Monty Alexander en trio au Foirail de Pau

Texte et photos Vincent Lajus

Dimanche 31 Mars 2024, j’ai assisté au concert d’un Maître.

Est-il encore besoin de vous présenter Monty Alexander, le génial pianiste Jamaïcain ?

Un style immédiatement reconnaissable – la marque des plus grands, un swing imparable, puissant et subtil, une technique instrumentale qui l’a fait, à ses débuts, comparer à l’immense Oscar Peterson (rien que ça !), un romantisme à fleur de peau, des séquences harmoniques reconnaissable entre toutes – faites de progressions d’accords en quartes, une inspiration en constant renouvellement et branchée sur les plus hautes sphères, la maîtrise parfaite du Trio Jazz (contrebasse et batterie) dont il est un des derniers représentants de la grande tradition, des compositions et des improvisations influencées par son île natale et ses sœurs des Caraïbes, et ses plus de 75 albums (!) répertoriés, entre autres vertus !

Tout ceci messieurs-dames pour vous dire que si vous ne connaissiez pas encore Monty Alexander, il est grand temps pour vous d’y remédier, car le jeune homme va fêter ses 80 ans le 6 Juin Prochain !

Si vous avez bien calculé, oui, le 6 Juin 1944 naissait en Jamaïque le petit Bernard Montgomery Alexander, prénom choisi en l’honneur du général britannique libérateur.

Cet enfant surdoué et totalement autodidacte – il ne lit pas la musique, a bien grandi, dans le sens noble du terme, propageant sa musique métissée pendant plus de 60 ans autour du monde sur les plus grandes scènes et avec les plus grands musiciens, de Dizzy Gillespie à Miles Davis, Sonny Rollins, Milt Jackson, et tant d’autres.

C’est donc à cette occasion (Joyeux Anniversaire !) et dans le cadre de la programmation Jazz à Pau qu’il est en France pour présenter son tout nouvel album enregistré à Paris en Octobre dernier, « D-Day » (Peewee! Éditions) en sortie mondiale deux jours auparavant (le 29 Mars). C’est donc un événement ! Il était ce soir accompagné de Luke Sellick à la contrebasse et Jason Brown à la batterie qui ont enregistré ce dernier opus avec lui.

Monty Alexander a choisi la capitale béarnaise et la magnifique salle du Foirail pour inaugurer sa nouvelle tournée devant une salle comble (et un superbe Steinway), comme la veille et comme certainement tous ses futurs concerts, tant le privilège de voir et d’écouter une telle légende se fera de plus en plus rare.

Dès le premier titre, le ton est donné : « I’ve Got You Under My Skin » nous touche au cœur profondément, en hommage au chanteur qui l’aida à débuter dans le milieu lorsqu’il immigra aux États-Unis à l’âge de 18 ans. Tout est déjà là : swing, subtilité des couleurs, changements harmoniques, nuances, humour, sourires et clin d’œil à notre hymne national cité pendant le chorus, dialogue constant entre les musiciens qui sont regroupés à moins de deux mètres du pianiste, créant ainsi une bulle qui perdurera pendant tout le concert.

Les morceaux s’enchaînent deux heures durant, ceux du dernier et magnifique opus donc, « D-Day », mais aussi des plus anciens, comme Accompong tiré du génial album Jamento (1978). Les Caraïbes ont débarqué au pied des Pyrénées, réchauffant le climat froid et pluvieux du coin, pour le plus grand bonheur d’un public déjà conquis.

Bien au delà d’une technique rendue parfois hésitante par les années (mais qui l’en blâmerait ?), c’est surtout et avant tout l’Art du Trio piano-contrebasse-batterie qui est ici ce soir mis en valeur.

Le Maître de 80 ans sait mener sa barque. La musique prend forme au fur et à mesure de ses inspirations. Tel un chef d’orchestre, ses gestes, ses grognements et ses regards, suggèrent à ses complices les directions inspirées dont son intuition éclairée s’imprègne.

Voilà du Jazz ! De l’expression de soi sur l’instant, partagée et unique.

Lointaines sont les partitions. La création est parmi nous et le créateur s’appelle Trio.

Luke Sellick à la contrebasse est un fil à plomber et un improvisateur fin et mélodique, jamais pris en défaut malgré les changements soudains provoqués par le prolifique improvisateur.

Jason Brown, que l’on a pu voir accompagner Robin McKelle il y a deux ans au Festival d’Anglet, n’a plus qu’à virevolter avec intelligence, puissance et subtilité, s’accommodant des successions ternaires et binaires avec brio.

Tous deux ne se départiront jamais d’un sourire à chaque surprise provoquée, renforçant cette impression grandissante qu’il se passait ce soir quelque chose d’unique.

Deux rappels furent réclamés par un public debout qui applaudit à tout rompre, et accordés, ce qui donna l’occasion à Monty Alexander de sortir le mélodica dont l’effet en chambre d’écho nous amena sur un Dub tellement authentique. Jamaïca, Jah !

Puis ce fut le temps de saluer et de se quitter, ce que les musiciens firent avec une retenue et une quasi timidité très touchante pour des artistes de cette envergure, et en particulier Monty Alexander qui saluait encore de la main en s’enfonçant dans les coulisses, sourire aux lèvres.

Il resta longtemps en ma compagnie une impression d’avoir vécu un moment rare, un moment de grâce qui m’inspirait un sentiment de vouloir embrasser (tout) le monde avec espoir, une positivité née de ces instants inspirés, adombrés. Était-ce l’effet Pascal partagé ? L’heure et demie de route se fit dans le silence. Sereine. Apaisée. Merci.

 

La chronique de l’album « D Day »D Day