par Anne Maurellet

  • Jazz à Luz 13/07/2019

JazzàLuz

The Hatch
Mette Rasmussen, saxo
Julien Desprez, guitare

Éclatement des sens, Rimbaud n’a qu’à bien se tenir. Coït ininterrompu, continu, hystérie du son à son atténuation aiguë. Laisser la folie sortir des pores. C’est le monde grouillant du psychisme. Au moins…
Parfois un énorme paquebot passe dans la brume ténébreuse; le laisser passer.
Peut-être qu’ils n’en veulent pas de notre monde, peut-être qu’ils le crient, que leurs instruments le crient, comme deux enfants qui se rouleraient par terre pour refuser. C’est fort. Impertinent. Le soleil est vert, la terre jaune, l’eau rouge. Cette musique est un feu d’artifice qui nous explose au visage. Le poing sur la guitare, encore du son. Des décharges électriques cérébrales. Eraser head.
Torsions, distorsions, éclatement de tous les sens

  • Jazz à Luz -14/07/19

Sidsel Endresen, voix
Stian Westerhus, guitare amplifiée

Onirique est un vain mot. Elle, jongle avec les mots qui surgissent de sa bouche et entre dans un univers aux particules qui s’entrechoquent. Les syllabes deviennent des poèmes.
Lui, est suspendu au-dessus de sa guitare  dans la quatrième dimension, les sons sont l’écho des mots. Tout est disjoint. L’harmonie est un chaos incroyablement organisé. Il est venu de Mars, il nous fait des signes, gardons-le le plus possible avant qu’il reparte. La langue, du suédois ou autre, quelle importance, on voit que la poésie vient de la douceur, de la sensualité, de la violence, du heurt, du lié. Elle a repris les mots dans sa bouche en forme de borborygmes pendant qu’il lui susurre son archet. Susurrements, chuintements; reste parfois l’air subtile, souffle humain réduit à sa plus simple création, halètement, onomatopées, du rythme là au creux des mots, une musique ancestrale – des peuplades savent encore, elles aussi.
La guitare avance sa répartie, électrifiée, amplifiée, devenue aussi distordue, elle distend, traduit, éclate.
Elle, est une sculpteuse et la guitare contemporaine a trouvé sa conteuse. Les deux langages se séduisent et finissent par ne faire qu’un, l’un contaminé par l’autre, consentants.
Puis il repart, lui, dans son vaisseau sidéral. On le suit des yeux, pris dans ses ondes de choc. On est son « féal ». Sidérant!

  • Jazz à Luz 14/07/19

Noorg
Eric Brochard, électronique, objets
Loïc Guénin, électronique, objets

Pluie éparse sur champ d’altitude. Une porte s’ouvre peu à peu, rouillée, discrètement grinçante. Accepter d’être submergé(es). Les gouttes se densifient. Une contrée asiatique. Le rideau d’eau nous entoure. Les cloches de vaches tibétaines surgissent du bol : on verrait apparaître un troupeau dans la brume envahissant le plateau. Vérité de la musique, illusion de la nature…
Avec quelques objets et de l’électronique, ils construisent un monde nouveau, à venir qui fait écho à la majesté impassible des montagnes. Le décor réel se théâtralise. Des nuages glissent en se déformant. Une immense vague céleste vient nous emporter. Nous la laissons nous envelopper.
Un caillou est posé sur une note du clavier. La poésie est en œuvre ; on pense à Magritte. Glisser les doigts sur une ficelle amplifiée devient grondements telluriques. La vague nous recouvre, mais pas de noyades. Les poumons pleins d’eau : acceptation. Envahi(es)  : accord.
Une scierie sous-marine prend forme. Le travail, le feu, les éclats lumineux qui jaillissent du fer. Elle se déplace, fantôme rouillé à l’envie.

Noorg

Une mandoline est tendrement assiégée par un tube en acier ; ainsi cajolée, elle devient machine à produire on ne sait quel métal. Minéralité de l’espace musical.
La mer est sombre et le bateau fantôme choque quelque récif.
Des cloches au lointain, cailloux frappés : on aperçoit encore la surface de l’eau, l’onde, mais on veut rester au fond dans cette curieuse plénitude, berçante malgré son apparente inquiétude. Immersion. C’est comme si l’espace mental était envahi. Quelques grillons jetés ça et là. Poésie sensorielle.
Le son s’éloigne. Ne pas chercher à le retenir. Le garder en soi, paisiblement, comme la « petite musique » de l’infini.

  • Jazz à Luz – 14/07-19

Eric Brochard, contrebasse

Son venu du fond des temps, sobre, profond, obstiné, création de l’homme comme les peintures rupestres dans les cavernes.
Symphonie émergente pour contrebasse solitaire que les grillons ont choisi d’accompagner? On pense à la sculpture du bois, la main ouvrière, l’artisanat de l’art dans sa plus belle expression, l’authenticité du jeu pour que le son s’en échappe miraculé du superficiel ; l’archet vient sophistiquer l’ouvrage, plus harmonieux sans doute, une couche.
Une voix gutturale, corde supplémentaire, quelque transe chamanique. C’est une entrée en profondeur. La montagne entend-elle? Nous, nous imaginons un rite initiatique.
Retour aux sources…

  • Jazz à Luz -15/07/19

Duo Mette Rasmussen et Camille Emaille

Mette Rasmussen, saxophone alto (et autres…)
Camille Emaille, percussions

Duo Mett-Camille

Atmosphère, atmosphère, est-ce qu’elles ont une gueule d’atmosphère ? Oui ! et une belle gueule toutes deux avec une belle âme… La richesse de l’à peine, le juste près, le presque avant qui est encore de la musique. Le subtil, le délicat. Frôlements d’élytres, papillons butinant quelques fleurs offertes. Elles préparent leurs instruments et en cherchent l’infiniment petit. Le saxo chatouille un petit tambourin. Chamallowisation du son, à l’orée de la bouche et de l’embout, il y a du son à chouiner, humour musicien, quelle inventivité ! Suintement, chuintement, la batterie a déplacé ses sons, furtifs, déclinés, détournés. Même un morceau de polystyrène trouve sa voix… Le Tom basse a reçu l’archer, les  archers sur les fils tendus, soulevés par une boîte de conserve défoncée. Variations infinies de sons délicats dans une free improvisation. Elles ne se connaissaient pas ?!

Too much talking ponctue Mett : parle-t-elle des mots ou de son saxo follement maîtrisé ? La batterie a une réponse, tout aussi virulente. Elles ne s’en laissent pas conter, elles y vont, dans tous les lieux de l’inenvisageable. Mett accueille la nature avec un pépiement d’oiseaux au bout de son sifflet genre Rossignol dans cette salle dont les murs ont fondu pour nous montrer les prairies pyrénéennes…Camille jette quelques pois chiches sur les peaux de sa batterie, un frais fourmillement de l’invention.

Après l’air, l’eau…du saxo ! Mett se balance toujours un peu, mais pas question de comptine ici. Une gorgée d’eau liquéfie le saxo, la batterie tient un grondement boisé et accueille maintenant les deux petites flûtes de Mett qui divise ainsi les sons, comme une nature épanouie. On se verrait bien sûr sur les hauts plateaux ; le vent glisserait un doux bruit venu de l’étranger dans nos oreilles attendries comme on apprête une viande pour plus d’onctuosité. Quelques cloches résonnent au loin, un défilé de bêtes sauvages descend des crêtes. Ne pas bouger. Juste écouter l’envahissement progressif de la peau, en réalité irradiée…

  • Jazz à Luz – 15/07/19

Duo Luis Vicente & Julien Desprez

Julien Desprez, guitare
Luis Vicente, trompette

On a ouvert la ruche : ça grouille, ça labeure frénétiquement. Quelques faux bourdons s’aventurent : Julien est une pile électrique, 10 000 volts à l’intérieur, autant sur la guitare qu’on la verrait se tordre quand il vibrionne. Les abeilles n’ont de cesse de s’agiter sous ses doigts. Peu à peu, on a la tête qui s’y enfonce. La trompette de Luis Vicente se déforme elle aussi -une montre à la Dali- Enfin un aéroplane, là, dans le ciel de la vallée et puis, à nouveau frelon à l’agonie, piqué par les abeilles insolentes, rendant ses derniers bourdonnements : il se débat le bougre.

Là, on est sur un chantier de construction ou déconstruction….marteau piqueur trompetteux, pelleteuses, du laser pour impacter les murs et les voir s’écrouler. Des machines se dérèglent. Reste là poussière, quelques gravats, et peut-être la sueur des ouvriers. Un hélicoptère survole la scène. Reste la désolation. De la musique encore.

….
J’ai quitté Jazz à Luz, la joie dans l’âme!