Rocher de Palmer / Cenon Bordeaux / 12 mars 2019

Texte : Annie Robert
Photos : Philippe Marzat

Est ce que l’on présente encore François Corneloup et son baryton tellurique, ses multiples expériences et collaborations, son goût pour l’incongru et l’ inattendu ( l’in-oui comme dirait son camarade Lubat) ?
Qu’il soit en duo jubilatoire avec Franck Tortiller, en sextet avec le Peuple Etincelle pour un renouveau réjouissant du bal trad,
du plus évident au plus complexe, il sait tout jouer mais il mène sans faillir sa conception de l’artiste– musicien, généreux, ouvert, interrogeant en permanence la création artistique, la remettant sur le métier, défendue, sublimée, transformée… François Corneloup quoi… du jeu et de la pensée. 

Ce soir, c’est donc la Révolut!on
camarades ! Le grand soir! Le bouleversement!
Une nouvelle formation, un nouveau projet. Entouré de trois jeunes musiciens de grand talent :le tromboniste Simon Girard, le bassiste  Joachim Florent, le batteur Vincent Tortiller, ainsi que de l’expérimentée pianiste de jazz  Sophia Domancich, c’est à un jazz à la fois populaire mais contemporain qu’il nous invite, un cycle de renouveau, porté par son baryton flamboyant et vivant ( je soupçonne cet instrument d’avoir une « anima » en dehors de son musicien.. !) .
 

Le concert débute par un sax solo, très pur et très puissant, qui va dérouler le thème repris en feuilleté par le trombone puis par l’ensemble de la formation avec une batterie très terrestre, très pulsée, très rock et une basse qui ne l’est pas moins. Nous voici entraînés dans une déambulation de sons charnus, moussus, éclatants, des sons qui étonnent, qui questionnent. Venez donc par ici qu’on vous réveille, qu’on vous scandalise, qu’on vous émerveille, qu’on vous inconforte, qu’on vous charme le souffle et l’oreille par un débit tonitruant et physique. Un tourbillon avec des ostinato clavier / batterie permanents se mêle à des moments harmoniques des cuivres faisant respirer ce premier morceau qui se déroule en un grand maelstrom ( un 1/4 h tout de même…).

Dans ce chaudron pansu les répétitions éclairent, les amalgames se créent, les sons s’agrègent, finissent par vivre, s’individuer, se croiser et se plaire. Le groove est à l’affût bien sûr, parfois éclate en cavalcade, se recache à nouveau, pour revenir sur les touches du clavier, ou la coulisse du trombone.

Mais c’est dans l’énergie généreuse des timbres et dans une rythmique permanente que se situe l’essentiel des compositions. Le second morceau sera dans cette optique. Porté par un gimmick, déroulé d’ abord à la batterie, puis éclairé au piano, il se colore de flamme avec les deux cuivres, martelé de rock par une belle basse très parlante. On croirait voir les tourbillons des eaux de Garonne un jour d’orage, disparaissant par endroit, ressurgissant à d’autres, plus forts que les tronc d’arbres, que les cailloux, semblant inorganisés, imprévisibles, complexes mais finalement pensés. François Corneloup a fait le choix de morceaux longs avec de belles plages d’intro, et des moments d’expressions improvisés où chaque instrument a le temps d’affirmer sa couleur. Le 3° morceau se structurera de cette façon avec une intro aux claviers onirique et douce ( ah les belles harmonies de Sophia Domancich) qui amorcera un dialogue léger, presque amoureux, peu courant avec la basse, contrebalancé par l’âpreté du jeu de la batterie et le fleuve roulant reprendra ses droits, dressant les obstacles et perturbant le flux..

                                                                
Le 4° morceau intitulé Avant la danse mettra en relief le saxophone et la maîtrise que François Corneloup possède dans tous les sens du jeu: sons filés, dissonances harmoniques, sauts rythmiques, poussant son instrument jusque dans ses retranchements, du feulement du tigre au grincement du grillon, des souffles de forge aux appels de la Loreleï. Le dernier morceau nommé un coeur simple en hommage à Flaubert sera porté par un trombone tendre, mélancoliquement blues. Puis la rythmique roulante, au cœur du projet va reprendre le dessus, jusqu’à l’obsession, pour finir dans un souffle apaisé, un vaste océan enfin atteint. Inutile d’ajouter que tous les instrumentistes sont parfaits, denses, présents aux autres, cela s’entend immédiatement.  
Un rappel avec une pulsation de tous les diables autour du morceau des Beatles Tomorrow never knows concluera ce concert décoiffant.

Cette Révolut!ion avec ses colorations de funk, de rock, ses pépites mélodiques, ses changements de pieds, sa diversité et sa forte pensée est d’une incroyable richesse.
Pas de celle qui amollit, ou qui rend égoïste. C’est la richesse du partage, du roulé boulé dans les champs, du décrassage des habitudes. On en redemande.
Bref une Révolut!ion, une vraie, celle de François Corneloup. ! En avant camarade, la musique est au bout de l’engagement !!