Texte et photos Philippe Desmond

Le Thélonious, Bordeaux samedi 9 novembre 2019

1936, Lionel Hampton et son vibraphone rejoignent le trio du clarinettiste Benny Goodman. 2019, Félix Robin et Jérôme Gatius enfilent les costumes (au sens figuré mais aussi au sens propre) de leurs deux prestigieux prédécesseurs pour faire revivre le quartet. Ils se sont rencontrés, ont évoqué ce groupe historique et on tout simplement eu envie de lui redonner chair.

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Félix Robin nous le suivons depuis quelques années avec Capucine ,Grand Prix 2017 au Tremplin Action Jazz, puis V.E.G.A. Grand prix Action Jazz 2019 (*), des groupes de jazz qu’on qualifie de modernes quand on ne sait pas trop quoi dire, de belles compositions originales très écrites, parfois complexes, des climats souvent poétiques ou des chemins tortueux. Alors quand on a vu qu’il allait partager la scène avec Jérôme Gatius un des tenants de ce que certains qualifient avec condescendance de « Old Jazz », cela fut une petite surprise. Petite simplement car Félix sait ce qu’est le jazz, le métier de musiciens de jazz, pas possible d’y faire abstraction de son histoire, surtout quand, comme lui, on joue – aussi bien – de cet instrument particulier, précisément introduit dans cette musique par Lionel Hampton. Le voilà donc à jouer du swing à faire virevolter ses mailloches de laine sur son clavier métallique à des tempos auxquels on n’a pas l’habitude de l’entendre.

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Son « King of Swing » (surnom donné à BG par LH) à lui c’est Jérôme Gatius qui mériterait lui aussi ce titre de noblesse. Avec sa clarinette ils ne font vraiment qu’un, il est remarquable de virtuosité et de musicalité. La clarinette, sa chaleur, son son parfois aigrelet, son boisé, on aime ou on n’aime pas, avec lui forcément on adore quand on le voit ainsi s’employer à lui en tirer la quintessence.

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Mais dites moi pour un quartet il faut bien être quatre, non ? Et oui, parlons des deux autres. Au piano contrebasse dans le rôle de Teddy Wilson le Bayonnais de Tarnos, Arnaud Labastie. Piano contrebasse ? En effet le quartet ne possédait pas de contrebassiste et c’est la main gauche (la sinistra disent les Italiens, tu parles!) du pianiste qui assurait la rythmique. Ce qu’à fait hier soir Arnaud, sa main gauche sollicitée de bout en bout, sonnant incroyablement comme la grand mère à grosse cordes manquante ; une vraie machine. Quant à la main droite elle n’a pas chômé non plus bourrée de swing, de stride, de boogie-woogie, et souvent en liberté sur des chorus. Un exercice pas facile nous a t-il dit et auquel il n’est pas trop habitué.

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A la batterie dans le rôle de Gene Krupa (qui jouait aussi dans le big band de BG) Didier Ottaviani. Avec les tempos joués il a beaucoup travaillé hier soir, passant des accompagnements discrets aux cymbales aux coups de tambours caractéristiques de Krupa, du « jungle » sans trop de timbre à la caisse claire. Il a fait quelques chorus spectaculaires totalement dans le style de son ancêtre et il s’est régalé.

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A plusieurs reprises le quartet a provoqué les vivas du nombreux public du Thélonious, arrivant même à stopper des conversations bruyantes voire gênantes de certains et surtout certaines qui confondent club de jazz et boîte de nuit. Car cette musique démodée (mon œil) est jubilatoire souvent, son swing ne peut vous laisser indifférent, les jambes ont des fourmis, les pieds battent, les mains tapent, des cris surgissent. Pas la place – ni le talent – de danser mais vraiment ça démange. Et oui le jazz peut-être gai, le jazz a longtemps été gai et à l’époque figurez-vous, il était populaire… A réfléchir.

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Le répertoire ? Et bien celui du quartet, l’inévitable « Flying Home » d’Hampton, « Just With Me », un « Limehouse Blues » à mille à l’heure Félix y faisant des prouesses les autres ne baissant pas la garde non plus. Jouissif ! Des standards comme « Dinah » ou « Indiana » en deux versions, acoustique et amplifiée.

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Explications, le compteur du lieu a sauté (même lui, certainement pris par la musique) et le club s’est retrouvé pendant quelques minutes dans le noir. A la lumière de téléphones, c’est en trio qu’ils ont joué, ce pauvre Arnaud Labastie tenant le rôle d’éclairagiste, son piano numérique le mettant au chômage technique.

Finalement un moment amusant et bon enfant. Version amplifiée en rappel avant un repos mérité des musiciens aux costumes chargés de sueur.

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Quand ce jazz là est joué à ce niveau de qualité je mets au défi quiconque de ne pas l’aimer, parole de chroniqueur entré dans le jazz par le jazz-rock

 

(*)  V.E.G.A. sera le jeudi 14 novembre sur la scène de la Pergola au festival Jazz à Caudéran organisé par Action Jazz

www.jazzacauderan.fr

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