Festival Be(e) Holiday de Mios
par Sylvie Delanne, photos Géraldine Gilleron (cliquer sur les photos pour agrandir)
Mios (33), les 19 et 20 août 2023.
Dimanche 20 août, 14h30, les équipes techniques du festival s’affairent à débarrasser la grande scène installée sous la halle François Cazis.
Les ondes d’énergie du Wave Jazz Band, excellent Big-Band de Gujan-Mestras ne sont pas encore totalement effacées que déjà les pupitres s’envolent.
Il fait une chaleur caniculaire mais 18 musiciens professionnels et amateurs depuis plus d’une heure nous offrent un florilège de leurs meilleurs morceaux de jazz sous la direction du dynamique saxophoniste Mickaël Dubois, par ailleurs directeur de l’ensemble et coordinateur de l’école de musique de Biganos.
« You are the sunshine of my life », « Fever », « Tutu » «Feeling good » de Nina Simone, « When you didn’t » pour célébrer les 106 ans qu’aurait eu Thelonious Monk…
Peu avant, à 11h30, c’était le Music en Leyre Big Band rattaché à l’Ecole de Musique de Mios sous la houlette de Valentin Foulon qui nous embarquait dans des compositions connues de Count Basie, Cole Porter, Ray Charles ou autre grande Norah Jones avec une mise à l’honneur ,cette année, des femmes musiciennes et bien sûr l’unique Billie Holiday.
J’ai aimé la belle voix de satin de Stéphanie Duvignau, l’ extraordinaire solo de percussions à la guitare de Eléonore Balsamo menant le public à la transe en embarquant alors les cuivres.
Ces deux concerts qui clôturent un festival ont pu témoigner de la vivacité des écoles de musique locales, de la qualité de leurs enseignements, du dynamisme et du talent de leurs professeurs, Valentin Foulon-Balsamo et Mickaël Dubois sont des maîtres du saxophone, d’autres pros étaient venus les rejoindre mais franchement la qualité des « élèves » de ces deux conservatoires ne laissait aucun doute sur leur avenir en musique.
J’ai pris un immense plaisir à découvrir ces deux impressionnantes formations qui avaient toute leur place dans un festival de jazz
Mais revenons sur la chaude soirée du samedi qui ouvrait la 2è édition du festival de jazz de Mios et donnait à ce petit bourg girondin niché au bord de l’Eyre les couleurs d’une certaine ville de Louisiane, concentration de passion pour le blues, le dixieland et toutes les couleurs et époques du jazz, parcourue de musiciens infatigables, de 1000 clubs et où la musique fuse de tous les orifices cuivrés.
Le Festival de Mios, concocté avec passion par Valentin Foulon-Balsamo et Sébastien Barthélémy (directeurs artistiques et programmateurs) épaulés par une formidable équipe de bénévoles, musiciens ou pas, a avant tout et on le sent bien, l’ objectif de faire découvrir les différents courants du jazz à un public local qui parfois peut se sentir dépassé par une certaine méconnaissance de ce grand courant musical, se cantonnant précisément au style des années 30 . Trop souvent, de la part de proches refusant mes invitations à m’accompagner aux concerts, j’ai entendu cette phrase agaçante « Oh, moi le jazz, je n’y comprends rien, c’est une musique compliquée… ».
Pour démolir ce cliché qui empêche certain public de fréquenter les concerts de musiciens contemporains, Valentin Foulon a choisit d’ouvrir le festival à 18h30 par une conférence éclairante sur l’histoire du jazz né à la fin du 19e siècle, la naissance des styles et ses évolutions au cours des 20e et 21e siècles, nous apprenant que le terme « Jazz » n’était apparu qu’en 1915.
Exposé passionnant sur ses évolutions, du ragtime en 1897 au be bop en 1950, du cool jazz et la bossa nova, du hard bop aux racines africaines au rythm&blues, du free jazz au jazz modal des années 60/70, du jazz funk au latin jazz, au blues au hard bop, au swing manouche et encore au jazz fusion quand le rock rencontre le jazz … sans oublier que le jazz comme la soul a pris son rythme dans les champs (chants) de coton et a toujours été une musique de revendications, de liberté et de spiritualité partout ou les hommes sont esclaves d’un système ou victimes de leurs racines.
Depuis plus d’ un siècle, le jazz a donné la parole à la libre improvisation des musiciens dans le groupe, à la recherche de virtuosité , d’harmonie ou disharmonie, a introduit de nouvelles métriques, a été la voie de la colère et de la résilience.
Des séquences musicales enregistrées ou jouées avec maestria par Eléonore Balsamo à la guitare et Valentin Foulon au saxophone ont ponctué cette présentation essentielle de sa Majesté le Jazz.
Après le discours d’ouverture par le maire de Mios, précieux soutien de la manifestation, un superbe apéritif au son du Bolster Underline Dixieland, le groupe bordelais de Jazz New Orleans né en 2011 a pimenté le plaisir offert par les multiples propositions de l’espace restauration.
Belle ambiance malgré les 30° , beaucoup de monde, une fête collective puis un public décontracté s’installe peu à peu sous la halle pour découvrir le programme de la soirée.
Deux excellents groupes en suivant vont illustrer deux des grands courants du jazz :
En première partie de soirée le LATIN SPIRIT, formation bordelaise émanation de la grande île de Cuba a embarqué le public dans ses rythmes de salsa portés par la voix callente et puissante de Mayomi Moreno et la trompette de Pierre-Jean Ley.
Chaude ambiance de la couleur des rythmes latinos sur les belles harmonies du jazz, pour une fois les danseurs de salsa ont pu s’exprimer en live et le public a accompagné ces excellents musiciens.
Rodolphe Russo (flûte, chœur, direction) a ouvert la soirée sur une magnifique intro à la flûte immédiatement reprise par le sax de François-Marie Moreau sur fond de percussions endiablées.
Citons Cyril Dumeaux au saxophone baryton, François-Xavier de Turenne au piano et aux compositions, Franck Leymerégie aux congas, Benjamin Pellier à la basse et Frédérick Jarry ( Timbales, drums et chœurs).
Avec eux, nous avons retrouvé les ambiances afro-cubaines de Tito Puente, Poncho Sanchez ou Orlando Maraca.
Deuxième partie de soirée, l’excellent groupe funk OAKLAND va faire groover les étoiles !
Ce collectif de 12 magnifiques musiciens bordelais reprend le répertoire du mythique groupe funk Tower of Power originaire d’Oakland en Californie, né en 1970 et toujours en activité.
Cet hommage à la musique de la West Coast va démarrer sur les chapeaux de roues avec un batteur et un bassiste qui envoient de folie, le grand Mickey Fourcade, à la batterie et le non moins efficace Geoffrey « Shob » Naud à la basse, à la guitare l’excellent Christophe Maroye, Cyril Dumeaux captivant au sax baryton, François-Marie Moreau et Bertrand Teyssier aux sax tenors, Franck Vogler et Pascal Drapeau trompettes, un Stéphane Mazurier tellement inspiré aux claviers… ce ne serait pas complet sans citer le chanteur de soul exceptionnel, Wilfried Deurre, accompagné d’Isabelle et Adeline Ouvrard. Un concert puissant, sonnant et cuivrés que le public a écouté avec passion.
En conclusion de ces quelques heures de folie à Mios je dirais que « Et oui ! Le jazz c’est tout ça ! » On peut s’y perdre en effet, mais sans complexe il faut toujours accueillir cette musique d’histoire, trait d’union entre les peuples et dans laquelle tous les musiciens s’engagent du plus profond de leur âme pour faire vibrer nos cœurs, embarquer nos corps et raconter la vie du siècle.
Le jazz c’est une musique qui avance – toujours – vers son futur tout comme les fanfares de la Nouvelle-Orléans continuent d’impulser une joie de vivre jusque dans les cortèges funéraires.
Le jazz, c’est la vie et le groove de l’espoir !
Nous ne pouvons que remercier ces excellents musiciens qui se doublent tous d’être des pédagogues appréciés et des passeurs de liberté et louer le développement de festivals de proximité – récemment, Mios, Arcachon, Soulac – qui offrent aux musiciens de jouer compensant un peu ainsi la fermeture des petites salles bordelaises.
Merci à tous les organisateurs, élus et bénévoles qui s’engagent dans ce sens et démocratisent ainsi une musique fondamentale.