par Anne Maurellet, photos Philippe Marzat

CENAC Jazz 360 – samedi 8 juin 2019

1ère partie – Mowgli

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Bastien Andrieu, piano, claviers et machines (Mini Moog…)

Ferdinand Doumerc, saxophones et flûte

Pierre Pollet, batterie

En guise de Ballade, taper le « la » sur le clavier, monter en gamme, se faire rattraper par le saxo et la batterie. Après ce sobre envol, entendre le saxo suave se déployer par battements d’ailes progressifs pour atteindre le plafond qui s’élève… un peu d’électro, de l’improvisation, du rock et du groove. C’est bon le jazz quand ça vous allège ! Et la scène recommence, on redécolle par accélérations délicieusement irrégulières.

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Choisir, c’est renoncer ! Ferdinand hésite entre ses deux saxo. Il est libre, Ferdinand ! La batterie de Bastien Andrieu avec ses maracas et le clavier pulsent, répètent, on pense aux sons futuristes de Laurie Anderson. Le saxo suit, on retrouve le plaisir des sons qui se déploient pour qu’on les goûte. C’est un jazz volontaire, où le clavier distribue le tempo, mais ici, le saxo conciliabule : la cave recèle de ces désirs d’affranchissement…

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Le métronome chatouille le micro, les aiguilles du temps peut-être, le piano sous-marin dirige le saxo sur une berge lumineuse : Ferdinand a pris un chemin qui serpente. Les deux s’interpellent et la distance n’y fait rien, ils déambulent, deux facettes d’un One eyed jack. La flûte traversière invite à entrer avec légèreté dans cette transe d’apparence anodine ; les aigus s’aiguisent, on les suit un peu envoûtés, séduits.

Avec Bicouic orbidède, si le clavier et la batterie donnent le tempo et « attendent » le saxo chamallow, c’est pour l’entraîner dans un trio où les notes s’entrechoquent. Ils ne font qu’un soudain. Et puis, le sax revient pour iriser le groupe, son un peu Klezmer. Le clavier aime superposer la répétition à la main gauche et un babillage brillant à la droite. La batterie s’emballe alors avec dextérité. Le saxo leur en remontrera, on retombe au sol…

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Le pianiste Bastien Andrieu et son clavier devient psychédélique, on entre en étrangeté, en Murkiness, genre La nuit du chasseur, un merveilleux un peu inquiétant. Si une barque saxophonique glisse sur l’eau brillante, elle protège par sa puissance, mais la pellicule brûle à la chaleur des inspirations et expirations sporadiques de nos trois emportés ! Reste une barque ouateuse, une nuit lumineuse et des étoiles scintillant au firmament. Jazz, quand tu nous emportes…

L’obsédant piano revient, Dario, le saxo se stéréorise comme pour accentuer une superbe plainte. Tempo affolé, sons électroniques, la batterie s ‘électrise aussi, funk. Y a plus qu’à « embarquer » le saxo qui ne se fait pas prier. Techno jazz party. Pour finir, la batterie de Pierre Pollet éclate le mur du son !

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Non seulement, les musiciens du trio Mowgli rendent joyeusement poreuses les frontières du jazz, mais ils ont en plus un humour frais, un rien de modestie, ce qui ne gâte rien…

2e partie : Céline Bonacina Crystal quartet

Céline Bonacina – Saxophones baryton et soprano
Léonardo Montana – Piano
Chris Jennings – Contrebasse
Asaf Sirkis – Batterie et Percussions

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On entre dans le somptueux.

Avec Smiles for serious people, le saxo soprano puis baryton de Céline Bonacina vitupèrent, la contrebasse de Chris Jennings est voluptueuse en contre proposition, le piano scande en adéquation avec la batterie percussionnante : la conversation est engagée, revendicatrice. Composition savante et fine. Le cristal de roche régule et diffuse l’énergie de manière subtile, mais pas seulement…

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Il n’empêche, Child’s mood est un morceau de cour de récréation, quand les enfants s’amusent, heureux de cette vacuité. La contrebasse raconte cette belle légèreté, accompagnée du piano, et le saxo saute d’une jambe à l’autre…d’une note à une autre, primesautier. Joies enfantines, délicieux bonheur. La balle est passée dans le camp de la batterie qui la renvoie à coups de jolis rebonds au sax qui ne la dément pas. Un rien d’excitation et les deux rivalisent comme pour de rire.

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Shanty, composition du pianiste Gwilym Simcock. Le sax soprano est au-dessus du piano tapoté par Léonardo Montana, cordes tapées, frémissements, frétillements, expirations et puis le son qui s’étire et se pare de sa beauté : c’est difficile alors d’écrire, on reste coi devant la simplicité créatrice. La contrebasse et ses effets se schizophrénise, le morceau devient une sorte de chant obstiné incantatoire. Gravir une montagne avec élégance, parvenir au sommet, y avoir préparé mentalement les crêtes, et nous amener devant la chaîne aux neiges étincelantes. Le piano s’en est emparé et brille de mille éclats, accords rayonnants, lyriques ; pas question de redescendre, il est clair qu’on va rester sur les hauteurs !…

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La batterie tambourine à la Léon Parker, On the road, plus chercheuse de rythme tribal, plus que de prouesse. Asaf Sirkis forcené : pureté de l’africanité ou tambours du Bronx à lui tout seul. Les trois l’attendent pour répondre par de la volupté tout d’abord, et puis de la hargne subtile, comme un combat délicat certes, mais à mener ensemble. Et ils se rejoignent.

Les quatre sont dans le vent qui agite une vieille enseigne dans une ville abandonnée sans doute : frottements, « susurrements » des instruments, on nous prévient que la musique commence là aussi. Il suffirait d’écouter. Le saxo marche lentement accompagné par le piano. Regardez-les flotter au-dessus du bitume, magnifiques vestiges du monde disparu. S’il ne restait que la musique, peut-être serions-nous sauvés. Je le crois, ce soir. Les voilà maintenant, dans une composition folle, avançant puissamment, avec résolution. On est petits, fascinés.

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Tout paraît apaisé. Le piano devenu bruissant, ouvre la voie à des réparties, des chassés-croisés dans une cacophonie organisée, du désordre savamment entretenu. L’oeil du Cyclone nous happe. La batterie s’envole définitivement, nous sommes attachés à ses trépidations ; le piano abasourdi la canalise enfin. Une accalmie ? Oui, on est délicieusement dévastés, soulevés, emportés.

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Pas question de redescendre.

.Pas question !

Enfin, si ! l’année prochaine à Cénac, on a hâte ! Merci à la programmation de ce festival à 360° : on veut refaire un tour complet !