Par Dom Imonk

Parue le 01 janvier 2015 dans la Gazette Bleue N° 8

RAVEN

Le Corbeau est partout. Il effraie les timides, passionne les scientifiques, et inspire les artistes. Manu Domergue par exemple, chanteur, joueur de cor et mellophoniste. Il y a peu, nous l’avions croisé dans le superbe « The Other Side » du sextet de Loïs Le Van, son compagnon d’études et frère de poésie. En 2012, il décide de rendre hommage à son oiseau fétiche, avec le projet « Raven » (le « grand corbeau » en anglais). C’est un brillant quartet, qui réunit autour de lui Raphaël Illes (saxophones), Damien Varaillon-Laborie (contrebasse) et Nicolas Grupp (batterie/glockenspiel). Récompensé par le 1° prix et le prix du public du Crest Jazz Vocal 2013, le groupe tourne beaucoup, forge son expérience, puis enregistre son premier disque que voilà.
Une pochette d’un vert sombre présente le chanteur, incliné et pensif, face à l’oiseau noir, perché sur sa main gauche. L’intérieur révèle un bec complexe, qui enserre jalousement le disque, comme l’huître sa perle, ou Maître Corbeau son fromage. On aime aussi l’élégant livret qui vous dit (presque) tout.
Manu Domergue a composé une grande partie des morceaux. Ça sonne neuf dès « Glopin’ », où la musique s’envole et nous entraine, libérée de toute influence. La voix haute scatte et fouette les flancs d’un jazz ravi. Mais « Chercheur d’orage », qui le suit, ouvre en grand ce beau royaume, et dévoile un peu plus de ses richesses. Qualité d’écriture, rythme, angle et puissance du chant semblant sans limite, arrangements, son. Les musiciens sont soudés et leur jeu de haute volée, avec cet espace entre eux, permis par la forme du quartet. On retrouvera pareil grain magique sur d’autres compositions, comme « Le stratagème » (belle leçon de scat !), « The winged sailor » en coda et trois géniales « Invocations ». Lors d’une interview, Manu Domergue confie qu’il les a composées en préalable à des morceaux où il a invité trois chanteuses. Ainsi, la mystérieuse « Invocation I » introduit d’un sax enflammé « Ils choisissent la nuit », sur lequel Mônica Passos vient mêler sa généreuse voix à celle de son hôte. Un peu plus loin, « Invocation II », mue par un inquiétant mellophone, annonce le somptueux « Ghorab », habité par Kamilya Jubran et son chant mystérieux, sur un raga cuivré et des bulles de sax. Enfin, la magistrale « Invocation III » voit le chanteur envouté, et poussé au rouge par ses acolytes. Elle accueille une Leïla Martial, très inspirée, sur une reprise de « Black is the color » venue d’ailleurs, où elle glissera d’un chant classique à des « onomatopées » free (façon Sidsel Endresen), avec une aisance sidérante.
Raven a du cœur au ventre et s’offre en sus trois autres reprises « perchées », qu’il s’approprie avec une originalité qui laisse pantois. « Nevermore » (Edgard Allan Poe/Alan Parsons Project), frisson de minuit, contrebasse gambadeuse, voix possédée, glockenspiel et sax rêveur en final époustouflant. Puis le légendaire « Black Crow » de Joni Mitchell (« Hejira »), que Manu Domergue aborde d’un vocal de funambule, sa voix sur un fil, entre le précipice du silence et ces « in a blue sky » qui la rétablissent comme une barre d’équilibre. Autour de lui, des flammes de sax ondoient, la contrebasse pompe du rythme et excite le drive exquis des fûts. Et puis enfin « Les corbeaux » (Arthur Rimbaub/Leo Ferré), pièce austère et lunaire, rythmée par des éclairs de sax free qui zèbrent l’espace, percussions tribales et vocal de prêcheur fou, menant la marche d’un peuple en une fin de prières célestes.
Ce disque est un pur bonheur. Il ne vous laissera pas indemne. Suivons ce courant nouveau. Et ne rendons pas à Maître Corbeau son fromage !

Dom Imonk

http://www.ravenproject.fr/

Gaya Music Production – MDGCD001