Cuvier de Feydeau / Artigues / 8 février 2019
Texte :Annie Robert
Photos : Olivier Barau
Que voilà un d’équipage inattendu pour une étonnante musique !!…. Voyez plutôt.
Etenesh Wassiè vient d’Ethiopie, elle y est connue pour ses improvisations audacieuses sur les chants azmari, et porte en elle la culture des bardes de son pays . N’étant ni gardien d’une mémoire familiale, ni dépositaire officiel de la tradition orale, son chant se nourrit plutôt des observations du quotidien, des amours contrariées, des conflits et des inquiétudes. Elle a la voix grave et puissante qu’il faut pour être entendue de loin, respectée dans ses mots. Elle délivre non pas des chansons de folklore, mais bien un chant en majesté, une improvisation, une plainte qui raconte et anime le vent, l’aridité, les attentes, les colères et les espérances. Forte, enracinée, pugnace.
Mathieu Sourisseau lui, est toulousain, multi instrumentiste, naviguant dans les franges du jazz et des musiques improvisées, spécialiste de la basse acoustique avec un mode de jeu très particulier, alliant les déclinaisons d’arpèges, les cognées sauvages, les grincements d’archet ( à la basse!!) aux résonances fortes des amplifications électroniques
.
Qu’est ce qui peut bien rapprocher ces deux entrées dans la musique, ces deux continents, ces deux temporalités sinon l’amour de l’improvisation, et le désir d’humanité commune. Complétés avec grand talent par le contrebassiste Sébastien Bacquias, ils jettent à trois des ponts fragiles, des fils qui vibrent, se vrillent et s’entortillent, des lianes d’araignées entre deux paysages sonores que l’on pourrait penser bien éloignés mais qui se retrouvent sur des sonorités basses, des fréquences fiévreuses, des ostinatos qui rappellent le messenqo, ce violon monocorde traditionnel qui accompagne toutes les chansons du patrimoine éthiopien.
Ces écarts, ces éclats, ces modes de jeu décalés brouillent les pistes et ne sont guère familiers à nos oreilles. Il faut un peu de temps à l’auditeur pour se laisser porter et se débarrasser de ses poussières. Mais les images colorées et abstraites en arrière plan, favorisent le détachement nécessaire.
Fait de feulements, de grands élancements, ou de trémolos, le chant a- mélodique d’ Etenesh Wassiè est surprenant, il envoûte et interroge, il crée une véritable émotion sonore, entre clairières ensoleillées, clameurs aigres et fossés de buis noirs. A cappella, il nous entraîne dans ses limbes.
La force de ce «spectacle» est sûrement son pouvoir d’évocation, son parti pris du non confort, de l’ailleurs, de l’autrement avec une masse sonore différente. Et surtout l’intelligence dans la connaissance du patrimoine de chacun. Le frottement des cordes, leur répétitions entêtantes, tissent en effet un tapis d’où sortent de nouvelles mélodies, soulignant en filigrane les modes éthiopiens mais dans lesquelles on perçoit des influences aux teintes plurielles (rock, jazz, musiques improvisées, musiques du monde…). Un univers dans lequel cette voix singulière s’exprime en toute liberté, sans se gâcher et sans se perdre.
L’énergie exprimée n’est pas celle de la joie, ni du bonheur mais plutôt celle du combat et de la lutte. Elle appelle peu la danse, ni la béatitude libérée mais une cruauté étrangement punk, assez ensorcelante. Le dernier morceau tonique et vif conclura le concert par un tourbillon de poussière et d’âpreté et l’arrivée fugace d’une mélodie de berceuse. Sans parler d’un rappel en éclat de bombe, en cris sonores et en rires étouffés.
L’ étrange équipage a bien trouvé sa route, entre soubresauts et cahots, entre paroles et sons, modernité et tradition, pour une musique de croisement renforcée de l’apport unique de chacun. Plus qu’intéressant !!