Soulac’n Jazz 2023

Un nouveau festival !

par Philippe Desmond, photos Christine Sardaine et PhD (cliquer pour agrandir)

Dans les circonstances actuelles, voir arriver un nouveau festival de jazz constitue une grande joie. Voilà donc la première édition du festival de jazz de Soulac-sur-Mer à l’initiative de Philippe Catherine et Elisabeth Kleinemas, grands amateurs de musique, lui de jazz , elle de classique, qui ont eu envie d’animer l’élégante station balnéaire du Médoc. La direction artistique a été confiée cette année au pianiste Dominique Fillon. Une édition privée (130 personnes tout de même) avait eu lieu l’an dernier où de potentiels soutiens du festival à venir avaient été conviés. Cette édition « zéro » avait été concluante, permettant le lancement de l’évènement en 2023.

Philippe Catherine

Autour de la structure associative « Soulac’n Jazz » Philippe Catherine (rien à voir avec les deux autres artistes) s’est donc bâtie cette première édition. Autant le dire de suite, ce fut une parfaite réussite, musicale et populaire, les trois soirées affichant complet, des places ayant même dû être rajoutées sans arriver à contenter toutes les demandes.

Vendredi 18 août : Dominique Fillon et … Supertramp

La salle Notre-Dame est plus que pleine pour l’ouverture du festival. En première partie le pianiste et compositeur Dominique Fillon nous propose un tour d’horizon de sa musique. Depuis près de vingt ans il se bâtit une jolie discographie qui certainement mériterait d’être plus connue. Il y mêle avec élégance le blues (pas de jazz sans blues nous dit-il) et les rythmes ensoleillés du Brésil ou des Caraïbes. Avec lui, son complice Sylvain Gontard, fameux trompettiste et bugliste, un invité presque surprise le saxophoniste alto Benjamin Petit et une section rythmique locale – Lacanau – composée de Léonie Hey à la contrebasse et Antoine Fillon à la batterie. Frère ? Cousin ? Pas du tout, leur patronyme commun a été à l’origine il y a quelques années du désir de Dominique de faire connaissance mais aucun lien de parenté ; mais une collaboration musicale durable qui s’est installée. Un set d’une grosse demi-heure, chaleureux, alerte, qui me laisse penser, aux réactions du public, que la soirée va être une belle réussite.

Après cette mise en bouche des plus délicieuses, place au plat de résistance même si c’est un Breakfast in America qui a rendu si populaire le groupe à qui les musiciens rendent hommage. Ce qu’il y a de bien avec le jazz c’est qu’on peut finalement tout jouer, même de la pop. Supertramp donc, créé par Rick Davies, une musique au son si caractéristique, le chanteur Roger Hodgson y étant pour beaucoup, bourrée de tubes, a atteint son apogée à la fin des 70’s. Nos musiciens étaient bien jeunes mais grands frères ou parents écoutaient ça. Ces tubes, ils vont les faire défiler avec une vraie couleur jazz, pas du easy listening de pop jazzifiée, des variations, des impros, des interactions magnifiques, des duels de soufflants en veux-tu en voilà. Et une joie sur scène entre ces merveilleux musiciens, partagée par le public aux anges ; une soirée bonheur, de rêve. Justement voilà « Dreamer » puis « Take the Long Way Home » aux accents reggae, un « Give a little beat » mêlant second line et latino, « Logical Song » bien sûr, « Rudy », « Oh Darling », »C’est le bon » etc… Et même si on ne connait pas Supertramp (ça peut arriver !) de quoi se régaler en découvrant ces mélodies. Rappel avec « Breakfast in America » en mode karaoké et une salle qui retrouve ses 20 ans.

Le pari du festival est en bonne voie d’être gagné, la première manche est sans appel !

Samedi 19 août : les racines gasconnes de Matthieu Chazarenc avec « Canto »

Le batteur compositeur agenais est là avec son équipe complète, celle qu’il a montée pour son projet « Canto » puis Canto II »… et bientôt « Canto III » . Avec lui, au bugle exclusivement, Sylvain Gontard, à l’accordéon Laurent Derache, à la contrebasse Christophe Wallemme. Le jazz a ses racines dans le blues paraît-il, pour Matthieu Chazarenc elles sont gasconnes, dans ces rondes et ces tournes folkloriques qui ont traversé les générations à travers sa famille. Il en a ainsi tiré sa propre musique, atypique, riche, nuancée. Suavité du bugle de Sylvain, accordéon trait d’union avec les anciens de Laurent, contrebasse enveloppante de Christophe et batterie aux ressources infinies de Matthieu ; baguettes, mailloches, fagots, maracas, mains, tout lui sert pour la faire vivre, rajoutant même des percussions corporelles à ce festival permanent qu’il nous offre ; un spectacle à lui seul que ce fantastique batteur percussionniste.

Comment va réagir le public, pas forcément averti, à ce jazz d’ailleurs mais finalement de chez nous, plein d’émotion, de rebondissements et souvent d’une folle énergie. Par une ovation finale spontanée. Tendresse de la « Villa Verde », clin d’oeil à « Se Canto », hommage à Marcel, Azzola bien sûr, salut amical à un certain célèbre trompettiste libanais avec « Miharbi » , hymne « Garona » à la Garonne et des reminiscences folkloriques habillées de jazz, voilà une oeuvre construite et toujours en construction d’une authenticité manifeste. Pas très loin de moi François Lacharme, Président de l’Académie du Jazz, est lui aussi sous le charme de ce qu’il vient d’entendre, et que pourtant il connaissait déjà. Merci Matthieu de te livrer ainsi à travers cette œuvre si personnelle. Bravo aussi à tes sublimes musiciens auquel je rajouterai ton invitée pour quelques titres, la grande violoniste Akémi Fillon, épouse de Dominique, à la sensibilité classique mais tellement ouverte elle aussi à toutes les musiques.

Deuxième manche remportée avec brio !

Dimanche 20 août : « Cross over » à la Basilique

Deux organisateurs amateurs de musique, jazz pour lui, classique pour elle, un directeur musical pianiste de jazz et son épouse musicienne classique, il fallait accorder les violons ! Chose faite le dernier soir du festival à la Basilique Notre-Dame de la Fin des Terres, cet édifice massif de style roman, sauvé de l’enfouissement par les dunes et restauré au XIXè siècle. Ils sont en trio, Akémi Fillon au violon et à la flûte, Dominique Fillon au piano et Sylvain Gontard vraiment polyvalent, à la trompette et au bugle. Laurent Derache, resté à Soulac, viendra les rejoindre à l’accordéon sur quelques titres. Un concert « cross over » c’est quoi au juste ? Un concept qui se développe de plus en plus, un croisement de musiques diverses, jazz, classique, chansons, musiques de film ; de la musique tout simplement mais grâce au talent de musiciens à l’aise dans tous les domaines. C’est ça qui en fait la qualité, ce n’est pas donné à n’importe qui que de passer comme ce soir de Satie (merveilleuse Gymnopédie n°1), à Fauré et sa Pavane, à Vladimir Cosma, à JS Bach, à Ryuichi Sakamoto (célèbre auprès du grand public pour la BO de Furyo) , à Neil Hefti (« Girl Talk » bien sûr), au « Sentimental Mood » de Duke, au déjà cross over « Le Jazz et la Java » (de Dave Brubeck d’après Haydn adapté par Jacques Dantin), à Chico Buarque, pour finir avec Sting puis Trenet s’interrogeant sur ce qu’il reste de ses amours. Quelques compositions originales de Dominique dont son hymne « Haritzaldea » de ses racines basques, et l’émouvante musique composée par Hakémi d’origine japonaise après la catastrophe de Fukushima viendront s’intercaler dans ce programme étonnamment éclectique et merveilleusement interprété ce soir à leur façon. Un moment suspendu que ce concert.

Troisième manche remportée, jeu set et match pour Soulac’n Jazz ! Programmation, professionnalisme, accueil, son (bravo à Roman, l’ingé son du Bal Blomet venu spécialement) tout était impeccable.

Et après ? La volonté des organisateurs est d’ancrer le festival dans la ville, la Municipalité et de nombreux partenaires locaux les suivent. Peut-être une autre date ? Septembre ? D’autres lieux ? Mais déjà le projet de développer le Off ébauché cette année. Le Bar des Amis et la Cabana 8 ont dès cette édition joué le jeu, accueillant les trois soirs un groupe de jazz.

Galerie photos :

Balances dans la basilique

Roman, un son parfait