Coutras Jazz Vibration première édition !

Par Frédéric Boudou

Les Evadés de la Zic


Ce samedi 19 juillet 2025, ce samedi 19 juillet 2025 s’est ouverte la première édition du festival, « Coutras Jazz Vibration » et autant dire que ça a swingué dès le matin!
Vers 9h30 (oui, certains sont vraiment matinaux pour du Jazz…), les Zévadés de la Zic ont lancé la journée avec une déambulation festive à travers les allées du marché puis les rues de Coutras.
Entre les sourires des passants, des commerçants, les enfants qui dansaient, et le soleil, intermittent du spectacle, qui jouait du saxo à travers les feuilles des arbres ou au pied de la magnifique halle ou de la Mairie, l’ambiance était à la fête et les musiciens nous ont emmenés jusqu’à un café associatif, le 261, tenu par l’association « Esprit de Solidarité » où ils nous ont offert, à l’heure de l’apéro et avec une énergie diablement communicative, du Jazz et du Latin Jazz pour le moins festif et épicé pour ne pas dire endiablé, enthousiasmant un public nombreux.
Les quatre musiciens portent un costume de bagnard jaune et noir style les Dalton de Morris et Goscinny et ont un instrument tout à fait particulier. Ils ont en effet installé une batterie sur une poubelle jaune de recyclage et le batteur, Valentin Henniquau en sort un phrasé unique, faisant preuve de retenue au service du groupe, avec une frappe aussi précise qu’inventive, un sens aigu de l’écoute et un excellent sens du rythme et du groove.
Sont mis en avant tour à tour chaque instrument comme le saxophone de Inge Andersson, une vraie caresse sonore, tout en rondeur et homogénéité. Son jeu enveloppe l’auditeur comme une écharpe moelleuse un matin de janvier. Pas de démonstration tapageuse ici mais une élégance naturelle, une fluidité qui fait voyager sans turbulences. Chaque note vole à sa bonne place, comme si le sax savait mieux que nous ce que l’on avait besoin d’entendre.
Le baryton de Rob Lavers dont le souffle semble infini (et il en faut du souffle pour faire sonner un sax baryton), nous a enthousiasmé tellement Rob a su imposer une belle autorité du placement rythmique doublée d’une puissance, d’une subtilité et d’une belle profondeur émotionnelle.
Enfin, que dire de Philippe Parent et de son banjo libre inspirant, original, avec ses solos de fou. Cet instrument parfaitement adapté à des orchestres de rue, donc sans micro, grâce à sa puissance, Philippe a su en tirer un jeu aussi expressif qu’un vieux bluesman tombé amoureux d’un clavecin.
Le festival est lancé avec ce groupe, Les Zévadés de la Zic, qui a électrisé les oreilles et fait vibrer les cœurs. Un Jazz qui vous attrape et ne vous lâche plus.

Shekinah Rodz Quartet



En première partie de soirée, pour ce premier festival de Jazz de Coutras, Shekinah Rodz, coiffée d’un Stetson, entre sur la scène de la salle du Sully suivie de ses musiciens, sous un tonnerre d’applaudissements. On comprend que nombre d’aficionados sont dans la salle parmi les quelques 2
50 spectateurs présents. L’ambiance promet d’être chaleureuse, bienveillante, conviviale et quelque peu électrique.
Elle parle un excellent français et nous explique ce qui va suivre, qu’il vaut mieux alterner un morceau triste et un plus joyeux, qu’elle aime la poésie, déteste l’injustice.
En fait, lorsque l’on parle de Shekinah Rodz, on évoque bien plus qu’une simple chanteuse. On entre dans un univers où la louange devient souffle, où la musique épouse la prière et où chaque note semble inviter le ciel et la terre.
Née et élevée à Porto Rico, Shekinah Rodz baigne dès son plus jeune âge dans un environnement spirituel intense. Fille de pasteur, elle grandit au rythme des cultes, des veillées de prières et des mouvements prophétiques. Très tôt elle comprend que son appel ne sera pas ordinaire.
Elle se forme dans l’intimité, loin des projecteurs. Elle affine son oreille spirituelle autant que sa voix et apprend à discerner les temps et les atmosphères. et c’est dans cette sorte d’école cachée que naît doucement la magie qui marque chacune de ses interventions.
Lorsqu’elle chante « mi triste problema » (Tite Curet Alonso), sa voix est sublimée, une voix qui peut monter dans les aigus et reste d’une netteté, d’une pureté, d’une force assez extraordinaire.
De même, lorsqu’elle chante « contemplation » (Mc Coy Tyner), une poésie écrite suite à la mort de Georges Floyd et à la sorte de révolution qui en a suivi, ou encore « No Justice, No Peace » qu’elle a elle-même écrite en rapport avec les injustices, guerres, conflits dans le monde, sa voix sincère vibre, nous emporte, ce n’est pas l’ambiance qui change, c’est l’atmosphère entière. Alors le chant devient arme.
Elle nous fait vivre dans nos chairs les histoires qu’elle nous conte comme celle où elle nous fait vivre, nous fait même chanter, cette chanson iroquoise où l’on amène en canoë les enfants à l’école. Tout en douceur, nous voguons, emportés gentiment par le courant.
Le public est fréquemment mobilisé et il se prête très volontiers au jeu. Pour  » So beautiful » par exemple qu’elle a également écrite, elle demande à chacun de regarder la personne la plus proche en lui disant « vous êtes belle » ou « vous êtes beau ». Plusieurs genres de musique se mêlent, du rap, du Gospel, le public scande, frappe dans les mains en chantant « so beautiful », un pur régal. Shekinah rassemble, Shekinah emporte le public autant qu’elle est portée par lui. Une vraie communion.
On pourrait parler longuement de sa voix humaine ample, grave, souple, vibrante, qui n’imite personne et qui semble naître des tripes, mais ce n’est pas sa seule voix. En fait, elle en a plusieurs autres ou plutôt, des souffles.
Car Shekinah Rodz est également une musicienne accomplie, multi-instrumentiste. Quand elle saisit sa flûte traversière, c’est comme si elle ouvrait une brèche invisible et virevoltante dans l’atmosphère.
Le saxophone ténor ajoute une densité terrestre, un velours grave qui évoque la lutte, la traversée, la douleur parfois.
Le soprano, lui, tranche, s’élève, trace une ligne de lumière au-dessus des accords.
Et puis il y a le tambourin, cet instrument de guerre biblique qui claque comme un cri de victoire et rythme les percées.
Autour d’elle, une équipe soudée, précieuse, essentielle. Ce n’est pas un backing band mais quatre musiciens qui forment un corps uni. Il n’y a pas de show, pas d’égo, pas de démonstration gratuite.
Olivier Gatto, son mari, tient la contrebasse comme on porte une colonne. Son jeu est à la fois racine et respiration. Il donne le pouls profond, cette vibration souterraine qui soutient les envolées célestes.
Philippe Valentine, à la batterie, ne bat pas seulement la mesure, il libère des chemins. Ses frappes sont parfois retenues, parfois explosives, voire très explosives. Il sait quand contenir, quand relâcher, quand exulter. Il accompagne le souffle, n’impose rien. On sent chez lui une écoute rare, une humilité forte.
Quant à Francis Fontes, au clavier, c’est le peintre de l’invisible. Il tisse des nappes, des harmonies fines, colore sans surcharger. Ses accords sont souvent en suspens, comme s’ils attendaient que le ciel réponde.
Que dire enfin de l’autre acteur de ce spectacle? Le public. Les gens n’y sont pas seulement spectateurs, ils sont co-acteurs. On entre dans un flux, on danse, on pleure, on intercède, on échange, on communique. Parfois, on est pris de silence. D’autres fois, c’est un cri collectif qui monte. Et c’est cela la vraie puissance de cette équipe. Ils ne jouent pas pour, ils jouent avec.
En résumé et pour terminer, leur final avec « Tres palabras », trois mots « des choses du coeur » comme Shekinah le dit elle-même « qui sont précieuses », ont amené un public debout à les ovationner longuement, criant des mercis et des bravos à tout rompre.

Nico Wayne Toussaint quartet

Il y a des soirées où la musique vous saisit dès la première note, où chaque instrument semble parler directement à l’âme. Le concert de Nico Wane Toussaint Quartet, avec Michel Foizon à la guitare, Romain Gratalon à la batterie et Rémi Grangé à la basse, fut de celles-là, un voyage intense et habité dans les terres du blues, à la fois respectueux de la tradition et follement vivant.
Nico Wane Toussaint, qui a quitté ce soir son éternel costume de scène mais fidèle à sa réputation, a une nouvelle fois prouvé pourquoi il est un des plus flamboyants harmonicistes et chanteurs de blues de la scène internationale. Avec sa voix puissante, rugueuse et sensible, il installe une tension électrique dès les premiers instants, instantanément relayée par les volutes de son harmonica qui semble tantôt gémir, tantôt rugir, ou les envolées de sa guitare. Quelle présence!
A ses côtés, Michel Foizon, guitariste lui aussi très inspiré, magicien des six cordes, tisse une trame sonore d’une finesse remarquable. Avec un jeu à la fois fluide et racé, il jongle entre solos acérés et accompagnements ciselés. Il y a chez lui une élégance dans le phrasé, une économie de gestes qui n’enlève rien à l’intensité de l’émotion. Par moments, ses interventions jazz ajoutent une élasticité au propos bluesy du groupe.
Romain Gratalon, derrière les fûts, est une force tranquille. Il sait quand poser un groove solide et quand se faire plus aérien, jouant des contretemps, des silences et des frappes subtiles avec une précision remarquable. Le batteur s’envole et enlève le public avec lui. C’est lui le maître du temps, le maître des horloges. De plus, sa complicité avec Rémi Grangé à la basse est palpable. Ensemble, ils forment une section rythmique soudée, souple et dynamique, capable de soutenir les envolées les plus vertigineuses tout en gardant les pieds bien ancrés dans le sol fertile du blues.
Mais ce qui impressionne le plus, au-delà de la virtuosité individuelle, c’est la cohésion du quartet. Chaque morceau semble construit comme une conversation entre vieux amis : ça se taquine, ça s’écoute, ça se soutient. Il y a une chaleur humaine dans ce dialogue musical, une générosité rare, qui transforme le concert en une véritable expérience partagée avec le public. D’ailleurs, Nico descend dans la salle, danse avec plusieurs spectatrices tout en scandant la mélodie de son harmonica. Quel showman! Impressionnant.
Entre compositions originales et relectures inspirées de standards du « blues de Chicago », blues développé dans les années 1940/50 par les musiciens du sud qui ont migré vers Chicago, et du « blues du Delta », du Mississippi bien sûr, évoquant la misère, l’errance, l’amour, la souffrance, la condition noire dans l’Amérique ségrégationniste, le quartet déroule une palette de climats et de couleurs, du plus profond des lamentations aux déflagrations jubilatoires.
Le public, conquis, ne s’y est pas trompé. Salves d’applaudissements nourris, pieds qui battent la mesure, visages épanouis voire illuminés.
Nico nous propose entre autres un hommage à James Cotton, grand auteur-compositeur-interprète américain et considéré comme le roi de l’harmonica, dans une interprétation vibrante toute en sensibilité. Nico lui avait d’ailleurs dédié son treizième album. Il nous offre également une reprise d’un morceau qu’Ike Turner avait composé lorsqu’il était un jeune pianiste. On se retrouve aussi bien sûr au bord du Mississippi avec un Blues « s’il te plaît Monsieur le barman, renvoie mon papa à la maison, je crois qu’il a son compte » où la souffrance, l’émotion, les racines, le rythme sont bien présents portés par un harmonica qui nous tire des larmes.
En résumé, le Nico Wane Toussaint Quartet, dans cette version complice et subtile, livre un blues vibrant , organique, qui respire à chaque instant la passion et l’authenticité. Une soirée comme un rappel salutaire, une soirée qui nous dit que le Blues n’est pas un musée mais une musique vivante qui palpite à chaque note et qui n’a pas fini de faire battre les cœurs.