Django Célébration #1

Stochelo Rosenberg, Rocky Gresset & William Brunard


Par Pops White
Line-up :

Stochelo Rosenberg (guitare) – Rocky Gresset (guitare) – William Brunard (contrebasse, direction artistique)

Il y a des évidences qui ne souffrent pas la discussion. Dire que Stochelo Rosenberg est une légende vivante du jazz manouche, c’est à la fois un truisme et une déclaration d’amour.

Depuis plus de trois décennies, son nom figure sur l’Olympe des guitaristes, au même titre que celui de Django, dont il est l’héritier le plus naturel et le plus flamboyant. Son phrasé lumineux, sa virtuosité jamais démonstrative, cette façon unique de faire chanter chaque note : écouter Rosenberg, c’est arrêter le temps, et retrouver le souffle vital puissant et délicat de la guitare manouche.

À ses côtés, le projet Django Célébration #1 réunit deux complices à la hauteur du défi. Rocky Gresset, c’est l’élégance incarnée. Élégance du geste, élégance de l’intention, élégance de l’âme surtout. Élevé dans la tradition manouche, mais nourri aussi des maîtres du jazz américain, de Wes Montgomery à Pat Metheny, il a développé un jeu souple, d’une grande subtilité, qui fait de lui l’un des guitaristes français les plus respectés de sa génération.

Et puis il y a William Brunard, le contrebassiste qu’on s’arrache, architecte discret de tant de projets prestigieux (de Biréli Lagrène à Angelo Debarre). Ici, il n’est pas seulement le socle : il est aussi l’initiateur et le directeur artistique de cette nouvelle collection « Django Célébration », portée par le Sunset-Sunside et Label Ouest. Son ambition ? Offrir, jusqu’en 2028 (75 anniversaire de la disparition de Django), une série de rencontres intergénérationnelles qui réunissent la crème de la crème de la guitare manouche : figures consacrées et talents émergents, dans un dialogue continu entre mémoire et invention.

Ce premier volume place la barre très haut. Construit essentiellement autour de compositions de Rosenberg, l’album s’ouvre une de ses mélodies emblématiques :

For Sephora : composée dans les années 90, cette bossa manouche est devenue un classique instantané. Virtuosité insensée, mais jamais tapageuse : chaque phrase ciselée s’inscrit dans un bonheur harmonique lumineux. On entend déjà ce qui fait la singularité de Stochelo Rosenberg : la vitesse sous contrôle, la brillance toujours au service de la ligne mélodique.

Strange Eyes : un swing plus vif, fusion réussie entre la légèreté manouche et l’énergie bop. Le dialogue basse-guitare atteint des sommets : le chorus partagé entre Brunard et Rosenberg est un modèle d’équilibre et de complicité.

Douce Ambiance : bijou de Django Reinhardt (1943), qui retrouve ici son parfum originel : une ballade en mineur, à la fois mélancolique et dansante. Le choix d’un enregistrement public renforce l’atmosphère : on entend les applaudissements ponctuer les chorus (tous réussis, évidemment), comme une jubilation partagée entre scène, salle et chroniqueur fasciné.

Webster : également signé Django, il apparaît deux fois, dont une version radio edit diffusée en avant-première. Moins connu que Nuages ou Minor Swing, ce morceau fut probablement un hommage à Ben Webster. Ici, l’équilibre entre harmonie, rythme et humour est total : on entend ce sourire intérieur qui traverse tout l’album.

Made for Isaac : Rosenberg revient à la bossa, dans une ligne mélodique suave et enjouée. Dédiée à son fils Isaac, la pièce garde cette douceur tendre qui ne sacrifie jamais à la musicalité prodigieuse des deux guitaristes.

Mozology : titre énigmatique, peut-être un clin d’œil à Bassology de Ray Brown ou à un jeu mozartien de Brunard… Quoi qu’il en soit, c’est un retour à des accords plus typiquement manouches, mais toujours impeccablement swing, avec un Brunard impérial, tour à tour soutien et soliste.

Over the Rainbow : standard absolu de Harold Arlen (1939), immortalisé par Judy Garland. Ici, le trio réussit l’impossible : rajeunir ce monument sans l’abîmer. La douceur mélancolique du thème est préservée, mais revisitée avec une fraîcheur aérienne, presque ébouriffante.

Double Jeu : clin d’œil final à la valse manouche, avec ce mélange de sourire et de mélancolie qui caractérise tant de compositions gitanes. On danse et on rit, même quand la nostalgie affleure : une façon de faire un pied de nez aux plaies et bosses du réel.

You Look Good To Me : signé Oscar Peterson, immortalisé par Ray Brown, revisité ici avec malice. La descente chromatique ultra-classique devient un objet neuf, original, porté par une inventivité constante et un plaisir de jouer qui déborde de chaque note.

Ce qui frappe surtout dans ce premier volume, c’est la qualité du dialogue. Stochelo et Rocky se connaissent, se respectent, s’écoutent : chacun laisse respirer l’autre, et c’est dans ces silences, dans ces respirations, que naît la magie. La contrebasse de Brunard n’accompagne pas seulement : elle enlace, elle propulse, elle chuchote parfois.

Au-delà de la réussite musicale, il y a une vision : faire de cette collection un voyage au long cours, une traversée de l’héritage de Django qui résonnera jusqu’à nous, comme un fil tendu entre générations. Si ce premier jalon en dit long sur le niveau d’exigence et de raffinement visé, on peut déjà s’attendre à une aventure discographique majeure.

Un disque à écouter, à réécouter, à célébrer. Django forever !

Label Ouest : https://www.bayardmusique.com/jazz

À venir, et on en salive d’avance :

  • Django Célébration #2 — Tchavolo Schmitt, Fanou Torracinta & William Brunard (sortie le 21 novembre 2025)

Lien : Django Celebration 2

  • Django Célébration #3 — Angelo Debarre, Adrien Moignard & William Brunard (sortie le 23 janvier 2026)

https://blog.lagazettebleuedactionjazz.fr/soutenez-le-jazz-en-aquitaine/