par Philippe Desmond

Ma petite Peugeot garée sur le parking surélevé en bord de Garonne, je marche vers la rue Bourbon, celle de Bordeaux pas de New Orleans, entre dans le Thélonious , du moins le croyais-je. La musique m’embarque, un octet de jazz me fait changer de temps et d’espace, je suis au Dowbeat sur Central Avenue LA, passé du Sud Ouest à la West Coast. Le bel orchestre (1) se met à tracer, me voilà le bras par dessus la portière de ma Cadillac Eldorado blanche, costume assorti, Wayfarer sur le nez, une blonde platine à mes côtés, roulant sur la corniche du Pacifique…

Clichés me direz-vous, ceux de cette Amérique rêvée des 50’s et 60’s, cette période si riche du jazz et si dure pour les communautés qui l’ont inventé. Clichés, oui, ceux des films et séries, des faux souvenirs puisés dans les magazines, les photos, les pochettes de disques.

Mais n’était-ce pas le but de Pascal Drapeau quand il a eu cette idée d’orchestre, que de restituer la musique de ces années là, celle des arrangeurs auxquels il tient à rendre hommage, ceux qui par leur écriture mettent en valeur les solistes et ce soir ils ne vont pas se gêner.

Je rouvre les yeux, je suis bien en Gironde, avec le B.O.P. Le Bordeaux Octet Project : Pascal Drapeau (trompette, arrangements), Mathieu Tarot (trompette), Cyril Dubilé (trombone), Bertrand Tessier (sax ténor), Giordano Muto (sax baryton), Hervé Saint-Guirons (piano), Franck Duhamel (contrebasse) et Didier Ottaviani (batterie), une sorte de demi big band et qui sonne pareil qu’un complet souvent.

Pascal Drapeau est un arrangeur réputé, il a retranscris des titres de cette époque, pas les plus connus, mais ceux qui rendent le mieux compte du style, Freddy Green, Duke… seront évoqués lors de ses présentations, on entendra un « Indiana » étincelant, « Star Eyes » en rumba, « 42nd Street » « the Dipsy Dooddle » et « Shorty George » en mode big band… Pas de balade sur la West Coast sans ballade, « The things we did last summer », une version de « When you wish upon a star » pas du tout sirupeuse comme l’originale (BO de Pinnochio).

Que ce groupe sonne bien, traduisant parfaitement l’écriture au rasoir de son leader, les chorus se succèdent, il se passe toujours quelque chose. Il faut dire que Pascal n’a pas choisi ses acolytes au hasard, on a devant nous une partie du gratin du coin. On est vraiment dans le jazz plaisir, accessible, intemporel, personne ne peut ne pas aimer ça ! Traduction : tout le monde aime ça. Il faut absolument que cet orchestre tourne, en clubs, en concerts, dans les festivals…

Mais quand, alors que nous sommes toujours à l’intérieur d’un tunnel, certes qui de temps en temps a des ouvertures vers le jour, mais si peu. Le Thélonious comme tant d’autres souffre, il est loin d’être plein, combien de temps tiendra t-il ? Alors sortez, toutes les conditions réglementaires sont réunies, port du masque, gel, distance… Vous ne risquez pas plus qu’en faisant vos courses, les musiciens, les techniciens, les lieux en ont besoin ! Sinon il ne nous restera plus que la télé, vision d’apocalypse !

Et quand en plus on sort d’un tel concert, certes en remontant dans la 208 et non dans l’Eldorado, comment ne pas être heureux avant de se replonger dans l’ambiance plombée du moment…

(1) dixit Didier Ottaviani