Anglet Jazz festival 2025 – 2/2
Par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat, PhD (jam), Vincent Lajus
- Samedi 20 septembre 2025
A la découverte de Keith Jarrett
On croit tous connaître Keith Jarrett, ce pianiste génial et exigeant avec lui-même et avec le public, on a tous au moins une fois été ému à l’écoute du « Köln Concert » mais se souvient-on qu’il a été révélé au sein des Jazz Messengers d’Art Blakey, qu’il a fait ensuite partie du quartet de Charles Lloyd avant de le quitter pour une carrière en leader – avec juste l’exception Miles Davis – s’estimant lésé de ne pas toucher le même cachet que son leader. Sait-on qu’il a mené une carrière de musicien classique, enregistrant même des œuvres au clavecin ? C’est Ludovic Florin, musicologue, professeur d’université à Toulouse qui au cours d’une conférence passionnante nous a retracé la carrière de l’immense pianiste désormais empêché de jouer suite à un AVC lui paralysant le bras gauche.
L’univers impressionniste de Pierre Tereygeol et Guillaume Latil
Voilà un projet très personnel du guitariste Pierre Tereygeol que Marc Tambourindéguy, le directeur musical du festival, a invité. Pas vraiment du jazz, pas vraiment du folk, du blues de-ci de-là, la guitare étant associée au violoncelle de Guillaume Latil, le chant et les vocalises donnant en plus une couleur particulière. Formation en duo acoustique donc simple à mettre en place a priori. Pour avoir assisté aux balances je peux vous confirmer que c’est justement le contraire ici. A voir la méticulosité du choix entre deux guitares, du placement des effets, du bien fondé des réverbs on se dit que ces musiciens là ont un immense respect du public. La balance a ainsi duré plus longtemps que le concert qui en a désarçonné plus d’un. La nature des compositions, la manière de chanter, souvent comme une plainte, nécessite de la part de l’auditoire d’entrer dans un univers qui ne lui est pas forcément familier. Au fait pourquoi ne pas chanter en français ? Projet assez clivant entre ceux qui ont adoré et ceux qui n’ont pas franchi le pas comme les discussions d’après concert l’ont montré. Que des musiciens prennent encore des risques au-delà de la facilité reste bien sûr une nécessité.
Pierre Tereygeol : guitare, voix, compositions / Guillaume Latil : violoncelle
Les standards bousculés par The Hookup
Des standards encore, j’en vois qui rouspètent. Attendez un peu vous allez voir ce que vous allez voir, vous allez les entendre comme vous ne les avez pas souvent entendus. The Hookup, un groupe sans leader ou avec quatre si vous préférez, des pointures du jazz actuel et (pas encore) passé, quarante ans d’écart entre les frères Moutin et Noé Huchard. Chacun ira de sa présentation des titres, pas de jaloux, chacun ira de ses chorus et tous nous offriront un concert exceptionnel. Les standards doivent avoir les reins solides vu la façon dont ils sont tordus, essorés, démembrés ; ils résistent, imposent leur thème à Géraldine Laurent et Noé pendant que les autres les détricotent. Une prouesse. Géraldine sobre mais lyrique, les Moutin au taquet et toujours en symbiose, Noé créatif. Écoutez chaque instrument qui a l’air de faire ce qu’il veut, revenez à l’ensemble c’est cohérent. Le ‘Tea for Two » est servi brûlant, « Everybody loves my baby » plein de fantaisie, « In a sentimental mood » reste presque sobre, « After you’re gone »et « Blue Skies » rajeunissent, « Honeysuckle Rose » refleurit et nous rappelle que Fats Waller peut toujours être d’actualité… Même les amateurs de jazz dit moderne sont conquis, car c’en est avec un profond respect pour l’histoire ; chapeau !
Géraldine Laurent : sax alto / François Moutin : contrebasse / Louis Moutin : batterie / Noé Huchard : piano
La jam aux écuries de Baroja
C’est la tradition ici que de proposer une jam session aux écuries de Baroja. Le quartet de Pascal Ségala a préparé une entrée en matière de quelques titres de John Coltrane et McCoy Tyner. Quand la jam débute ce sont François et Louis Moutin ainsi que Noé Huchard, juste sortis du concert de The Hookup, qui se remettent à l’ouvrage. Noé gardera sa parka ne l’empêchant pas de faire courir ses doigts sur le clavier, quant aux Moutin il vont remouiller le t-shirt avec leur entrain habituel – pour ne pas dire leur folie – et leur complicité fusionnelle absolue. Quel moment ! Théo Moutou (Etienne Manchon trio) prendra ensuite les baguettes pour accompagner une chanteuse. La jam express s’achèvera à deux heures du matin. On regrettera juste le peu d’engouement du public et des musiciens pour ce moment, certes tardif mais toujours intéressant.
Pascal Ségala : guitare / Jean-Luc Fabre : contrebasse / Serge Moulinier : clavier / Gaëtan Diaz : batterie
- Dimanche 21 septembre 2025
Le dimanche est normalement prévu dans le décor champêtre du parc de Baroja, le bulletin météo (weather report au passage) des derniers jours a poussé dès le jeudi les organisateurs à rapatrier, pour la troisième année consécutive, la journée au théâtre Quintaou. Bien lui en a pris.
Vowski renouvelle le jazz
Vowski a remporté le Grand Prix du Jury au Tremplin Action Jazz 2025. Le partenariat avec le festival lui a permis de bénéficier toute la semaine d’une résidence de travail aux écuries de Baroja et voilà donc le concert de sortie. Eux ne regrettent pas de jouer au Quintaou, leur projet proposant une certaine mise en scène et des éclairages particuliers notamment avec cette lampe interagissant avec leur musique. Entrée en scène scénarisée – la sortie le sera tout autant – et nous voilà partis dans un univers très riche musicalement mais assez austère. Effets électros délibérés surtout pour le saxophone alto de Pierre, Nathan évoluant lui entre piano acoustique et claviers électriques, la basse parfois rock de Victor, en accord avec le beat de la grosse caisse de Simon, assurant une rythmique marquée hard parfois. Les titres sont très construits, parfois illustrés de sons enregistrés comme ces rires d’enfants, parfois complexes et séduisent tout autant le public – pas facile le dimanche où l’assistance est plus familiale et souvent néophyte – qu’ils l’avaient fait lors du tremplin. Un groupe de virtuoses, engagé dans son projet et plein d’avenir.
Simon Jodlowski : batterie / Pierre Thiot : sax alto / Nathan Mollet : piano / Victor Raynaud : basse
Le jazz sensible de Jean-Luc Fabre
Jean-Luc Fabre est un habitué du festival il y a nime souvent la jam du samedi mais là il est avec son quartet, avec ses propres compositions écrites au fil du temps, au début avec des titres en anglais, plus ronflants, maintenant en français, plus sincères. mélodiquement c’est très réussi et il nous fait partager ses émotions, ses passions, la montagne par exemple avec souvent poésie et toujours sensibilité. Sur cette belle scène les titres de son album « Couleurs du temps qui passe » prennent toute leur dimension. Voilà un blues magnifique « Déséquilibre », une ambiance paisible avec « En attendant l’éclipse ». La guitare scofieldo-methenienne de Pascal Ségala donne la couleur de l’ensemble soutenue par le piano inspiré de Serge Moulinier. Gaëtan Diaz affiche un drumming délicat, discrte quand il faut, énergique aussi. Jean-Luc Fabre ne se contente pas de marquer le tempo, loin de là,il joue sa musique avec sincérité ; il nous présente les titres avec une certaine émotion, ce sont ses enfants qu’il a vu grandir au fil du temps. Un très joli et chaleureux concert.
Jean-Luc Fabre : contrebasse, compositions / Pascal Ségala : guitare / Serge Moulinier : piano / Gaëtan Diaz : batterie
Le jazz jovial du trio d’Etienne Manchon
Et voilà déjà le dernier concert du festival le dixième en quatre jours,une densité de plaisir et d’émotions. C’est le trio d’Etienne Manchon qui va nous reconduire vers nos pénates avec un set enjoué – comme lui – et d’une qualité à souligner. Trois musiciens complices qui n’arrêtent pas de se regarder, de se sourire, communicant leur joie au public vite conquis. Trois musiciens de haute volée, Etienne pianiste surdoué, Clément le contrebassiste qui monte – il est déjà très haut – et Théo un monstre de groove délicat n’ont pas fini de faire parler d’eux. Ils proposent un jazz moderne certes mais accessible, qui flirte avec le classique, le blues, qui accroche bien l’oreille et qui on l’espère va ouvrir cette musique à un public jeune, le jazz en a bien besoin ! Et si leur jazz est moderne, ils ne renient pas les anciens, loin de là, avec par exemple au rappel « Iris » en hommage à Wayne Shorter. Ecoutez leur dernier album « Weird Life » ; Weird, bizarre en anglais , vous avez dit bizarre ? Pas tant que ça, à mettre entre toutes les oreilles !
Etienne Manchon : piano, compositions / Clément Daldosso : contrebasse / Théo Moutou : batterie
Ainsi s’achève le 18ème Anglet Jazz festival avec cette année un belle fréquentation encourageante pour le futur rien n’étant jamais gagné et àplus forte raison en ce moment. Merci à Marc Tambourindéguy et Agnès Zimmermann, à leur équipe de l’association Clé de Jazz, aux techniciens si efficaces et aux bénévoles. A l’année prochaine avec beau temps le dimanche bien sûr !
PS : une pensée à Niko Filiatreau qui était présent avec nous par l’intermédiaire de sa batterie verte. Salut l’ami.
Galerie photos de Vincent Lajus