Black Lives : from Generation to Generation
Par Annie Robert, photos Laurent Sabathé
Chapiteau de Marciac le 24 juillet 2024.
Ils sont américains,antillais, sud-africains ou haïtiens. Ils pratiquent le jazz, la pop, les rythmes afro américains, le rap, le funk ou l’ électronique DJ. Tous inspirés par le mouvement militant Black Lives Matters, résolument humanistes, ils se retrouvent unis pour dénoncer les injustices subies par les hommes et femmes du simple fait de la couleur de leur peau.
Et ça résonne diablement à nos oreilles dans le contexte mondial, européen ou hexagonal actuel si anxiogène, si régressif.
Hommes et femmes, noirs, blancs ou métis, c’est donc un collectif d’artistes chevronnés qui se présente devant nous ce soir avec un seul but: prouver qu’à travers la musique, on peut transcender les différences, les aveuglements et les rances préjugés.
En réunissant ce vaste ensemble baroque et syncrétique autour de lui, le bassiste Reggie Washington a réussi le tour de force de déployer tous les styles et tous les genres par quoi la musique noire contemporaine incarne sa différence et véhicule son identité mondialisée joyeusement polymorphe, et furieusement vitale.
Tous sont expérimentés mais différents et ils savent avant tout mettre leur talent et leur personnalité au service du groupe. Chacun peut en outre s’emparer tour à tour du rôle de leader en offrant au collectif sa propre histoire, elle-même riche de rencontres. L’organisation est à géométrie variable. Certains rentrent sur scène ou en sortent pour laisser le lead à d’autres, ils peuvent ainsi se retrouver à douze, à cinq ou à trois suivant les besoins, les moments, les couleurs des morceaux.
Le propos est généreux, le langage efficace. Pas un temps mort, pas une scorie…
Dj Grazzhoppa aux platines entame le concert, mixant voix, mots et chants d’Afrique, puis le reste des musiciens arrive sur scène pour un morceau fracassé et fracasant, évoquant le voyage captif de l’Afrique à l’Amérique, celui de l’esclavage ou de la mort océanique. Un morceau violent, heurté, le texte de rap est brut, sans détour, il évoque l’héritage de la douleur, la confiscation, la perte de tout y compris de la langue. Seule la musique surnage à ce naufrage et encore… le sax de Pierrick Pédron mène la danse, le piano de Grégory Privat enfonce le clou.
Les deux chanteuses Tutu Puoane, et Christie Dashiell, chacune ayant une couleur, un héritage vocal particulier, soul pour l’une, plus tribal pour l’autre se mêlent aux musiciens, « We are here , we sing, we are proud »
Sur tous les morceaux, on aura le bonheur de retrouver tous les mélanges, des lancers de jazz de Federico Gonzalez Peña aux synthés, les impros guitare fulgurantes de David Gilmore tirant sur le rock, les rythmes effrenés au tambour Ka de Sonny Troupé.
Des morceaux tendres à deux voix sur un texte d’un poète Sud Africain, des imprécations de rap reprises par les deux vocalistes, des unissons planants entre le sax et le piano, tous les possibles sont expérimentés. Cela déborde de vie, de plaisir, de la joie d’être ensemble, vivants et fiers de ce que l’on est.Toute la jubilation du rythme, de la transe, le bonheur dans la peau, dans le pas, dans le corps gagne le public.
Le chapiteau de Marciac l’a bien compris.
Les spectateurs finiront debout, en dansant, essouflés par le dernier morceau se clôturant par une battle inouie entre la batterie de Gene Lake et les percus de Sonny Troupé, l’un du bout des doigts, l’autre du bout de la baguette, jusqu’à l’épuisement.
Ce concert s’adresse donc aux hommes et femmes de toute origine ainsi qu’à toutes les générations, il est non seulement un tour de force musical mais aussi un étendard planté au sommet d’un monde cosmopolite dans lequel chaque être humain vaut et influe autant qu’un autre.
La musique, les musiques peuvent-t-elles être un rempart contre la bêtise et l’aveuglement ? On se plait à le croire. On l’espère mais en tous cas ce collectif, avec sa cohésion si forte, son énergie, et sa croyance dans un monde meilleur nous porte, nous soulage et nous fait du bien.
Pierrick Pédron (saxophone) Jacques Schwarz-Bart (saxophone) Grégory Privat (piano) Federico Gonzalez Peña (claviers) David Gilmore (guitare) Reggie Washington (basse) Gene Lake (batterie) Sonny Troupé (batterie) Tutu Puoane, (voix) Christie Dashiell (voix) Sharrif Simmons (poemes/ rap) Dj Grazzhoppa (platines)