Jowee Omicil à la Grande Poste : le jazz à l’état brut

Par Philippe Desmond, photos Alain Pelletier

La Grande Poste, Bordeaux le 1er octobre 2022

Il y a un petit moment que la Grande Poste, cet espace multiculturel bordelais qui se qualifie lui-même d’«Espace improbable», n’avait accueilli du jazz. Pour ce retour je dois avouer qu’on a été servi !

C’est ainsi que ce lieu atypique avec sa galerie, son dôme percé d’oculus insolites qui le jour laissent passer la lumière, reçoit Jowee Omicil au pedigree déjà bien fourni. Du RH Factor de Roy Hargrove au trio M.O.M dont il est le « O » les « M » étant les frères Moutin, entre autres, il rayonne de son énergie musicale. Saxophoniste virtuose, prolifique, il est ce soir en quartet avec Carl-Henri Morisset au piano et au Rhodes, Jendah Manga à la basse et Yoann Danier à la batterie.

Quand Jowee débarque sur scène chargé de ses saxophones et d’une clarinette basse, très fit, très looké et très décidé, on se dit que ça va barder ; ça ne tarde pas. Le voilà parti dans un flot, un flow dit-on maintenant, de sax ténor, la rythmique lui emboitant le pas dans une tourne aux accents de danse folklorique engagée et généreuse. La basse aux cordes multicolores de Jendah charpente déjà le tout comme elle le fera toute la soirée, fondamentale. Après cette mise en jambes de près d’un quart d’heure le concert va prendre une autre tournure, participative, Jowee nous parle, moitié discours, moitié slam, personnalisant ses propos au lieu, au public et de suite introduisant la notion qui lui est si chère, l’amour, le Bash : « Let’s bash ! », aimons-nous ! Le revoilà parti au soprano cette fois où il excelle aussi, totalement engagé spirituellement et physiquement, il danse, saute, se tortille, un véritable athlète dont le corps est au service de sa musique. De l’énergie pure maîtrisée par des passages de ballades où il peut murmurer dans son soprano mais vite enfiévrés vers ce flow continu et musical. De l’improvisation totale qui se sent et que me confirmera Yoann le batteur : « Avec lui, quand on monte sur scène on ne sait pas ce qu’il va se passer, ce qu’on va jouer ». Du jazz à l’état brut.

Jowee s’empare d’un fifre, minuscule instrument avec lequel il va défier l’énorme batterie, spectaculaire, prodigieux. Mais voilà qu’il se saisit de la clarinette basse, il en sort des sons insolites, caverneux, interrompus par des mélopées vocales, il est comme habité par sa propre musique. Démarre un slam, improvisé bien sûr, qui se transforme quasiment en prêche – atavisme, son père était pasteur – l’amour, toujours, dont il se dit l’ambassadeur, il est là au milieu du public, le touche, le provoque de son humanité, remonte sur scène évoque Miles Davis, Charlie Parker, d’autres mais aussi Toussaint Louverture, lui le Canadien fier de ses origines Haïtiennes.

Haïti nous y voilà partis en musique, le sax volubile, la rythmique magnifique. Des notes de « My Funny Valentine », pas longtemps, on est vite ailleurs, j’entends la fièvre de Fella, la liberté d’Ornette Coleman. Il est encore redescendu dans la salle partager physiquement sa musique avec nous, « Let’s bash ! » son leitmotiv. Au fil du concert il a enlevé ses quatre couches de vêtements, finissant par dévoiler ses pectoraux affutés ; un athlète vraiment, un athlète du saxophone surtout, comme possédé par sa musique et sa mission de donneur d’amour. Pour nous une expérience unique et pas un instant l’impression d’assister à du grand guignol. Ses musiciens m’avoueront que ses concerts – quand Jowee est en leader bien sûr – finissent par lui échapper, que lui même est surpris par la tournure qu’ils peuvent prendre ; et eux bien sûr aussi ; et pourtant croyez-moi qu’ils assurent !

Un tour au Cap Vert où son sax ténor a tant de chose à chanter et l’invitation à danser à un public qui n’attendait finalement que ça, tellement sollicité depuis le début du concert. Dernier moment de partage, d’interaction et et je dirais de liesse avec en second rappel le « See-Line Woman » de Nina Simone.

Jowee Omicil, un phénomène pour un concert – quasiment un happening – phénoménal ! « Let’s bash ! »

https://www.selmer.fr/fr/artiste/jowee-omicil

Galerie photos d’Alain Pelletier :