M.O.M
François Moutin contrebasse
Louis Moutin batterie
Jowee Omicil saxophones, clarinette
Label Laborie Jazz
Un trio sans accords, entendez sans révélation harmonique, sans instruments réputés polyphoniques dont la présence chordale manque souvent de pertinence au regard du projet servi, oui, sans accords, ça fait du bien !
Il y a accord et accord entendons-nous, il y a harmonie et harmonie me direz-vous. De toute manière, depuis le dodécaphonisme, et conséquemment, il n’y a plus d’harmonies et de moins en moins d’Harmonies cqfd.
Donc voilà un ouvrage où l’accorde entente entre musiciens supplante l’accord accord.
Il y a dans cet opus quelque chose qui me rappelle « Le raccordement d’Antoine et de Nicole » d’un certain Lambert d’autrefois, quelque chose de conceptuellement baroque, une rencontre induisant un vraisemblable non-supposé.
Nous nous expliquons.
Un trio est habituellement un 1-2-3, un homme-une voix, etc, mais ici nous ressentons un 2+1. En effet, le binôme des Frères Moutin, dont nous ne ferons pas ici l’éloge tant sa réputation d’excellence n’est plus à faire, est tel qu’ils ne font qu’Un. Une « machine sensible » qui n’a rien de guère au demeurant, marchant d’un seul homme vers les cimes de l’expression, leur signature de raffinement.
Nous sommes ici davantage à l’écoute d’un Duo « augmenté ». Plus nous nous avancions dans l’écoute plus notre cerveau filtrait, « désamplifiait », squeezait, la présence même du saxophoniste. Étrange phénomène psycho-acoustique me direz-vous. N’empêche que la puissance des discours enchevêtrés de la batterie et de la contrebasse est telle que le saxophone nous semblât un bien frêle esquif. L’effet est-il recherché ? Sans doute, peut-être, possible… nous le demanderons prochainement aux poètes qu’ils sont.
Voilà donc pourquoi nous employons l’acception baroque quant à l’ensemble.
Quoi qu’il en soit, il y a aussi du baroque dans l’air musical de cet opus car nous ne pouvons nous ôter de l’esprit que ce binôme batterie-contrebasse peut être, par extension, assimilé à la basse continue des temps baroques, cet accompagnement archétypal clavecin-viole de gamme, experts en « accompagnement et créativité immédiate » avec un minimum d’éléments scripturaux entre les mains, binôme en mesure d’appliquer son art à l’identique quel que soit le type de composition voire de compositeur.
Il en va de même ici où les Frères Moutin dispensent leur art de jeux pour/avec le saxophoniste.
Ayant à moult reprises entendu ce binôme batterie-contrebasse sur disques et concerts, nous pouvons affirmer la permanence de leur signature quel que soit le projet qu’il sert.
Dès lors, ce binôme est-il in-side men, out-side men ou in-between. Écrin ou porteur- stimulateur ? Personnellement, je le perçois comme support inversé : le saxophoniste offrant une certaine « justification » linéaire de discours au binôme « basse continue » qui devient dans cet album le réel soliste ! Un continuo de « musique ancienne de notre temps présent » où les parfums de la polyphonie – les 3 voix instrumentales s’entrelaçant – s’épanouissent subtilement grâce à l’absence de verticalités harmoniques. Renouons donc avec la polyphonie en jazz.
Musicien moi-même, je combats (comme beaucoup d’entre nous) les fantômes, m’obligeant à la retenue de leurs présences dans mon jeu mais dans certaines cultures, la présence même des ainés dans le discours, dans le son, le timbre, etc, est gage d’humbles reconnaissances : le respect des anciens, a tribute to. À l’écoute du saxophoniste, je suis immédiatement convoqué au Panthéon : un timbre à la Sonny Rollins par ci, des traits coltraniens par là, blues et calypso, un cri à la Albert Ayler à la fin, … palsambleu, enfin une explosion de cette nature attendue ne venant
malheureusement qu’à la fin de l’album (titre 11 Cosmic Dance). Est-ce pour cela que mon cerveau a progressivement « effacé » la présence auditive du saxophoniste (voir plus haut) et l’a réveillé subitement ?
Jowee Omicil nous offre nombre de beaux textes compositionnels, flottants, évanescents de-ci de-là, quelques fois tachistes par fragments de discours improvisationnels, « classique » par racines si ce qualificatif est envisageable pour le jazz.
Jowee Omicil nous semble être néanmoins pris « en étau » dans ce 2+1. L’effet poétique est-il lui aussi recherché voire conscient ? À prendre un risque absolu, nous aurions aimé un disque de saxophone solo de Jowee Omicil (en existe-t-il?) pour le plaisir d’une signature culturelle intégrale.
Titre 9, Ballade à 2 notes : un très beau moment d’écoute riche en timbres et surprises, oserions-nous dire le plus beau morceau de l’album, mais pourquoi donc n’est-il pas en premier sur celui-ci et ce, afin de nous préparer à l’écoute et rentrer magiquement dans leur univers réellement à trois ?
Un album rythmique, un album rencontre-surprise, un coup de foudre polyphonique entre musiciens. Ce bel opus est à ajouter à l’album photo-sonique de la famille Moutin.
Patrick-Astrid Defossez
7 octobre 2021