par Philippe Desmond, photos Christine Sardaine et PhD

Festival Guitaralde, les 3, 4 et 5 juillet 2020 à Hendaye

Ezineskoa est un mot basque très peu utilisé dans ce pays, il signifie en effet impossible. Preuve en est le maintien ce premier week-end de Juillet du festival Guitaralde (prononcer Guitaraldé et appuyer l’avant dernière syllabe). Grâce à l’opiniâtreté des organisateurs avec à leur tête, David Gallet, Frédéric Aribit et bien sûr Jean-Marie Ecay (prononcer écaille, on est au Pays Basque pas à Paris) ainsi que grâce au sens des responsabilités et au courage de la municipalité d’Hendaye, cette 9ème édition a pu se tenir contre vents et marées ou plutôt contre Covid et pandémie. Quand on sait que 98% des festivals ont tout bonnement été annulés…

Le Basque est tenace, ils l’ont encore prouvé, ils avaient un plan B par rapport à la première organisation prévue. Plus de Mike Stern, mais il reviendra, ni de Rocco Zifarreli , un seul et unique lieu en plein air et avec une jauge réduite, plus de off mais quand même un très beau festival pour faire un pied de nez au virus. Le top a été donné en conseil municipal seulement deux semaines avant !

Le lieu d’abord, un endroit merveilleux avec une vue à 360° sur l’eau, la montagne, le port, la France, l’Espagne de l’autre côté de la Bidasoa, à quelques encablures de l’île du Faisan terrain neutre dès le XVe siècle pour les rencontres diplomatiques franco-espagnoles. Crise sanitaire oblige la jauge est limitée à 300 personnes assises alors que nous pourrions être des milliers. Gel, port du masque imposé lors des déplacements, y compris pour les bénévoles qui se font sévèrement secouer par David Gallet s’ils l’oublient ! Des organisateurs certes courageux mais surtout responsables. Des organisateurs chanceux aussi, la météo étant avec eux pour ces trois jours, même si sous le ciel étoilé les lainages sont plus que recommandés.

Guitaralde comme sont nom l’indique est un hommage à la guitare, aux guitares, jazz, classiques, flamencas ou rock.

La première soirée celle qui nous concerne le plus est donc vouée au jazz. Un duo que nous connaissons bien à Action Jazz va allumer les premières lueurs dans les yeux des spectateurs. Quatre mois que la plupart n’ont pas vu de concert, quatre longs mois que les musiciens n’ont pas joué devant un vrai public !

Voilà donc Marie Carrié et Yann Pénichou chargés d’ouvrir le festival, un duo intimiste dans ce décor grandiose, il fallait oser. Répertoire très éclectique, un choix de standards pas très standard de Monk à Gerry Mulligan, de la saudade, un peu de Brésil avec Joao Bosco, une très belle chanson de Paul Misraki « L’étang » pour finir avec le « Love is a key » de Tuck and Patti, le tout interprété avec sensibilité et sûreté par Marie Carrié, Yann Pénichou en parfaite osmose avec elle exploitant au mieux sa Gibson « Charlie Christian ». Des aigus pleins de finesse, des basses profondes, du groove parfois, pour un set épatant pas gagné d’avance dans ces circonstances.

Mike Stern n’étant pas là Jean-Marie Ecay s’est chargé lui même de le remplacer et pas d’inquiétude à ce sujet connaissant le guitariste local qui rayonne dans le monde entier. D’autant qu’il s’est entouré pour former ce quartet de trois très grands musiciens, Christophe Cravero (violon et claviers), Kévin Reveyrand (basse) et Nicolas Viccaro (batterie), du tout premier choix. Nous voilà parti pour un répertoire qui va mêler la puissance électrique à la poésie acoustique. Pas mal de compositions fusion de Jean-Marie, « Pottock Rodéo », « Gémini Mode » et ce que je prends comme un cadeau personnel tant j’aime ce titre, le « Fred » de Tony Williams dans une version à la fois fidèle et personnelle. Un régal. Nicolas n’a pas à rougir il n’a quasiment rien à envier à Tony aux baguettes.

Jean-Marie c’est aussi la sensibilité quand il prend sa Silent Guitar Yamaha jouée en acoustique pour nous offrir « Bras dessus, bras dessous » sa composition pour Claude Nougaro avec qui il a tant joué, ou « Belharra » la grande vague qui déferle sur la Corniche Basque, lui le surfer. Kévin Reveyrand sait alors se faire lui aussi délicat quant à Christophe Cravero quelque soit le registre il domine son clavier et aussi ses cordes. Quelle chance d’avoir ces quatre là devant nous dont la joie de rejouer est certaine, Jean-Marie le dira plusieurs fois. Première soirée magistrale faisant oublier tout ce qu’on vient de vivre et le froid de cette soirée d’été qui pique un peu.

Je n’était pas là le second soir pour le flamenco de Paloma Pradal et Sébastien Giniaux précédé de la guitare classique d’Eric Franceries mais des amies m’ont rapporté que c’était magique, le soleil ce soir là se couchant derrière la scène dans une palette de rouges infinie.

Troisième soirée consacrée à de la musique du monde puis qu’il faut coller une étiquette puis du bon vieux rock.

D’abord le duo Rebecca M’Boungou (voix percus) et Arnaud Estor (guitare) pour un concert plein de fraîcheur et de poésie dans un style folk, la guitare très raffinée d’Arnaud épousant la voix légère et sensible de Rebecca. En Français, en Anglais, en Ningala, un dialecte du Congo, celle-ci,avec douceur, va nous chanter l’innocence de l’enfance, le courage et la souffrance de certaines femmes, mais aussi l’amour. Bob Marley en rappel avec « Waiting in Vain », un très joli moment que ce concert.

Place alors à une légende du rock français, pote de Jean-Marie depuis toujours, le guitariste Nono, alias Norbert Krief, créateur de Trust et compagnon de route de Johnny pendant huit ans. Sur scène en combo, guitare, basse, batterie chanteur, son fils David Sparte, c’est parti pour une heure de rock pur et dur après une introduction un peu décalée en duo avec sa compagne au clavier.

Quand Jean-Marie Ecay viendra rejoindre le groupe pour un bon gros blues avec des joutes de guitares électriques, le public sortira de sa torpeur due en partie aux contraintes sanitaires ; écouter du rock assis les bras croisés ce n’est pas l’idéal…

Comment ne pas remercier chaleureusement toute cette équipe d’organisation qui contre toute attente à réussi à maintenir son festival ! On a eu l’impression que le monde redevenait normal, mais à quelques événements près, que l’été va être triste.

Carte AJ