Saint Denis de Pile/ 24 novembre 2018
Annie Robert – Photos Alain Delmont
Voici un lieu comme on les aime: simple, proche, chaleureux et ouvert.
Voici un moment comme on les souhaite: joyeux, rempli de bonnes ondes et d’une qualité exemplaire. De quoi faire pétiller le jazz dans les verres de tous et de chacun..
Pour la 14° année, la Jazz Compagnie organisait sa soirée, sans sponsors mais avec l’aide efficace et constante de la municipalité. Ses bénévoles étaient sur le pont, les crêpes dans les assiettes et le sourire contagieux. Et le moins que l’on puisse dire est que ce fut une réussite.
« Vous êtes encore plus nombreux que d’habitude » s’est ébloui Patrice Dugenet, le président de l’asso. Et c’est vrai que les places étaient chères. Pas simple de trouver une chaise. Des jeunes, des moins jeunes, des enfants, des adultes, se pressaient autour des tables, tapaient du pied attentifs et heureux. Rires, saluts, complicité et bonheur de se retrouver. Il faisait chaud ( au sens propre et au figuré) et on était rudement bien…
En première partie, c’est la Jazz Compagnie qui régalait les oreilles. Augmentés de quelques éléments de l’école de musique de Saint Seurin, ils étaient une vingtaine sur scène, un bon big-band avec un gros pupitre de vents, deux batteries, deux claviers, et une toute jeune et délicieuse chanteuse polyvalente.
Du swing, de la pêche, et des impros décomplexées sous la direction d’un Fabrice Bernard ayant l’œil à tout et l’encouragement chaleureux. Là aussi, la musique était à l’image de leur projet: variée allant de Charlie Mingus à Al Jarreau, moderne avec du Frank Zappa sans filtre, plus classique avec «All of me» ou «Beautiful Love» et surtout d’une indéniable qualité. On devinait qu’il en avait fallu des répétitions, des reprises, des heures partagées, des partitions raturées, des cœurs battants de trac, du temps volé au quotidien pour arriver à ce joli résultat: carré, joyeux, swinguant en diable. Le travail «amateur» dans toute sa beauté où le sérieux le dispute au plaisir. Un jazz proche et abouti partagé à 100% par le public.
En seconde partie, c’est le Quintet One Lee Way qui était à la manœuvre. On les connaît bien ceux là à Action jazz puisqu’ils ont été récompensés en 2017 lors du Tremplin. Au départ, le groupe s’est constitué pour rendre hommage à Lee Morgan, un trompettiste des années 60, une figure majeure du hard bop, un compositeur et un mélodiste fertile déployant un style très reconnaissable à la fois funky, soul et d’une énergie colorée exemplaire, le son Blue Note par excellence. Mais depuis, ils s’engagent dans une écriture personnelle, tout en restant dans l’énergie sous tendue par la composition du groupe avec deux soufflants de haute volée, base du quintet hard bop.
On a démarré en douceur avec un bon gros groove des familles, bien clair, bien frappé qui a envahi toute la salle comme un tourbillon.
Durant tout le set Lionel Ducasse à la batterie et Jérôme Armandie à la contrebasse ont déployé ce qu’il faut de beau phrasé, de régularité et de soutien inventif. Une section rythmique exemplaire, agile et complice qui a rendu facile les élucubrations endiablées des trois autres. Au piano, énergique dans ses nappes d’accords bluesy et créatif en diable dans ses improvisations, Nicolas Lancia a balancé un swing, un groove qui faisait fourmiller les doigts de pieds, danser les phalanges et tortiller les épaules. Parfois presque céleste, parfois frappadingue et déchaîné, il nous a vite embarqué et la sagesse s’est envolée très vite pour un set enflammé, bondissant et plein de peps.
Devant, la pleine puissance, la maturité de la trompette et du sax ont déployé avec brio les thèmes et les motifs.
Paul Robert au saxophone ténor, avec un son ample et rond, est un improvisateur fécond, sans redites, qui peut être insolent ou charmeur, osant les motifs de dentelles ou de lumières, les néons multicolores ou les feulements rauques. Quant à Jérôme Dubois à la trompette claire et puissante, au bugle délicat et tonique, il s’affirme comme la cheville ouvrière du groupe. Sur un beau morceau de Roy Hargrove, en hommage au musicien parti il y a peu, il nous a offert un solo remarquable de délicatesse. Tous les deux se connaissent depuis le conservatoire, ils partagent une technique impeccable et un sens du groove qui les portent sans fatigue. À l’amble ou en questions réponses, leurs phrases se mélangent et se parlent, s’étalent et rebondissent. Ils se comprennent sans se regarder, anticipent ce que l’autre va faire, devinent comment étayer, se faire discret ou prendre le relais, leurs improvisations à deux en vif argent scotchant tout le monde.
Après une douce ballade, le concert est encore monté d’un ton, les musiciens ont tombé la veste, et les morceaux de Lee Morgan ont fait le reste. Malgré l’heure tardive, la buée sur les vitres, pas de fatigue dans les yeux et pas de lassitude dans les oreilles. C’est debout que les spectateurs ont remercié ce quintet généreux, tonique , rempli de sourires et chants d’oiseaux colorés lorsqu’il a fallu tout de même s’arrêter.
Un vieux blues clôtura le rappel pour se quitter enchantés et conquis.
Merci donc à la jazz Compagnie pour cette belle soirée, si proche, si évidente. Car même si le jazz existe dans les grandes salles, ou dans les petits clubs, c’est aussi comme cela qu’il trace son sillon, vivant et actif, partagé par ceux dont c’est le métier mais aussi par ceux qui y consacrent leurs loisirs et leur énergie. Une même passion les unit.
Un chouette emballage cadeau où l’impro et l’amour de la musique ont déroulé de bien jolis rubans.