par Philippe Desmond
Thélonious, Bordeaux, samedi 6 avril 2019.
Dans l’histoire du jazz la fin des 60’s a vu émerger en Angleterre un courant nouveau issu du British Blues Boom, appelé assez vite par certains jazz-rock, autour de musiciens tels que Graham Bond organiste et saxophoniste, le bassiste Jack Bruce, le guitariste John McLaughlin, etc. Soft Machine l’a fait évoluer vers une forme plus improvisée. Assez vite ce courant a traversé l’Atlantique et aux USA c’est la galaxie Miles Davis, toujours au fait de nouveautés, qui a emboîté le pas. Miles lui-même, Herbie Hancock et ses Headhunters, Chick Corea avec Return to Forever, Billy Cobham, toujours en activité, l’ont davantage ancré dans le jazz alors que des Zappa ou Blood Sweat and Tears pour ne citer qu’eux restaient plus rock ou rhythm’ n blues. Des générations sont entrées en jazz grâce – ou à cause selon les points de vue – de cette musique. Votre serviteur notamment. Petit à petit ce style a lassé certains, donnant souvent lieu à des démonstrations techniques pour les uns ou dégageant une certaine froideur lisse pour d’autres. Le jazz fusion car davantage world l’a remplacé, on pense à Weather Report. En France après Jean-Luc Ponty des Didier Lockwood, Sixun, Post Image notamment ont entretenu ce genre. Pourquoi parler de cela ? Parce que ce soir la proposition du Jean-Marie Morin group est justement dans ce registre.
Jean-Marie Morin est bassiste et compositeur, Action Jazz l’a connu dans la première formation de Tom Ibarra avant que ce dernier n’aille tenter l’aventure au delà de la région. Jean-Marie a été son grand frère, tenant la main – déjà agile – du jeune guitariste pour ses premiers pas scéniques.
Le Tom Ibarra group est d’ailleurs lui aussi parti vers ce jazz rock ou fusion qui a toujours un large public. JMM joue ce soir avec un ancien du TIG le pianiste Christophe de Miras,
et un actuel du TIG le batteur Pierre Lucbert.
Surprise, aux sax, ténor et alto, Thomas Lachaize. Surprise oui car on ne l’a pas vu depuis longtemps dans ce registre, ni même dans le jazz, plus occupé par le classique – avec l’ONBA – et le contemporain, surprise finalement non, car on connaît son éclectisme, celui-ci se déclinant toujours avec une qualité musicale extrême. A lui le rôle de soliste pour enflammer le set, ce dont il ne va pas se priver. Quel plaisir de le retrouver !
Toute les compos sont de JMM à l’exception de deux, nommées, si ça vous parle, « Donna Lee » et « Caravan », on en reparlera. Si on doit résumer en seul seul mot, c’est groove qui vient à l’esprit, un groove souvent speedé même ; des beats au delà des limitations de vitesse, 145, 180, 190 !
Très inspirées ces compositions, de la mélodie toujours, de la place pour les impros, les chorus, le côté jazz du genre. Rythme vivifiant donc, Pierre Lucbert avec sa verve habituelle ne négligeant aucun des ses nombreux fûts et cymbales pour faire tourner la machine.
Jean-Marie à la rythmique avec lui, bassiste oblige, mais pas seulement, leader oblige. Tapis harmonique et chorus pour Christophe de Miras avec des sons de Rhodes, de clavinet ou d’orgue Hammond suivant les moments. Rôle de soliste pour Thomas Lachaize partagé avec la basse avec ainsi de nombreux unissons très intéressants et originaux. La basse ou plutôt les basses, une avec et l’autre sans frettes du luthier, de Dordogne, Baptiste Vergnaud. Nature ou avec effets elles sonnent dans le mains de Jean-Marie aussi bien qu’elles sont belles.
Revenons sur les deux compos que tout le monde connaît je suppose : l’inusable « Caravan » d’autant que ce soir elle a droit à une révision générale, démontage, dépoussiérage, remontage et peinture pétard ! Tempo 145, démarrage funk, arrivée du sax alto avec la mélodie classique qui glisse assez vite vers autre chose frisant le punk, apaisement – façon de parler – latino par les claviers, ré-électrisation par des slaping de basse, tempête de batterie ; les musiciens aboient la « Caravan » passe, à 145 ! Un bonheur pour le public qui a répondu présent en masse et ne cache pas sa satisfaction ; le Thélonious est en feu. Quant à « Donna Lee » de Charlie Parker, l’idole de JMM et dont Thomas a endossé sans trembler, sinon le costume au moins la chemise à carreaux, après un voyage à 190 bpm elle a fini totalement décoiffée ! Surprenant et excitant d’entendre ce thème ainsi.
Super concert, vraiment, joyeux, même lors des deux ballades obligatoires, non par contrat mais pour calmer public et musiciens. Finalement le jazz rock non seulement c’était bien mais c’est toujours bien quand c’est fait avec talent et sincérité. Nous on en redemande alors organisateurs qui lisez ces lignes foncez !
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