par Philippe Desmond, photos Alain Pelletier

Festival Jazz et Garonne, théâtre Comoedia, Marmande, vendredi 8 octobre 2021

Onzième édition du festival Jazz et Garonne organisé par l’association les Z’Arts de Garonne avec la ville de Marmande et Val de Garonne Agglomération. A la tête de ce bel évènement Myriam Esparcia et Eric Séva. Contre vents et marées les responsables associatifs et institutionnels on maintenu le festival, même l’an dernier. Bravo à eux à une époque où la Culture est devenue non essentielle ; pour eux, et pour nous elle l’est.

Daniel Zimmermann quartet

Avec un CV long comme la coulisse de son trombone, Daniel Zimmermann, couvert de prix, fait partie de l’élite de son instrument mais il est aussi compositeur et ne se cantonne pas à un rôle d’accompagnateur. Ainsi dans son quartet c’est lui le soliste principal, pas forcément courant pour un tromboniste. L’autre soliste est encore plus insoliste, c’est Rémi Sciuto au saxophone basse, instrument rarissime qui quand on a l’occasion de le voir sorti de son étui, est plutôt réservé à l’accompagnement rythmique. Il l’est bien sûr ici avec ce son caverneux tellement accrocheur. Si on ajoute le piano préparé de Benoît Delbecq avec ses petits bouts de bois et autres artifices accrochés sur les cordes, voilà un attelage assez inhabituel d’autant que le pianiste distille aussi quelques surprises numériques. Bon il y a quand même un batteur, un bon même, que dis-je, époustouflant. On apprend en effet de la bouche de Daniel que le jeune franco-belge, ou l’inverse, Samuel Ber fait un « rempla » comme on dit dans le métier et au pied levé (position habituelle chez un batteur mais très furtive) ; il n’a jamais joué avec le quartet complet, juste quelques réglages avec son pianiste quelques jours auparavant. J’avais bien remarqué qu’il lisait beaucoup en jouant, ça m’avait étonné. Il a fait une prestation incroyable de créativité, de spontanéité faisant même l’admiration de son leader. A suivre ce jeune homme de 26 ans parti récemment de Bruxelles vers Paris.

C’est beau le trombone, cette vibration, ces changements de vitesses instantanés, ces variations de sonorités des plus fines aux plus énergiques, bouché, nature ou avec pédale wah-wah. L’originalité des compositions et le jeu de Daniel Zimmerman ajoutent au plaisir ; incroyable chorus en respiration circulaire . Ah ce crapaud buffle débonnaire qui fait sa parade nuptiale, ces « Moutons de Panurge » qui se jettent gaiement et stupidement dans le vide sur un tempo délirant… et amusant, ce « Vieux Robot » cabossé qui tente un come back un peu lourdaud. Le son du sax basse apporte beaucoup à cette musique, l’ensemble me faisant penser parfois à Lester Bowie et son Art Ensemble, ces sons bien ronds mais qui quittent de temps en temps cette rondeur pour des fulgurances. Placé où je suis j’entends moins le piano, mais je déguste certains passages où sur le même clavier du demi-queue, la main gauche joue elle du piano, la main droite du marimba ou de la kora. Très intéressant ces artifices.

Si on ajoute l’humour réel et parfois un peu noir des interventions de Daniel Zimmermann voilà une première partie qui en vaut bien des secondes ! Tout cela est restitué dans l’excellent album « Dichotomie’s »

Franck Tortiller

« Back to Heaven – Led Zep. Chapter II »

Je l’avoue, je suis venu pour ça. Je me souviens de la première fois où j’ai entendu Led Zep, j’avais 15 ans et c’était en attendant le film proposé au ciné-club de l’internat de mon lycée talençais. C’était « Communication Breakdown », le premier album du groupe venait de sortir. Un long parcours de fan commençait toujours pas interrompu.

En 2006 à St Médard en Jalles, j’avais vu l’Orchestre National de Jazz alors dirigé par le même Franck Tortiller pour sa création « Close to Heaven » le Chapter I donc, même s’il ne le savait pas encore ; grand souvenir. Quant aux vrais, malheureusement je ne les ai jamais vus, « seulement » Jimmy Page et Robert Plant en 1998 à la Patinoire et en 2005 Plant à la Médoquine. Regrets éternels. Ils nous avaient à chaque fois, après avoir joué leur répertoire du moment, gratifié de quelques titres légendaires de Led Zep. Là aussi on était tous venus pour ça !

Ce soir c’est un nonette avec autour du leader Franck Tortiller au vibraphone et bien sûr aux adaptations, Matthieu Vial Collet dans les rôles de Jimmy et Robert (il chantera sur un titre), de Jérôme Arrighi dans celui de John Paul Jones et de Vincent Tortiller, le fils, dans celui de Bonzo, sans les excès scéniques et hors scène m’a t-il avoué. A ce combo de base s’ajoute une section avec en invité Eric Séva (sax ténor et soprano), Olga Amelchenko (sax alto), Gabrielle Rachel (trombone), Joël Chausse (trompette et trompette piccolo) et je l’ai gardé pour la fin Maxime Berton (sax ténor) ; ce dernier plâtré aux deux poignets qu’il s’est cassés, suite à une chute de vélo, arrive tout de même à jouer parfaitement !

Sur le premier titre « Achille Last Stand » ça bastonne de suite, les cuivres répondent au trio, le vibraphone assurant la mélodie. « All My Love » où le vibra remplace la voix, puis « Dazed and Confused » en jazz avec ce riff de basse reconnaissable à des kilomètres, ces explosions où ici les cuivres chauffent à blanc ; solo d’Olga, puis de Matthieu, les poils se hérissent, on y est.

« The Crunge » et lui aussi son riff tournant et saccadé, les musiciens se régalent autant que nous. Retour au calme avec « Going to California », de magnifiques harmonies des cuivres et Matthieu qui se lance dans un défi irréaliste, remplacer Robert Plant ; mais ici dans ce nouvel écrin ça marche ! Tiens j’entends le riff de « Whole Lotta Love » qui disparaît de suite dans « Nobody’s Fault but Mine ». Franck Tortiller me dira que dans la plupart des morceaux étaient cachées des citations d’autres titres de Led Zep ; j’en ai raté pas mal !

Au fait tout cela est vraiment du jazz pour ceux qui seraient encore sceptiques, les thèmes, puis les impros, la liberté, les chorus, les unissons, les dialogues, tout est là ; quel travail d’adaptation ! Voilà le titre plus folk, voire médiéval « the Battle of Evermore » puis la ballade « Ten Years Gone » en quartet seulement sans la section. Moments de douceur avant le fulgurant « Immigrant Song ». 50 ans déjà, la plupart des musiciens sur scène n’étaient pas nés, seulement Franck et Eric et encore ils étaient bien jeunes !

Rappel, avec une évocation du nécessaire « Stairway to Heaven » au vibraphone seul, enchaîné sur le hard rock-hard bop de « Moby Dick » et quelques riffs de « Black Dog ». Monumental !

Bonne nouvelle de la bouche de Franck Tortiller, un album à venir bientôt.

A Marmande on est bien reçu, un pot clôturait la soirée au Moulin Rouge ! Oui juste de l’autre côté de la rue en sortant du théâtre Comoedia, une salle de danse. Quel plaisir de converser avec ces jeunes musiciens, moi l’ancien combattant (des lignes arrière) du rock,  certains, comme Vincent, le fils de Franck Tortiller, ont découvert Led Zeppelin lors des premières répétitions ! Led Zep une musique tellement riche et qui n’a pas vieilli contrairement à celle de certains groupes de leurs contemporains, la preuve on la joue encore et de façon magistrale comme ce soir.

Retour à Bordeaux en compagnie de Led Zep à fond dans la voiture, ils figurent bien sûr sur l’inévitable clé USB nécessaire aux véhicules actuels ; non vraiment ça n’a pas vieilli, moi si…

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