Chroniques Marciennes 6 : Annie Robert, Photos Laurent Sabathé (http://ecran-du-son.com)

Astrada de Marciac  4 Aout  2018

Rythmes sans blues

Avec Mowgli, nous voici pris en main vigoureusement par un trio de godelureaux ivres de la jungle, piliers bien solides tenant chacun plusieurs facettes d’un lyrisme sauvage allant de l’électro, au rock en passant par le jazz, leur substantifique moelle improvisatrice.


Monument de rythmique, planté au centre, énergique comme vingt piles électriques, Pierre Pollet déroule une batterie perforante, plus dans le rentre-dedans que dans la dentelle, mais souple et très libérée. Le gars mouille la chemise à corps perdu.
Aux claviers et synthétiseurs Bastien Andrieu, concentré et sérieux, garde la ligne de basse mais s’amuse aussi d’effets sonores, parfois tordus ou roots et de boucles mélodiques répétitives. Quant à Ferdinand Doumerc, le son très accompli de son saxophone tantôt disturbé ou tantôt bio envahit les oreilles, avec chaleur et spontanéité. Ces trois là nous propose une musique percussive, discursive, sauvage par moments, et à la recherche de belles textures sonores. Varié, renouvelé, avec de fréquents changements de tempos, des ruptures nombreuses, leur propos témoigne d’une liberté réjouissante pour une musique qui ne l’est pas moins  avec du son grinçant parfois, le sens des associations inattendues et des mélodies intéressantes. On est dans l’énergie et pas dans la suggestion. Dans l’image cash et pas dans le chromos imaginaire.
Avec humour et amusement, ils peuvent adjoindre à des volutes de bossa des grincements de free sans que cela paraisse déplacé ou forcé. On sent derrière tout cela une écriture rigoureuse et un travail très profond. C’est une véritable bande son, parfois haletante mais qui peut aussi se faire douceur. On peut parfois leur reprocher quelques facilités, quelques répétitions de structures, ou le désir de faire «moderne» en tortillant les sons sans que cela apporte un plus réel. Mais on ne va pas chipoter. Mowgli est un beau groupe, avec un beau discours. Leur liberté est  grande et leur musique n’a rien d’une jungle sans fin. Une superbe de découverte…

 

En deuxième partie de soirée, Thomas de Pourquery et Supersonic sont là pour continuer à nous remuer les tympans.
Ce garçon est un cas : il en impose par son allure de nounours pas si débonnaire que cela, plus Dyonisos que Baloo, ses engagements musicaux toujours à rebrousse poil ( oh, la barbe…) sa musique de l’excès et le nombre impressionnant de récompenses accrochées à ses basques tonitruantes. Hors sentiers balisés, c’est son mot d’ordre.
Reprendre Sun Ra comme il l’a fait, n’était pas donné à tout le monde…. Fallait oser.
Le bonhomme est en plus déconnant, passablement barré et ses apartés avec le public un délice de recul et de blagues potaches. Bête de scène Pourquery ? Ben ouais.


Ce soir, il nous présente avec son groupe Supersonic «Songs of Love», morceaux à la fois d’incantations et de transe, entre la basse solide et inventive de Frederick Galliay ( jamais vu une basse à l’archet, pour un très intéressant résultat mais faudra lui dire qu’il change de falzar..), les cuivres harmonisés ou volontairement chaotiques de Laurent Bardainne au sax ténor et Fabrice Martinez à la trompette ainsi que le piano, synthés et autres percus d’Arnaud Roulin discret et délicat .
Et bien sûr le sax alto de Pourquery, jouet dans ses mains de géant, brillant, puissant et avec un grain de pépite sans gangue. C’est un discours dense, très, très dense auquel il nous convie. On croule parfois, on coule souvent sous les vagues de superpositions. Un maelström de notes et de riffs, parsemées d’influences variées, toutes revendiquées, du rock au psychédélisme en passant par le funk, de Coltrane à Mingus ou même la pop ( dans Simple Forces par exemple).
Supersonique en diable avec décollement de la rétine, déflagrations dans les oreilles et hérissement des poils de bras, le set est outre-mangeur, avec des trouées et des éclaircies particulièrement belles. La partie chantée est fortement intéressante. Elle apporte trouble et émotion, sentiments et délicatesse dans cet univers d’excès pulsionnel. La voix de ténor léger de Pourquery fait merveille, traitée simplement ou en reverb, celles de ses deux acolytes,  moins typées y apporte l’harmonisation et l’engagement.
Pourtant ( il fallait qu’arrive un pourtant..) quelques petites égratignures sur la statue du commandeur… D’abord sur le jeu du batteur Edward Perreau, rempli de fioritures gestuelles qui finissent par devenir gênantes même si elles ne remettent pas en cause ses qualités de musicien. (Oh le gros, gros gong dont j’ai cru longtemps qu’il était là pour la déco et qui a servi à planter deux frappés.)
La recherche des franges étant là en permanence: frange de l’agréable, de l’audible, du son, de la hargne, le risque est important de tomber sans retenue dans le trop de…  avec le danger d’un certain maniérisme, d’une certaine ostentation par instant ( regardez comme on est culottés!!) avec des boucles électroniques désincarnées, des moments paroxystiques surjoués. Y ont ils échappé ? Franchement la question s’est posé pour moi, frustrée par instants d’un excès de fioritures, réjouie à d’autres par leurs sonorités nouvelles, délicates ou chatoyantes, fortes comme une Stout .
Mais la soirée a été  un grand moment. Thomas de Pourquery  a une ouverture sensuelle sur la musique, un appétit de dévoration sonore qui ne peut que nous faire du bien.
Décollage assuré pour on ne sait où mais loin de toutes façons.