Youn Sun Nah

Marciac : 27 Juillet 2021

Texte: Annie Robert
Photos: Laurent Sabathé


Ce soir en deuxième partie, attendue comme l’hirondelle du printemps, ( alors qu’il pleut des cordes!) voici Youn Sun Nah, silhouette légère et intemporelle.
Dotée d’une éblouissante technique vocale, unique en son genre, bluffante, la chanteuse coréenne compte depuis plusieurs années parmi les figures incontournables du jazz vocal contemporain.Une espèce d’Ovni, à la fois dans son rapport à la voix mais aussi dans son rapport au public, toute en retenue, en gentillesse et modestie.

Elle revient sur la scène du chapiteau avec comme support son dixième album, « Immersion », composé pour moitié de compositions originales et de relectures de classiques avec pour seul accompagnement la guitare splendide de Ulf Wakenius, son éternel compagnon de route. Ils vont nous offrir là, un récital d’ une douzaine de chansons aux influences variées, de la pop, à la musique de film, ou au classique mais avec une couleur plutôt nostalgique, voire tragique à certains moments.

Être en duo n’est pas un choix banal, il correspond assez bien à l’esthétique minimaliste, à la recherche de pureté et de profondeur qui est la sienne depuis le début de sa carrière, à la sensibilité de sa voix.
Cordes vocales et cordes de guitares vont vibrer à l’amble, en réponse, en soutien comme des fils entremêlés.
Simple, limpide, virtuose, des deux côtés.
En voix pleine, en voix de gorge, en voix de tête pour des virtuosités de dentelle, la voix est toujours équilibrée, puissante ou délicate. Elle joue d’une incroyable palette de timbres et de couleurs, d’une technique exceptionnelle qui lui permet de passer des aigus aux graves avec une étonnante facilité et met en relief la beauté d’une voix tout en nuances et en subtilité. Un travail de dentelle qui semble si facile, si simple.. Une funambule suspendue à un fil d’araignée et que l’on regarde virevolter dans son rond de lumière.
Et chacun se demande alors de quoi sont faites ses cordes vocales…
En arpèges, en accords décalés ou bluesy, en frottements agacés, la guitare à six cordes de Ulf Wakenius n’est pas en reste. Elle gronde, s’étonne, se love, se fait discrète ou agressive.
Et chacun se demande aussi de quoi sont faites ses cordes de guitare…

Cependant le duo à ses limites qui sont évidemment celles de n’être que deux. Cela restreint largement les possibilités, les arrangements et les retournements. Les phrases finales se ressemblent parfois, dans des terminaisons «mourantes», les échanges se répètent quelquefois.
Pas de grandes surprises dans leur tête à tête
mais beaucoup de complicité à l’évidence et de joie d’être ensemble.

Dans le premier chant, la voix se suffit à elle même soutenue avec une sobre légèreté par la guitare. Au milieu de la pluie, l’effet en est doux et émouvant. Chanté très doucement, presque en murmures  «Isn’t It A Pity»de George Harrison incite au recueillement tandis que le morceau «Asturias» d’Albénitz au contraire tend vers une interprétation plus amusée et distante et finit sur un olé amusé qui fait rire la salle.
Sur un rythme de ballade nostalgique «Mercy Mercy Me » résonnent les mots de Marvin Gay dans une version soul et délicate qu’il ne renierait pas.
Se tournant
ensuite vers la chanson de film, c’est un morceau de Michel Legrand qui sera interprété. «Sans toi» est un modèle de mélancolie et de cafard qui flirte parfois avec le pathos. L’interprétation de Youn Sun Nah y est à la limite de l’excès. Même chose pour le «Hallelujah» de Leonard Cohen, un peu forcé dans l’émotion, consensuel en diable dans les vibratos dont on ne sait pas trop si on en ressort comblé ou agacé.
Un petit tour du côté du folk-rock avec une reprise du traditionnel «God’s Gonna Cut You Down» popularisé par Johnny Cash dans laquelle la chanteuse lâche toute la puissance de sa voix, ses inflexions rauques et sauvages et son énergie.
La reprise de l’incontournable «Momento magico» d’Ulf Wakenius, renouvelé en y incluant subtilement un petit bout de «Motherless child» comblera les fans.
Quant aux compositions ( je n’en ai pas retenu les noms, honte à moi..), elles sont plutôt courtes, coloré
es de mystères et de groove et de belle facture
.

L’ensemble est séduisant, très séduisant, plus que plaisant. La voix est si étonnante, le talent est si patent dans ses deux musiciens hors pairs…
Cependant (car il y en a un ) il y a cette fois-ci (comme sur son précédent album un peu pop cliquant
e) quelques regrets…quelques facilités, quelques traits appuyés, une technique tellement folle, tellement grande qu’il est possible qu’elle nous empêche d’aller chercher plus haut…
Chipotages sans doute, ou bien peut-être que la nostalgie du quartet précédent dans lequel Vincent Peirani et Simon Tailleu apportaient une richesse dense.

Avec deux rappels, dont une jolie balade coréenne, une salle debout et enthousiaste. la soirée se termine sous des trombes d’eau et des trombes d’applaudissements, bien méritées.
La petite fée coréenne a, une fois de plus, ravi les âmes et les cœurs, le mienne y compris
dans un sillage de ravissements…