Par Vincent Lacrampe-Camus, photos Alain Pelletier.

San Sebastian, Plaza de la Trinitad

26 juillet 2018 21h00: Jacob Collier Quartet

Jacob Collier : chant, basses, clavers, percussions, guitare

Rob Mullarkey : basse

Pedro Martins : guitare

Christian Euman : batterie
Pour sa première fois à Jazzaldia et sa première fois avec ce son quartet, Jacob Collier a enthousiasmé de sa fougue et de sa bonne humeur communicatives toute la plaza de la Trinidad.

Ce concert (annoncé complet) devait être aussi une toute première fois avec Jacob Collier, pour beaucoup de spectateurs présents pour ce soir à Donostia.

Qui a vu au moins une fois Jacob Collier, ne peut oublier sa formidable énergie, sa voix d’ange, son groove, ses performances sur presque tout ce qui produit un son (piano, guitare, basse, batterie…), et sa façon si singulière de revisiter les standards de jazz et les tubes de la pop, du funk ou du rock.

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Vêtu, comme à son habitude, d’un tee-shirt trop grand et d’un pantalon sarouel aux couleurs rouge orangé psychédéliques, c’est pied nus, comme « dans sa chambre »*, et avec la même décontraction que ce londonien de 23 ans se présente sur la scène mythique et historique du festival de Saint Sébastien.

Son premier titre, « Don’t you know » est présent sur son album et sur le projet Family Dinner 2 du collectif Snarky Puppy dont Jacob Collier est un des amis et des prestigieux invités. Un titre puissant, rythmé, typiquement « collierien » avec l’utilisation généreuse de l’harmonizer, donnant à la voix, des tonalités presqu’irréelles.

« Hideaway », et son intro à 2 guitares poursuit le show. L’intro à 2 guitares de cette ballade permet d’apprécier l’étendue vocale et la richesse harmonique des arrangements faits pour le groupe. La formation en quartet, où chaque musicien participe aux chœurs, donne un autre relief aux compositions du jeune Jacob.

Le troisième morceau est la reprise du très populaire « On Broadway » de George Benson, réinterprété avec une rythmique à contretemps totalement bluffante. Au bout de quelques mesures, on oublie la version originale et on pourrait penser que ce tube a été composé au piano. Cela sonne, groove et s’envole. Jacob Collier, glisse au passage le gimmick bien connu de Makossa au piano, cordes étouffées… une vraie tuerie, comme disent les djeun’s.

Avec « In my room », chanson des Beach Boys et titre éponyme de l’album « studio » maison, Jacob calme un peu les spectateurs survoltés par le morceau précédent. L’ambiance surf de la Concha toute proche résonne dans cette mélodie suave au rythme lent. Les chœurs du groupe s’y illustrent à merveille.

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« Savior », morceau majeur de l’album est une prouesse tant musicale, que technique et vocale. D’abord à la contrebasse puis aux claviers, le frêle zébulon anglais montre que ses compositions sont le chaînon manquant entre Bobby McFerrin et Jay Z. Juste impressionnant en live.

Après la sympathique ritournelle « Hajanga », Jacob Collier entonne « Fields of gold » de Sting pour le plus grand plaisir de toute la place.

Après un medley Beyoncé, il revient pour un unique rappel, timing oblige, avec le célébrissime « Eleanor Rigby » des Beatles. Un pur régal pour tout le public qui découvrait ce soir un grand talent de 23 ans (allez, 24 ans le 2 août).

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Jazzaldia soufflait déjà ses 30 bougies et avait reçu tout ce que la planète jazz avait de meilleur que le petit Jacob n’était pas encore venu au monde… je vous laisse méditer là-dessus.

* son premier et unique album solo autoproduit s’intitule « in my room »

 

26 juillet 2018 22h45: Robert Glasper, Christian Scott R+R = NOW

Christian Scott : trompette

Robert Glasper : claviers

Terrace Martin : claviers, vocoder, saxophone

Derrick Hodge : basse

Taylor McFerrin : sons, rythmes, claviers

Justin Tyson : batterie

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Dans cette très fameuse cour de re creation* la jeunesse s’y précipite, pleine de fougue et d’excentricité, en ce 26 juillet 2018.

Le groupe qui monte sur scène à la nuit tombée est un all-star band contemporain. Robert Glasper claviériste fondateur de son groupe Experiment partage la vedette avec Christian Scott, trompettiste, nourri aux sons de sa Nouvelle-Orléans natale. Avec ces 2 têtes d’affiche, on trouve Terrace Martin, le musicien multi-instrumentiste du moment : saxophoniste, claviériste, compositeur et producteur de talents tels que Kendrick Lamar, Snoop Dog ou Stevie Wonder et aperçu récemment au sein du quintette de Herbie Hancock. Enfin, le claviériste, DJ et beatboxer de génie Taylor McFerrin qui a hérité de bon nombre de talent de son père Bobby, vient compléter la liste des pointures.

 

Tout ce petit monde est soutenu par la rythmique du bassiste Derrick Hodge et du batteur Justin Tyson (ex membre de l’équipe d’Esperanza Spalding).

D’humeur badine, ce qui n’est pas vraiment son habitude, Robert Glasper présente « Ze » groupe et se présente : « bonsoir je suis Herbie Hancock », dans un américain impeccable bien entendu, mais sans oublier de lancer un « Holà », très apprécié du public espagnol.

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Et c’est par la reprise ou plutôt la re creation de « Butterfly » de M. Herbie que le concert commence. 25 minutes de chorus de tompette, de vocoder et de solos de claviers, entêtants, presqu’hypnotiques. Une entrée en matière à la Glasper qui ne déçoit pas son public attitré.

Le concert enchaîne les morceaux longs, aux plans harmoniques et rythmiques complexes issus du nouveau projet, baptisé R + R = NOW.

Ce dernier est présenté comme une réflexion socio-politique et artistique sur la situation du monde actuel. Pas vraiment évident à la première écoute, mais on se laisse happer par le groove mid tempo, les son saturé de la trompette de Christian Scott, légèrement en retrait dans ce collectif aussi dense.

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Les ambiances s’enchainent, évoquent des champs déjà explorés par Experiment sur des thèmes tels que Sweetest Taboo de Sade. Taylor Mc Ferrin fait étalage de son monstrueux don de beatboxer, le batteur gratifie l’auditoire d’un solo mémorable. C’est du lourd.

Les titres s’égrènent en proposant des couleurs sans forme réelle, des harmonies sans mélodie, des chorus sans dialogue.

Lorsque la pluie s’invite pour jouer de quelques gouttes, la partition improvisée du projet R+R= NOW, de nombreux spectateurs quittent la place. Peu emballés, déroutés, effrayés par la pluie ou affamés… une bonne moitié de l’espace se vide, alors que l’averse cesse au bout de quelques minutes.

Une dizaine de morceaux singuliers, dans lesquels il faut entrer, se laisser emporter sont venus se poser dans l’air humide et rafraichi de la nuit. Un beau moment croyez-moi.
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* pour ceux qui ne connaissent pas la plaza de la trinidad, il s’agit d’un espace rectangulaire à ciel ouvert dans la vieille ville de Saint Sébastien, adossé au mont Urgull et lové entre l’église Santa Korda et le musée diocésain de la ville, et grand comme une cour d’école.