WADADA LEO SMITH / AMINA CLAUDINE MYERS

Central Park’s Mosaïcs of Reservoir, Lake, Paths and Gardens

Chez : Red Hook Records

Par : Alain Fleche

Wadada Leo Smith : Trompette

Amina Claudine Myers : Piano, Hammond B 3

Encore un duo, encore un chef-d’œuvre. Une rencontre inévitable, une réussite totale !

Les deux protagonistes viennent du sud. Amina quitte l’Arkansas au début des années ‘60 pour Chicago, Leo, du Mississipi, arrivera un an plus tard. Ils participeront tous deux à un nouveau projet ambitieux, artistique et philosophique qui promeut l’innovation et la créativité des communautés du jazz et de la musique d’avant-garde : l’ AACM. En ‘66, Amina est sur scène lors du 2ème concert donné par la toute nouvelle association.

Leo en devient rapidement l’un des plus importants compositeurs et philosophes. En 2015, il compose et enregistre (avec son Great Lakes Quartet, puis en trompette solo) un hommage à son inestimable collègue, appelée simplement : ‘Amina Claudine Myers’. Premier jalon d’une voie qui conduira au voyage envoûtant et magique de cet album.

Issus du sud, ils ont été nourris de gospels et de blues. Échappés de la tentation folklorique ambiante (New-Orleans, Funk…), ils restent empreints des mystères obscurs et lumineux des bayous et du vaudoo, avec un sens de la progression dramatique qu’ils n’auront de cesse d’explorer chacun, le long de leur riche parcours musical. Sur le chapitre présent, l’horizon s’est rétréci, mais c’est bien de nature, fut-elle acclimatée, et de spiritualité qu’ils se sont façonnée dont il s’agit encore.

Une promenade lente parmi les bassins, lacs, chemins, jardins du parc central de N.-Y.

Dès les premières notes, on sent qu’on ne va pas s’ennuyer avec eux. Des doigts décidés enfoncent doucement les touches du piano, suivis rapidement de longues notes cuivrées, nous suivons deux amis se tenant par la main nous faisant découvrir leur vision des esprits qui habitent chaque élément naturel peuplant l’aire… et l’air, un caillou, un oiseau, un enfant qui joue à cache-cache avec le soleil…

Cette rencontre est un cours magistral d’échange intime, nous offrant un aperçu de ce que peut (doit) être un réel partenariat artistique.

Un piano évident d’élégance et d’introspection, baigné de profondeur et de résonance émotionnelle, tout en retenue pour ne rien imposer, et ne rien oublier.

La trompette brille de sonorités rayonnantes et de présence lumineuse, invitant à la transcendance. Il reprend à son compte un constat de son homologue , l’immanent ‘Prince des ténèbres’ (dont il serait le versant ‘clair’) : « Pour qu’une musique soit belle, il suffit de ne jouer que de belles notes ». De fait, chacun de ses traits sont des rayons de soleil qui traversent l’espace de tous sens, sans origine et sans but, juste pour véhiculer l’essence de l’art : la Beauté!

Un instant, le ciel se couvre. Orgue et sourdine. Un plan d’eau assombri. Puis,une douce brise chasse les nuages, les vaguelettes capturent fugitivement les éclats de feu de l’astre fier, de nouveau éclatent les couleurs, s’égayent les oiseaux, vivent les pierres…

Piano seul sur un titre, le seul écrit par madame, jubilation de doigts agiles et aériens, relent de musique européenne, transition ‘classique’-’moderne’, de Debussy à Ligeti…

Retour de la trompette, pensive. Invitation au silence et à la réflexion. Une méditation sur la faune et la flore, le jeu et le repos. Rai de lumière diffracté par un prisme de cristal, des couleurs douces balayent le paysage paisible.

Vient un vibrant hommage à Albert Ayler, dégagé de ses comptines et ritournelles déjantées, reste la lumière qu’il a suivi jusqu’à se brûler et se fondre avec elle, pour renaître et illuminer la voie de liberté où s’engagent les plus téméraires.

Enfin, un autre éclairage sur ‘Imagine’ de John Lennon en forme de mosaïque dont les éléments sont des pierres plates où poser un pied, un dessin, un projet, une dimension, un rêve, une fleur. Nostalgie d’une utopie dé-enchantée que soulignent quelques notes parasites, sourdine sur piano rêveur d’une idée disparue, à retrouver et faire vivre.

Voyage onirique d’une bonne trentaine de minutes dont qu’on a bien du mal à abandonner, balade expectative vers une clarté cachée, chaque note est essentielle dans cet échange débarrassé de toutes tentatives de virtuosités superfétatoires masquant l’objectif désiré : atteindre enfin la lumière pure… on n’en est pas loin !

Un disque d’une émotion rare, fragile et inaliénable, reflet d’une réflexion sur le silence, musique des sphères célestes, en apesanteur.

https://redhookrecords.bandcamp.com/album/central-parks-mosaics-of-reservoir-lake-paths-and-gardens