Rolando Luna au Festival Musical’Océan à Lacanau

Par François Laroulandie

Lacanau lundi 25 août 2025

Action Jazz était présent à ce festival riche d’une dizaine de concerts sur une semaine, qui propose en grande partie un répertoire classique (Nathalie Dessay était cette année l’invitée de la soirée de clôture), mais pas seulement. Organisé par l’association Ici et Maintenant, avec le violoncelliste François Salque qui en est le directeur artistique.

Jazz et classique sont souvent perçus comme des genres séparés ; or ils se sont mutuellement enrichis depuis l’émergence du jazz à la fin du dix-neuvième siècle. Ces influences ont ouvert des voies nouvelles, dans la musique de Stravinski, chez Gershwin avec Rhapsody in blue qui tisse des liens entre ces deux mondes, avec le Modern Jazz Quartet intégrant des formes classique, ou dans les œuvres de Bach revisitées par Jacques Loussier.

Le piano est l’instrument central de ces rapprochements entre classique et jazz, nombre de musiciens de jazz sont issus de formation classique et en intègrent des éléments dans leurs improvisations. C’est le cas de Rolando Luna, issu du Conservatoire de La Havane et installé à Toulouse, qui se produisait à Lacanau le 25 août 2025 en piano solo. De formation classique, il commence par la guitare à l’âge de quinze ans et arrive au piano par la composition (première composition à ses seize ans). Sa technique virtuose et sa parfaite connaissance de l’harmonie classique alliées à ses influences par les musiques cubaines et la spontanéité du jazz font de ce pianiste exceptionnel un passeur de cultures qui transcende les styles et ouvre de nouvelles voies d’expression. Il a accompagné Omara Portuondo et intégré le Buena Vista Social Club en tournées, est membre fondateur du groupe El Comité, et se produit régulièrement en Europe, l’an dernier à Marciac, et très prochainement en Allemagne au Philharmonique de Hambourg.

Salle comble ce soir à l’Escoure, à deux pas d’un océan déchaîné, du grand spectacle. Piano Steinway noir au centre de la scène, éclairage minimaliste, Rolando Luna fait son entrée. Décontraction apparente mais concentration. Pour commencer, une composition qui figure dans son album enregistré en France et sorti en 2023 Rolando’s Faces, ‟Coloreando mariposasˮ. La personnalité et le jeu particulièrement virtuose de ce pianiste inspiré captivent l’attention. Un thème allègre, joyeux, ça virevolte, notes en cascades cristallines, puis cela devient ténébreux, main gauche en forte, sens en éveil, et l’on revient à la légèreté comme une valse qui court poursuivie de riffs entêtants. Tout cela accompagné des facéties en adresse au public, avec un clin d’œil à ‟La Marseillaiseˮ en passant. Ce musicien là joue et s’amuse, de variations de thèmes en improvisations fulgurantes.

‟Retrato em branco E pretoˮ de Antonio Carlos Jobim est un moment de virtuosité. Voici un musicien qui exprime et transmet au public toute la palette d’émotions qui le traversent, qui dit sa joie d’être là, ce soir « …es maravilloso tocar aqui… ».

Rolando Luna n’est pas seulement instrumentiste virtuose ou compositeur, il nous offre également une superbe démonstration de ses talents d’arrangeur au service de la musique, abordant tous les styles en y apportant sa touche personnelle. Classique avec un ‟Clair de luneˮ de Claude Debussy, ballade nostalgique peuplée de trilles sonores, de calmes suivis d’emballements forte, un parfum d’éternité. Jazz avec un standard chanté entre autres par Nat King Cole ou Franck Sinatra, un ‟My one and only loveˮ très inspiré, ligne mélodique toute en retenue où chaque note sonne pleine et unique, la main droite qui gambade la gauche qui s’emballe, une légèreté qui se fait grave en mode mineur, une douceur qui fait du bien. Improvisation ce soir avec « un experimento » en direct transcendant les époques, entre Bach (prélude n°3) et Chopin (étude n°3) qui révèle des couleurs opposées et complémentaires, la tristesse et la joie.

Quoi de plus évident pour évoquer les racines cubaines de Rolando Luna qu’un Danzòn, emblématique de la culture musicale de Cuba érigée en danse nationale marquée par les influences africaine et européenne ? C’est un piano solo allègre et rythmé qui fait voyager, apporte joie et sérénité. L’aisance toute caribéenne de Rolando incite le public à entonner un air connu amené au terme d’un morceau époustouflant, ce ‟Recordando hacia el Tchaikowskiˮ étonnant de bravoure. Moment propice aux confidences _«… estoy en familia… »_ nous confie Rolando en livrant cette composition très personnelle créée à seize ans en hommage à sa professeure de piano du Conservatoire de La Havane, un ‟Preludio a Rosa Mariaˮ tout en émotion. Autre hommage ensuite à Ernesto Lecuona, musicien et compositeur, figure du patrimoine cubain, qui impressionna Maurice Ravel lors de leur rencontre à Paris dans les années 1930. Ce sera évidemment une improvisation fulgurante sur ‟Gitanerias et Malagueñaˮ qui emporte la salle pour une ovation enthousiaste. Le rappel sera là encore une forme d’hommage à un auteur compositeur interprète, et c’est un clin d’œil à la ville d’adoption de Rolando Luna, Toulouse. Toute la salle aura reconnu dès les premières mesures ce ‟Tu verrasˮ de Claude Nougaro empli de promesses. Un concert enthousiasmant qui fera date.

Nous aurons le plaisir de retrouver prochainement Rolando au Pin Galant le 13 novembre prochain, et le 24 mars 2026 à l’Auditorium de Bordeaux au sein du groupe El Comité.