Jazz à Oloron 2022 #3/3
Jazz à Oloron 2022, Festival “Des Rives & Des Notes”
28ème édition
Par Dominique Legeay
Après deux années de silence ou presque, cette édition a pu enfin avoir lieu sous son format habituel, soit huit soirées à l’Espace Jéliote du 26 juin au 3 juillet. Des problèmes de grève dans les transports aériens on conduit les organisateurs à annuler le concert de Nik Bärtsch’s Mobile prévu le 3 juillet à 17h00, seule date en France. Ils ont du s’adapter aux retards de train et d’avion qui ont contraints les artistes et les techniciens à écourter les balances, perturbant et irritant au vu de la récurrence du problème. Un dernier point, on note une fréquentation en baisse, qui est générale, reste à souhaiter que cela ne fragilise pas à terme et durablement le spectacle vivant.
L’histoire se répète c’est Natalia M King (voc,g) qui comme en 2017 a ouvert le festival accompagnée par l’excellent Ludovic Bruni (g), François Bernay (b,db),Vince Laurent(d) et Nicolas Argentière (cla). Sur le projet “Woman Mind of My Own” elle a trouvé un équilibre et un répertoire à sa mesure, puisé aux racines du blues et de l’americana. On soulignera dans ce set sa version de “Pink Houses” de John Mellencamp, son punch sur “AKA Chosen” et le très beau “Forget Yourself”. On souhaite qu’elle poursuive dans cette voie avec confiance et sérénité.
Le samedi 25 juin deux concerts étaient au programme. A 17h00 les membres de Coccolite, ont confirmé qu’ils n’étaient pas Lauréats de Jazz Migration par hasard. Nicolas Derand (cla), Julien Sérié (d, elec), Thimothée Robert(b,elec), rescapés du rail ( ils sont arrivés une demi-heure avant le début du concert), ont livré une prestation qui a constitué une révélation intéressante et surprenante. Solidaires, unis par une musique qui flirte avec le jazz, le hip hop, l’électronique, ils mettent leur technique au service d’un répertoire original.
La virevoltante Yilian Canizares (voc, vln) passait en soirée, comme en 2017, flanquée de l’imposant Chido Tomas (b) et d’Inor Sotolongo (perc). Le “Resilience Trio”est né pendant la pandémie avec pour but de lutter, de se battre contre l’adversité, les grands défis de notre époque en particulier le réchauffement climatique. Des titres comme “Libertad” ou “Yemaya” en sont la parfaite illustration. Le violon se pose en contre chant sur “Juegos de Aquas ”et s’envole pour “Plumas en el Viento”. On retiendra un solo de basse hendrixien de Tomas, une basse double manche sur mesure, 4 cordes fretless et 5 cordes avec frettes. Celui-ci n’a pas cessé de challenger un Inor Sotolongo solide aux percussions. Yilian a esquissé sur la fin quelques pas de danse comme à Cuba, puis s’en est allée gracieuse et féline.
Par un dimanche pluvieux sur le piémont oloronais pourquoi ne pas venir écouter le duo nouvellement formé par Nicolas Gardel (tp) et Arthur Guyard (p). Ils nous ont offert un moment musical parfait pour cet horaire, alternant standards et compositions originales.
Ici la mélodie prime, le lyrisme et la virtuosité sont présents, Arthur Guyard au piano est une vraie découverte. Sur un blues, Nicolas Gardel fait un solo mettant en lumière toute la palette de sons qu’il peut tirer de son instrument. Il pleut toujours mais on quitte la salle avec du soleil entre les oreilles. La prestation très attendue du merveilleux Michel Portal (cl,ss) constituait le point d’orgue de ce premier weekend. Pour ce projet “MP 85” Bojan Z (p, cla) tantôt explosif, tantôt aérien, Julien Herné (b) impeccable, Stéphane Galland (d) précis et Nils Wogram (tb) l’expressif tromboniste allemand constituait un line up d’exception à la hauteur de son leader. Michel Portal s’avance lentement vers le centre de la scène accompagné de Nils Wogram, il saisit sa clarinette basse et dès les premières mesures d“African Wind” on le sent habité, transporté dans une autre dimension, son univers la musique. Suivent “Full Half Moon” avec un chorus époustouflant de trombone, “Mino Miro” et le piano subtil de Bojan, la splendide mélodie développée à la clarinette pour “Armenia”. Ensuite, au fil des morceaux, c’est un kaléidoscope d’ambiances, de climats, de paysages, d’émotions, que l’on vit jusqu’à “Cuba Si, Cuba No”. Au deuxième rappel, seul sur scène, Michel joue l’émouvant “Eskual Kantua”. Tout simplement bravo et mille mercis Monsieur Portal !
En milieu de semaine les Collégiens des classes Cham se sont produit concrétisant leur année musicale avant d’être conquis par le groove et le punch du Funky Style Brass.
La 15ème édition tremplin “Des Rives & Des Notes” se déroulait pour la première fois à l’Espace Jéliote pour donner aux quatre groupes sélectionnés des conditions de jeu professionnelles et obtenir une qualité d’écoute optimale. Cette innovation a été saluée par les musiciens et les spectateurs, une expérience à renouveler. Le niveau musical très élevé a rendu la délibération du jury, présidé par le pianiste palois Eric Braccini, difficile. Le palmarès est le suivant : – AKINROOTS prix du jury
– AYINSK prix de la mairie
– Balthazar BODIN tromboniste de AYINSK, meilleur instrumentiste
– AKINROOTS prix du public
Le deuxième weekend a débuté le vendredi 1er juillet avec le quartet d’Airelle Besson (tp), Isabel Sörling (voc, elec), Benjamin Moussay (p, cla) et Fabrice Moreau (dm). La disposition scénique laisse présager de la suite, Airelle et Isabel côte à côte à droite de la scène, Benjamin et Fabrice à gauche leur faisant face. La voix et la trompette vont développer lyrisme et mélodie, le piano ou le Fender Rhodes accompagne ou majore le propos, la batterie discrète et subtile bonifie l’ensemble. C’est léger, vaporeux, entre transe et méditation.
Lorenzo Naccarato (p, elec) a surpris le public avec un piano solo peu conventionnel, le samedi en fin d’après-midi. Sur le piano droit ouvert sont posés d’anciens magnétophones et autres machines. Après un premier morceau il explique sa démarche, reproduire les sons de différents instruments au piano, avec un peigne d’accordeur, un morceau de couverture de survie ou le crin d’un archet de violon…Il se sert également de boucles sur lesquelles il développe la mélodie. Original, habité, ce pianiste innove, cherche et concrétise ses rêves. Cette expérience musicale interactive mérite qu’on s’y intéresse.
Dans la soirée un Belmondo quintet un peu modifié dans sa composition a enthousiasmé les festivaliers par sa générosité, plus de deux heures de concert, par sa maîtrise et par la franche complicité établie avec le public entre les titres. La faconde méridionale et l’humour des deux frères y sont sans doute pour quelque chose. Stéphane (tp, bu) et Lionel (ts, ss, fl) Belmondo frères de cœur et de musique, Sylvain Romano (db) solide, étaient accompagnés par l’espiègle Laurent Fickelson (p) qui alterne avec Eric Legnini et un appelé de dernière minute Matthieu Chazarenc (dm) qui a remplacé et de quelle façon Tony Rabeson (covid). Lionel n’a pas manqué au cours du concert de le “provoquer”, de le pousser à donner le meilleur de lui-même, ce qu’il a fait avec brio, à suivre. Ce concert qui rendait hommage au fil des compositions, à Wayne Shorter, Bill Evans, Yusef Lateef ou Woody Shaw, célébrant leur mémoire dans une fraternité musicale ayant un socle commun, fût un grand moment de cette édition. Ne pas oublier “Song For Dad” somptueuse ballade dédié à leur père Yvan qui fût l’initiateur de leur parcours musical et humain.
Pas de concert le dimanche 3 juillet à 17h00, les musiciens n’ayant pu rallier Oloron à cause de la grève d’Air France. Ce problème de début d’été répétitif et lassant de prise en otage des passagers au moment des vacances se règlera-t-il un jour ? Les fans et les amateurs de Nik Bärtsch dont la musique est parfois répétitive mais jamais lassante étaient déçus, ça, ça peut se comprendre. C’est Rymden à 21h00 qui a conclu cette édition, nous entraînant à bord leur vaisseau spatial, pour un voyage dans leur espace musical. Avec pour équipage Bugge Wesseltoft (p, cla), Dan Berglund (db), Magnus Oström (dm), ce trio propose un répertoire allant du jazz rock « The Space Sailor » en passant par la fusion ou par des titres comme « Pilgrimstad » plus mélancolique ou la balade au piano « Arriving At Ramajay ». C’est tout cela qui fait la singularité et la profondeur de ce power trio qui a un public à trouver et à conquérir dans le sud de l’europe.
Un dernier point, le grand succès populaire du festival Off, relocalisé au Jardin Public, dont il faut souligner l’excellente programmation.