par Philippe Desmond

Chez Indira, dimanche 30 mai 2021.

Les oiseaux gazouillent, les grillons stridulent, apparemment eux-aussi sont sous le charme de la musique qui nous est proposée sur la terrasse de cette maison, au milieu des bois denses de l’Entre-deux-Mers aujourd’hui plutôt Entre-deux-Mondes. Ceux de la musique occidentale et de la musique indienne pour faire court, tant les deux sont riches. Nous voilà réunis chez Indira pour du « jazz indien », une jonction assumée entre le jazz et les ragas indiens. C’est le trio Prana Bis qui nous propose ce voyage musical car il s’agit bien de cela.

Le groupe a été créé en 2014 par le poly-instrumentiste et compositeur Etienne Rolin aujourd’hui à la flûte bansuri. Le franco-américain, installé à Bordeaux où il enseigne, s’est déjà frotté à de nombreuses musiques après son apprentissage avec quelques célèbres professeurs comme Nadia Boulanger, Olivier Messian ou encore Iannis Xenakis.

Etienne est en perpétuelle recherche musicale. Il a ainsi proposé au guitariste de jazz Patrick Bruneau de tirer un pont entre l’univers Hindoustani et celui du jazz.

Matthias Labbé le percussionniste, tombé tout jeune amoureux du monde des ragas a complété le trio, il joue aujourd’hui des tablas.

Pour nos oreilles d’occidentaux, la musique hindoustani n’est pas simple à aborder, elle peut désarçonner par sa complexité, sa structure différente, ses rythmes à 7, 13 ou 16 temps. Le bourdon permanent du tempura – ici numérisé – lui ajoute cette touche insolite qui la rend identifiable immédiatement. Richesses rythmique et harmonique sont toujours au rendez-vous mais dans des registres inhabituels. C’est Patrick Bruneau qui a pris le rôle d’architecte pour construire ce pont entre deux rives lointaines. Il a apporté les matériaux qu’il connaît, les mélodies, les harmonies et les accords qui n’existent pas dans la musique indienne. Armature commune aux deux univers l’improvisation, elle va être permanente une fois les thèmes lancés. Les regards se croisent, l’attention mutuelle est au sommet. J’ai déjà assisté à des concerts de musique indienne (le premier en 1976 avec le Shakti de John Mclaughlin) de raga, mais là je me sens davantage à mon aise, la fusion fonctionne, je m’y retrouve davantage, je reconnais des repères où m’accrocher grâce à la guitare, une magnifique demi-caisse jazz Godin.

Chacun à tour de rôle pénètre dans l’univers de l’autre, puis se fond dans l’ensemble. Les doigts d’Etienne Rolin cheminent sur la flûte bansuri qui joue les mélodies foisonnantes, ceux de Matthias Labbé font vivre les tablas, révélant ces sons caractéristiques, aigus ou graves selon la taille de ces petits tambours. Les deux nous portent vers cette Inde lointaine, la guitare nous ramenant « chez nous », les trois nous emportant d’un coup ailleurs. C’est très beau tout simplement.

A la fin de ce concert chez l’habitant qui a charmé une grosse vingtaine de personnes, Etienne Rolin toujours à l’affût de nouveautés, nous a joué du Glissotar cet instrument à vent dérivé du tarogato hongrois et que pratique aussi un certain Joe Lovano… Un bois conique avec anche et à la place des perces, une fente longitudinale qui se ferme avec les doigts par une ruban magnétique ; je dirai un soprano fretless si j’osais.

Je tiens à remercier Indira notre hôte pour son accueil, pour nous permettre ce type de découverte mais aussi pour le sympathique buffet qui a conclu ce voyage si loin, si près.

Le trio vient de sortir un CD au titre résumant bien son contenu, « Transversales », trois compositions d’Etienne Rolin et trois de Patrick Bruneau

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