Interview : Christian Paboeuf et ses chemins aléatoires

propos recueillis par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat.

A l’occasion de son passage aux « Jeudis du Jazz » de Créon, nous avons pu interviewer Christian Paboeuf venu présenter son projet « Les Chemins Aléatoires », un moment bien sympathique.

Action Jazz : Présente toi d’abord, je sais que tes chemins s’ils n’ont pas été aléatoires n’en sont pas moins variés.

Christian Paboeuf : Le début de l’histoire c’est en Bretagne, au conservatoire avec des études classiques en hautbois, après à Limoges avec Bernard Hennequin un des deux grands hautboïstes de l’époque et très vite, au bout de trois ans j’ai commencé à jouer en groupe, du rock progressif. J’ai même joué du Deep Purple au hautbois ! Je dis souvent que je ne voudrais pas réécouter ce que ça donnait! Après maintes péripéties je suis arrivé en Dordogne où j’ai rencontré Jean Lapouge qui a créé une musique qui nous a fait un moment flirter avec ECM ; mais on était trop jeunes à l’époque et on a un peu cassé le jouet. C’était en 80-81. Je suis devenu prof de musique dans une petite structure, pas toujours bien payé puis j’ai travaillé assez vite avec une compagnie de théâtre , le Chantier Théâtre, avec laquelle on a fini par obtenir un Molière. J’ai joué en 92 avec lOrchestre Régional de Jazz dirigé par Marc Depond avec tous les gens de Bordeaux, Yves Carbonne, Denis Gouzil, Serge Moulinier, Christian Vieussens… En 1996 j’ai monté mon premier projet, un duo avec mon frère Daniel qui s’appelait et s’appelle toujours « Il Monstro », transformé plus tard en quintet. Un groupe qui a tourné pas mal. Parallèlement j’ai joué assez vite avec Christian Vieussens dans sa compagnie avec Pierre Thibaud, puis Régis Lahontâa (les deux avec lui aujourd’hui NDLR). Il y a deux ou trois ans j’ai voulu revenir à la scène car je faisais beaucoup de ciné-concerts et de travail pour le théâtre. Toutes ces choses là m’ont fait jouer un peu partout dans le monde , à part en Océanie je suis allé partout.

AJ : Tu as donc beaucoup travaillé caché, pour le théâtre, le cinéma, et tu avais envie de retrouver le public, de te mettre en danger en live ?

CP : Oui quand on joue en ciné-concert on est plutôt dos au public, tourné vers l’écran et dans le noir et l’idée m’est venue de rejouer de la musique de concert. J’ai demandé à Pierre qui ne m’a quasiment pas quitté depuis 1996 et à Régis avec qui nous avions joué pour le dernier projet de Christian Vieussens. Pas contre Xavier Duprat je ne le connaissais pas, c’est par l’entremise de différentes personnes dont Pierre que je l’ai rencontré. Et j’ai bien fait ! Surtout que le piano est un des instruments que je torture avec des parties très complexes qui nécessitent une indépendance des mains, ce n’est pas que de l’accompagnement. Je schématise, le jazz ce n’est pas que ça bien sûr. Ma musique nécessite vraiment une autonomie de chaque main car c’est très contrapuntique, beaucoup de contre-chants.

AJ : Et donc voilà le hautbois qui comme un intrus débarque dans le monde du jazz ?

CP : Oui, il y a eu deux trois choses déjà , Oregon avec Paul McCandless, un peu dans John Coltrane qui était là en petite amuserie. Non j’exagère, en ambiance plutôt modale, un peu cliché comme dans la variété ou dans le rock.

AJ : il me semble en entendre chez King Crimson ?

CP : oui, dans le troisième album « Lizard »

AJ : la frontière est à la croisée de diverses musiques, du jazz on retrouve la liberté et le rythme alors que les lignes mélodiques vont puiser dans le classique , ça m’évoque Satie parfois, la musique contemporaine , le folklore, le baroque, la musique légère… Elle vient des nombreuses séances de ciné concerts ?

CP : en fait j’ai travaillé dans de nombreux domaines, musique contemporaine, classique, jazz, rock mais je ne veux pas faire un patchwork. Après maintes et maintes années en écrivant pour tant de projets j’ai construit mon langage et je ne peux pas dire si c’est plus ceci ou cela. Ce groupe-là a quand même une fondation plus jazz

AJ : oui on le sent vraiment. Quelle est la part d’improvisation dans cette musique très écrite ?

CP : il y a en effet pas mal de travail d’écriture mais l’improvisation y est très mêlée et mon imaginaire venant du cinéma, me permet de faire venir, grâce à la « machinerie » de Xavier au clavier, des petites choses étonnantes. Je tiens beaucoup à la poésie et de petites surprises viennent ponctuer certains morceaux, venant de ma culture théâtrale et des ciné-concerts.

AJ : On passe d’une musique pleine de sensibilité, dont le timbre fait de suite partir ailleurs, à des boucles rythmiques envoûtantes comme dans « Un certain gris » flirtant avec le free, le final au sax ténor en particulier.

CP : oui, c’est mon frère qui est en invité sur le disque. Avec lui il y a aussi une amie japonaise avec qui j’avais fait une mise en scène, sa voix est présente en off. Mon frère joue en effet des parties plutôt free et il n’est pas exclu que le groupe plus tard se transforme en sextet et même plus. J’adore l’orchestration, j’ai écrit pour Metropolis de Fritz Lang, une partition pour orchestre symphonique, je n’ai aucune barrière. Je ne dirais pas que je n’ai aucune peur mais même si j’ai peur j’y vais ! (rires)

AJ : Les titres sont pleins de fantaisie « Oh la belle voiture », «  D’une humeur quelque peu changeante », « Mille et un petits suicides » même si lui n’est pas très gai , mais ils sont surtout en français, ça change !

CP : C’est mon monde, je ne tiens pas être absolument original dans ma démarche, dans ma musique si bien sûr, mais ma poésie est plus à l’aise avec la langue française, c’est comme ça que je m’exprime. Pour la fantaisie c’est toujours à double tranchant . « Oh la belle voiture » est tiré d’un ciné concert avec Harold Lloyd et c’est en effet plutôt drôle. Pour « Mille et un petits suicides » je l’ai joué bizarrement dans un contexte d’enterrement, sans dire le titre mais en fait c’est une scène hilarante dans un autre Harold Lloyd où le personnage essaie de se suicider de plein de manières différentes et n’y arrive pas bien sûr. Sur le disque il est plutôt joué avec mélancolie.

AJ : Comment se fait la musique, mélodie, arrangements

CP : ouh alors là ! Le monde harmonique est très important pour moi mais tout vient en même temps. Mais les mélodies sont vraiment liées à l’harmonie. Ce que j’essaye de faire c’est toujours de la danse, même si c’est complexe pour les musiciens. Quand il y a des mesures composées, des mesures complexes, cela reste toujours dansant, je ne cherche pas à faire de la musique contemporaine forcément complexe, ça ne m’intéresse pas, et il y a des réminiscences, je travaille beaucoup sur des choses qui vont suggérer d’autres choses, peut-être dans d’autres musiques. C’est toujours la poésie et la sensibilité que je recherche

AJ : Certains pourraient qualifier cette musique de complexe, personnellement je ne le trouve pas, il suffit d’oublier tout le reste et de se laisser embarquer et se laisser surprendre.

CP : oui c’est ça, j’ai remarqué beaucoup de choses en faisant du ciné-concert, les gens venus voir le film venaient me voir à la fin me dire que la musique était super alors qu’ils seraient venus dans un autre contexte ils n ‘auraient trouvé cela « que » complexe. Là ils s’étaient laissé embarquer, c’est comme ça que ça devrait marcher, pas d’à priori dicté par l’habitude.

AJ La suite avec cette terrible période ?

CP : ça va être complexe, c’est déjà complexe. On est parti sur les chapeaux de roue au niveau de la critique, on a eu des retours magnifiques mais aujourd’hui c’est notre dernier concert avant le mois de mars, c’est très dur. Je continue à prospecter tout comme mon manager Jean Philippe Lajus qui travaillait avant avec Didier Lockwood.

AJ : merci Christian et bon concert de soir !

Chronique du concert à suivre…

Site web : « Il Monstro Prod » https://ilmonstroprod.fr/