains que j’aime mais il faudrait quatre bus, on jouerait huit sets de trois heures ! Je ne connaissais pas Yann, Sylvain on avait déjà fait un hommage à Brassens façon musique sympa (rires) ; on a américanisé les lignes de Brassens façon Dr John, on l’a joué au festival de guitare de Montpellier ; j’avais fait chef d’orchestre et arrangeur pour plusieurs chanteurs et je me suis dit que la prochaine fois ce serait juste moi le chanteur ! Attendre tout le monde aux répétitions, et moi je veux chanter en premier ; et moi aussi bref ! Donc on s’est aperçu qu’on aimait un peu les mêmes trucs. Moi j’aime des trucs après les Stones mais aussi avant ; tout est pas mal à part la musique pas sincère. Le son de départ c’était quand-même une contrebasse, une batterie à peaux pas transparentes et un sax un peu rock qui puisse aussi jouer jazz et ouvert à tout. Par exemple j’aime choisir un son années 40 mais jouer librement dedans.

Action Jazz : quel est le répertoire ?

Sanserevino : l’idée c’est de refaire pas mal de mes anciennes chansons que je ne fais plus dans mes tournées dites officielles. Je les ai essorées et comme j’ai un nouvel album je chante ces chansons là, à quelques détails près. Je voulais les jouer à une nouvelle sauce. On a quelques reprises, on fait un truc de ZZ Top qu’on a un peu trafiqué, « Sharp Dressed Man » qu’on fait en rumba

Action Jazz : en rumba ?!

Sanseverino : en rumba flottante (rires) . Mais le principal ce sera des chansons à moi

Action Jazz : de quelle époque ?

Sanseverino : du premier album à maintenant, le Tango des Gens avec « Maigrir » par exemple mais ça tire un peu sur toutes les cibles. « Honky Tonk du Tank » qui figurait dans un album de Bluegrass on le joue dans un style comment expliquer ça ? Disons alterno soixante américain

Nicolas Dubouchet : rock binaire un peu tribal avec un sax à la Madness

Sanseverino : on part sur des idées de Blues et ça bifurque car faire un groove de blues sur chaque morceau, j’ai l’impression que nous en Europe on s’emmerderait. J’ai pourtant vu Clarence Gatemouth Brown en concert qui toute la soirée a fait win dong dong din win, du genre putain on va se faire chier alors que pas du tout ! (rires) . C’est la force de ces musiciens américains, ce son qu’on aime, on en a écouté hier soir mais on a aussi écouté Gus Viseur que j’aime énormément.

Action Jazz : c’est aussi qu’il faut essayer d’accrocher les jeunes, le public du blues est assez vieux

Sanseverino : ouais mais je pense qu’on ne peut pas se dire je vais faire de la musique qui plait aux jeunes, dès que tu dis cette phrase t’es mort. Ca dépend de la programmation, si c’est une soirée où il n’y a que des mecs de 60 balais, dont je fais partie, s’il y a deux mômes qui sont là ils ont été amenés de force ou sous la menace alors que s’il y a un groupe comme les vendéens du Dynamite Shakers, ce sont des tueurs, ils ont vingt berges et ils ont tout compris de la musique des 60’s et ils font venir des jeunes ; mais les gosses ils s’en tapent de savoir si ce sont des amplis à lampe, ce qui compte c’est ce que dégage la bande qui est sur scène. Bon nous on n’a pas encore essayé mais apparemment on s’entend bien, on a testé hier soir on s’est bien entendus autour d’un saucisse lentilles (rires). Sur scène on ne va pas faire des blagues mais on a envie de rire quand-même. j’ai envie de proposer des arrangements qui sont libres dès le départ, il ne faut pas qu’on ait besoin de trois semaines de répet’ avant chaque concert. C’est l’arrangement qui va décider si on est bien sur scène ou pas. Si on est avec notre papier à se dire ouh la la , c’est qui déjà la convention ? Moi j’ai envie que ça bouge

Action Jazz : un tel projet en plus ça peut s’intégrer à n’importe quel type de festival

Sanseverino : oui bien sûr, en plus on n’a pas besoin d’un gros back-line, pour l’instant on démarre alors on ne demande pas beaucoup mais dès qu’on aura fait 2000 dates on va augmenter de 60 € (rires)

Chtok : Bruit d’un bouchon qui saute

Photo Ben Ransom

Sanseverino : on tourne déjà des petites vidéos avec Ben Ransom pour la promotion, on ne va pas faire d’album maintenant et je ne sais pas si on va en faire un. Les albums se vendent tellement bien et ça coûte tellement cher de les faire. Un album hyper agréable à faire ça coûte 30 000 € et t’en vend 7. Tu en donnes 11 à ta famille et ici il y a des gens qui en ont de grandes, il n’y a pas eu beaucoup de contraception. Un album c’est une maquette comme étaient les cassettes quand j’ai commencé la musique en 1979

Ben Ransom : c’est vrai que les programmateurs préfèrent une vidéo qu’un CD, une vidéo live pour mieux se faire une idée.

Sanseverino : à moins d’avoir cumulé un nombre de passages radio important. Moi j’ai eu ma phase où j’étais sur toutes les radios mais c’est fini. Je continue quand même à bien tourner mais il y a des festivals où je ne passe pas parce que je ne suis pas sur telle radio. J’ai, presque, non pas trop de travail mais j’en ai considérablement.

Action Jazz : et si on parlait un peu de jazz ? Tu as découvert le jazz tout jeune en Europe de l’Est je crois

Sanseverino : oui j’ai eu l’oreille accrochée par la musique tzigane très très tôt en entendant les accordéons bulgares (il chantonne leur mélopée) ce qui m’a emmené jusqu’à Django. Django égale quintet, pas forcément Hot Club, batterie etc. J’aime bien le jazz comme tous ceux qui aiment la musique. Il y a des accords dont je ne sais pas le nom mais je les fais quand même.

Action Jazz : tu es autodidacte à la guitare ?

Sanseverino : oui, je crois que je ne peux pas jouer dans un groupe de jazz mais si on simplifie j’y arrive très très bien ; mais ce n’est pas le but. Dans le jazz il manque du texte, il manque quelqu’un qui crie « alors mais putain mais on se réveille ! ». Mine de rien je suis pourtant toujours entouré de musiciens de jazz, ceux-là ici et sur mes albums aussi ; j’espère qu’ils ne sont pas avec moi pour payer les traites de leur maison ! Ils s’arrachent eux-même les cheveux quand il parle des salaires, de l’ambiance, mais je ne sais pas trop analyser l’univers du jazz en France. Mais c’est une musique ultra libre et c’est ce qui m’intéresse, normalement on a tous les droits . Ce truc de l’improvisation ça m’intéresse énormément.

Action Jazz : la liberté vous l’avez sur ce projet

Nicolas Dubouchet : on part sur une base qui existe, on a les grands axes et après on fait ce qui nous arrange.

Sanseverino : il y a de quoi faire des morceaux de 10 minutes à chaque fois.

Action Jazz : tu chantes donc

Sanseverino : oui bien sûr.

Action Jazz : j’avais oublié la chanson « les embouteillages » où tu parles des motards dont je suis

Nicolas Dubouchet : toi aussi tu dis merci avec le pied ?

Action Jazz : bien sûr

Sanseverino : tu sais que c’est grâce à moi que les gens ont compris que ça ne voulait pas dire vas te faire voir ! (rires)

Photo Ben Ransom

Action Jazz : tu reprends François Béranger que tu chantes régulièrement ?

Sanseverino : oui, un titre, « Y’a que la foi qui sauve », il n’a pas fait beaucoup de blues, « Magouille Blues » et celui-là. Je suis en train de finir mollement une tournée en solo sur les morceaux de Béranger, j’avais monté ça pour faire quelques dates, j’en suis à 150. J’ai l’impression que j’ai joué partout où il y a du vieux hippie ! (Rires). Il reste quelques villages en Ariège que je n’ai pas fait, contre un boulghour et un GUSO ! Ce nouveau projet est fait pour jouer, on commence à chercher des dates et il y en a deux ou trois déjà.

Nicolas Dubouchet : on va jouer ce nouveau projet pour la réouverture de Chez Alriq le 22 mai 2025.

Action Jazz : tu connais Action Jazz sans peut-être le savoir car tu as essayé la guitare Osiris dont nous sommes co-propriétaires avec le luthier Hervé Bérardet suite à son succès à la Bourse des Métiers d’Art du Fonds Euratlantique

Sanseverino : oui, la guitare modulable qui se démonte, elle est sublime mais encore trop chère pour moi (rires). Avec le micro Charlie Christian elle sonne chaud, le son est terrible. Site Osiris

Action Jazz : et bien merci, on va faire des photos, si vous pouviez aller sur scène avec les instruments, ça serait bien.

Sanseverino : attends on va jouer, pour les photos ça sera plus vrai.

Il rallume son ampli, Yann reprend ses baguettes, Nicolas sa contrebasse, Sylvain accroche son sax ténor et pour la photo jouent « Honky Tonk du Tank » comme s’il y avait devant eux une salle pleine ; nous sommes deux, Ben Ransom qui filme et moi à profiter de ce moment précieux.