GUILLAUME BARRAUD – MATHIEU BELIS – « ESTAMPES »

Pépite 5 étoiles

Sorti le 04 Novembre 2022 chez B&B Productions

Chronique de Martine Omiécinski le 29 Décembre 2022

Duo : Mathieu BELIS : Piano, compositions / Guillaume BARRAUD : Bansuri (flute), compositions

Invité : Kevin SEDDIKI : Guitare (3 et 5)

Il est des créations qui vous happent, vous enveloppent, vous inspirent, à tel point que, quand il s’agit d’un album, vous le passez en boucle, que l’entourage aussi en redemande et que chaque nouvelle écoute vous fait découvrir de nouvelles subtilités ! Celui-ci en fait partie !

L’originalité de ce duo : Piano / Flute est, bien sûr, une des raisons de ce coup de cœur !

Présentons d’abord les protagonistes et leur cheminement jusqu’à cet album :

Mathieu BELIS (prononcer Bélis) est un pianiste immergé jeune dans la musique classique puis contemporaine, après l’écoute d’un disque de piano solo de Chick COREA, il se met à l’improvisation en autodidacte avec de multiples influences comme Keith JARRETT, Anouar BRAHEM, les musiques du Moyen-Orient et du Maghreb, etc….Puis à la Bill Evans Piano Academy à Paris poursuit sa quête de savoirs très attaché aux harmonies, aux rythmes et aux émotions, le pianiste devient ainsi compositeur.

Guillaume BARRAUD étudie d’abord la guitare et la batterie puis découvre la « Bansuri », cette grande flute traversière indienne classique en bambou (qui couvre 2 octaves et demi), sans doute le plus ancien des instruments de l’Inde du nord. Il étudie cet instrument avec le maître incontesté : Hariprasad CHAURASIA. D’abord concertiste au service de la musique d’Inde du Nord, il trace son propre chemin avec cet instrument vers un univers jazz et world music ou l’improvisation et la composition le guident.

La rencontre de ces deux musiciens sera à l’origine du KARVAN trio (avec un percussionniste oriental : Mossi Amidi FARD), il y a une dizaine d’années.

Pendant la période sans concerts COVID, les 2 compères développent leur projet de duo d’où émergent 13 compositions : « ESTAMPES » comme un kaléidoscope de climats et d’images qui génèrent beaucoup d’émotions. L’osmose entre les deux joueurs permet cette impression fusionnelle et/ou complémentaire des 2 instruments.

Kevin SEDDIKI à qui ils ouvrent leur univers pour 2 morceaux, est un talentueux guitariste classique (également percussionniste et compositeur). Il a partagé ou partage la scène avec Al DI MEOLA, Dino SALUZZI, Bijan CHEMIRANI ou encore Anouar BRAHEM ou Renaud GARCIA FONS !

Bon, il est temps de découvrir parmi les 13 propositions qui vont d’un peu plus d’une minute (3 œuvres) à 11 minutes celles qui m’ont fait voyager le plus loin :

« Major Minor » : pour la belle construction rythmique à la fois fluide et martelée, pour le son entremêlé des 2 instruments (piano et Bansuri) vraiment inédit, pour le dialogue subtil d’improvisations.

« Filature » : pour les accents « Jarrettiens » repérés dès la première écoute, avant de voir qu’un titre lui était dédié

« Ballade du Duke » : pour les couleurs Ellingtoniennes de ce morceau plein de sensibilité où le piano de Mathieu BELIS déroule doucement la mélodie. Les volutes de flute de Guillaume BARRAUD s’y enroulent ; la guitare de Kevin SEDDIKI vient sublimer le tout dans des nuances orientalistes.

« Perfect Blue » : pour l’atmosphère en apesanteur que suggère la délicatesse de jeu des 3 instruments à nouveau réunis, bleu de Klein peut-être, bleu zénitude sans doute ! Dans tous les cas pour ce voyage envoutant vers l’Orient rêvé.

« Parade of Stars » : la flute s’envole et s’entrelace avec les notes du piano dans de beaux « andante » pour un long duo allègre et itératif. On pense bien sûr aux ragas indiens, le piano se fait tabla puis prend des accents plus andalous !

Ce patrimoine musical du sud de l’Espagne a influencé beaucoup de musiciens de jazz, Keith JARRETT bien sûr (dans l’album « Arbour Zena » de 1976 notamment avec Jan GARBAREK (pas une flute mais un saxophone !), Miles DAVIS et son album « Sketches of Spain » en 1960 pour ne citer qu’eux.

« Marche lunaire » : pour la tendre mélodie au piano, la flute qui entre en scène aérienne, en suspension comme le temps qui semble s’arrêter devant tant de poésie.

« Jarrett » : pour l’entame aux sons graves apportant mystère et lyrisme, pour le jeu répétitif d’une main au piano et très volubile de l’autre comme si le double de Keith JARRETT jouait aussi avec eux ; pour l’équilibre parfait entre l’harmonie et l’ancrage rythmique : Sublime !

« Une vague sur l’océan » : pour les riches improvisations semblables aux vagues de l’océan : à la fois récurrentes et surprenantes de créativité.

Même les 3 petits « intermèdes » d’un peu plus d’1 minute chacun sont irrésistibles.

Bref un album indispensable, un très grand moment de musique dont on ne se lasse pas !