par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat (les réussies) et PhD (les ratées).

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Ce dimanche, en clôture du UZestival 2017 du nouvel an, se déroulait « une rencontre citoyenne entre musiciens improvisateurs de jazz et autre » organisée par le Collectif Caravan, la Cie Lubat et Uzeste Musical. Le lieu choisi, l’Estaminet bien sûr, endroit de toutes les musiques, de tous les débats, de toutes les fulgurances, de toutes les expérimentations…

Plusieurs idées pour cette rencontre. D’abord que les musiciens se connaissent. Et oui cela peut paraître surprenant, notamment pour moi qui en connaît la plupart, mais eux ne se connaissent pas forcément. Travail, emploi du temps, concurrence… Certains se sont ainsi découverts ce soir. Cécile Royer du Collectif Caravan avait d’ailleurs bien fait les choses, ayant préparé des plateaux de musiciens qui ne jouent jamais ensemble. On va y revenir.

Deuxième idée, que ces musiciens et éventuellement d’autres acteurs échangent sur les difficultés du métier, la diffusion du jazz, ses lieux, son apprentissage, son avenir… Je précise que cet article n’est pas un compte rendu officiel des débats, il tente d’évoquer simplement une belle après-midi d’échanges.

Bernard Lubat en préambule remarque que le jazz a 100 ans et qu’on doit se pencher dès maintenant sur les 100 prochaines années , mais les préoccupations des uns et des autres ne sont pas à si long terme. Pour autant c’est avec plein d’espoir et d’étonnement que sont mis en avant deux jeunes élèves de Bruno Bielsa, Thimotée et Lionel, le premier qui a 12 ans, à la trompette et le second, un peu plus âgé, trompettiste aussi mais également pianiste, déjà des fidèles des jams de la Belle Lurette. Thomas Bercy au piano,

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Thomas Bercy

François Mary à la contrebasse, Sébastien Iep Arruti au trombone et Bernard Lubat puis Nicolas Terrancle à la batterie les « accompagnent » sur « Doxy » et « Bluesette » pour une belle entrée en matière.

Pourquoi le jazz les jeunes ? Je ne sais pas dit Thimothée. Une bonne réponse pour Lubat qui lui aussi cherche toujours. La notion d’improvisation arrive quand même de suite, cette liberté d’être son propre compositeur qu’offre le jazz. Illustration avec Lubat improvisant au chant et entraînant dans son envol nos deux jeunes trompettistes.

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Thimothée et Bernard Lubat

Qui dit jeunes dit apprentissage, un des thèmes abordés ce soir avec pas mal de profs présents, Nicolas Terrancle, François Mary de la classe jazz de Monségur, Julien Dubois qui dirige le département jazz et musiques actuelles du CNR de Bordeaux. Il en ressort une certaine « démocratisation » de la formation plus ouverte qu’avant et paradoxalement formant davantage de musiciens pour finalement moins de possibilités de jouer ces musiques. Une réelle contradiction que les pouvoirs publics n’ont pas encore perçue. Bonne intervention de Monique Thomas qui enseigne le chant et milite pour qu’on se lance à tout âge, pour le plaisir.

Intermède annonçant le débat suivant avec Franck Assémat (sax baryton) et Nikola Raghoonauth (voix) ; leur batteur Louis Lubat présent il y a 10 minutes a disparu, qu’à cela ne tienne Philippe Gaubert qui ne connaît pas les deux compères ni leur musique – eux non plus d’ailleurs ne la connaissent pas encore car il vont improviser – est appelé sur scène. Et, magie du jazz, ça marche et drôlement bien même ! Belle prouesse les amis et particulièrement Philippe.

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Franck Assémat  et Nikola Raghoonauth

On parle maintenant des manières de s’implanter, des lieux « à la campagne » où ça bouge un peu ou beaucoup. Monségur, son festival, son collège, son école de musique, les Colonnes, le Sud Gironde avec le Collectif Caravan, et Saint Macaire avec l’Asso Ardilla si dynamique, le collectif Amour Suprême Corporation de Franck Assémat, La Belle Lurette pleine d’initiatives, Uzeste bien sûr ici-même ou à côté au Café du Sport. Tous ces lieux où explique Thomas Bercy on fidélise un public, on s’enracine mais au bon sens du terme recherchant toujours la nouveauté, le public changeant peu et étant toujours à surprendre. D’autres lieux sont annoncés, à Saint-Macaire encore, à Castets en Dorthes…

Place aux Créonnais avec sur scène un trio inédit : sur sa propre composition, Serge Moulinier – de Créon donc – au piano avec Jonathan Hédeline à la contrebasse et Bernard Lubat aux baguettes. Superbe. Puis l’autre habitante de la bastide, Monique Thomas au chant, Lubat au piano, encore Jonathan, mais Eric Pérez à la batterie.

Un vrai moment de grâce entre musiciens qui ne jouent jamais ensemble. On parle de Créon, de l’association Larural et des jeudis du Jazz, événements musicaux et conviviaux menés par la volonté de bénévoles pour faire vivre ces déserts ruraux si loin et si près de la mégalopole bordelaise, jugée elle aussi d’ailleurs un peu désertique jazzistiquement parlant. Tous ces villages qui autrefois vivaient et qui sont maintenant devenus des dortoirs difficiles à faire bouger. Séquence nostalgie, l’Estaminet qui nous accueille, c’était autrefois au temps d’Alban et Marie Lubat, le ciné itinérant le mercredi, les réunions syndicales le jeudi, la belote et le billard le vendredi, les bals le samedi et le dimanche… Depuis 40 ans l’Estaminet dans sa forme actuelle ou presque existe contre vents et marées grâce là aussi à la volonté collective de nombre d’acteurs. Et rien n’est encore gagné !

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L’Estaminet

Ces initiatives des musiciens d’aller au devant des choses, de prendre en main leur envie de jouer devant du public, d’aller négocier avec les « bistrotiers », les organisateurs, les programmateurs, lancent le débat. Comment font alors ceux qui ne savent pas faire, ceux qui n’ont pas le temps, ceux qui n’ont pas cet état d’esprit demande Simon Pourbaix ? Et oui, les choses ne viennent pas toutes seules et cet aspect du métier n’est certes pas le plus facile. Comment ne pas se concurrencer en cassant les prix, en acceptant l’inacceptable quand on a besoin de payer ses factures ? Autant de questions sans réponses mais au moins enfin les gens se parlent. Au passage une volée de bois vert pour Action Jazz et son tremplin, la musique n’est pas une compétition pour Bernard et Simon que j’ai un peu provoqué aussi ! Pas faux, mais nous aussi on fait ce qu’on peut sans aucun moyen sinon les aides matérielles et logistiques de quelques partenaires… Et au delà du palmarès toujours discutable, ça met quand même en vitrine pas mal de musiciens qui en tire profit même si ce mot a maintenant un sens caricatural. Bon, sans rancune, car beaucoup de remerciements aussi pour notre action, rassure-toi Alain Piarou ! Quid des lieux permanents pour se retrouver comme dans certaines villes, Nantes, Coutances… Bordeaux est à la traîne pour ça mais à Action Jazz on doit en discuter avec la Ville.

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Comment être plus forts ensemble, on voit se dessiner l’ébauche des prémices d’un début d’entente entre musiciens, ne parlons pas de syndicat ou d’union, mais au moins on se parle.

Final collectif avec notamment Guillaume Schmidt (en vedette dans la dernière Gazette Bleue), Julien Dubois, Fabrice Vieira, Thomas Boudé, Brice Matha…

et Bernard Lubat qui vient bien sûr mettre un peu le bordel : « Maintenant on va jouer ce qu’on ne connaît pas » et là c’est parti pour un moment exceptionnel de création pure, de gaieté musicale, de free organisé quand même à la baguette par le trublion du lieu.

 

Conclusion étonnante avant une bien sympathique soupe au fromage pendant laquelle nos deux jeunes Lionel et Thimothée, le premier au piano et l’autre à la trompette, repartent jouer pour leur plaisir et le nôtre.

Il y a du boulot certes mais cette rencontre est pleine d’espoir pour la suite.

Epilogue :

Il est 19h45 à Uzeste et avec Iep on a encore le temps de passer au Molly Malone’s à Bordeaux où ça joue du jazz tous les dimanches soirs. On arrivera à temps pour profiter du 3ème set d’un trio inédit, Rachael Magidson (chant et trompette), Edwin Buger (orgue) et Antoine Fillon (batterie) le Canaulais revenu au pays après avoir passé 25 ans en Allemagne. Ça tournait très fort et Iep n’a pas pu s’empêcher de souffler dans son biniou, et comment !