Confiné avec… Thomas Bercy

Nous vivons tous une période particulièrement difficile qui bouscule notre mode de vie d’une façon totalement imprévue. Les musiciens, comme tant d’autres métiers, n’échappent pas à la règle et sont particulièrement touchés économiquement. Comme ils ne peuvent plus exercer leur art autrement que par quelques interventions sur les réseaux sociaux, nous avons pensé qu’il serait intéressant de continuer à tisser du lien avec eux par ce petit questionnaire.

Nous sommes avec : Thomas Bercy

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Présentes-toi rapidement. De quoi, avec qui, quelle musique joues-tu ?

Je suis musicien, pianiste de jazz, intermittent depuis une vingtaine d’années. Egalement responsable artistique du Collectif Caravan, je dirige régulièrement des projets transdisciplinaires, je suis amené à travailler avec de nombreux musiciens, mais aussi des artistes d’autres disciplines ainsi qu’avec toute sorte de gens.

Comment occupes-tu tes journées en ce moment ?

A l’heure où j’écris ceci, nous sommes dans la quatrième semaine de confinement. On nous annonce un prolongement.

Je suis passé par plusieurs phases, je vis dans un environnement qui me permet de faire quelque chose de ce moment. Ce temps libéré m’a permis de renouer avec certaines idées, sensations, personnes, pratiques … En tout cas je ne me sens pas empêché. Depuis quelques jours je travaille à l’écriture d’un projet avec un artiste polyvalent non-musicien.

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En profites tu-pour composer, travailler ton instrument, ta voix ?

Pendant les 3 premières semaines je n’ai pas touché l’instrument. J’avais besoin d’une rupture, de me mettre à l’arrêt pour accepter l’événement, d’observer comment j’encaissais le coup sans chercher à résister. Je fais souvent ça en fait, cette disponibilité permet aux idées de germer. Tu me demandes si je travaille. En fait, pour moi le travail c’est 3 dimensions à la fois. 1 – ce qui me préoccupe : ce qui me travaille, 2 -ce dont je m’occupe : ce sur quoi je travaille et 3 – ce que je deviens : ce dont « j’accouche » comme une femme lorsqu’elle est en travail. Le travail de l’instrument nécessite de la discipline, de la régularité, c’est indispensable, mais il n’est pas dissocié du reste.

Comment arrives-tu à jouer « avec » les autres ?

Si je est un autre, alors c’est avec celui là que, peut-être, je cherche à jouer ! Comment jouer de tout ça ? Je suis très stimulé par cette situation, j’ai eu quelques échanges très forts autour de ce qui nous arrive avec des gens très différents. C’est d’ailleurs la matière de départ du projet dont je parlais plus haut. Toute cette fébrilité, cette tension, c’est un moment où beaucoup de choses se jouent en effet. Pour l’instant, je me sens mode free jazz: je prend la vague comme elle vient, j’essaye de rentrer en synergie avec le chaos des éléments/événements, j’improvise avec les moyens du bord, et à dieu vat !

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Écoutes-tu la radio, des disques, du streaming ? Quoi par exemple ?

Franchement, je n’écoute pas grand chose en ce moment. A chaque fois que j’essaie, j’ai la sensation de me trouver face à quelque chose de figé, d’inerte. Je ne suis vraiment pas dispo pour la musique enregistrée en ce moment, j’ai besoin de me relier à du vivant.

 

Cette situation change t-elle ta façon de voir les choses, la vie, ton métier ?

Bien sur que ça vient bousculer tout ça ! Depuis une quinzaine d’année, mes choix de vie se sont faits dans la perspective de l’effondrement à venir, tel que décrit par Yves Cochet :

«L’effondrement est le processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, etc.) ne sont plus fournis (à un coût raisonnable) à une majorité de la population par des services encadrés par la loi . »

Ca fait donc belle lurette que je me positionne professionnellement au regard de l’intenabilité du « show business » actuel. Je travaille comme je peux à construire le monde d’après, depuis la marge du système en place et dans mon périmètre de vie. Mais je suis bien conscient que ça ne me met pas forcément à l’abri. Cette situation m’oblige aussi à embrayer concrètement à plusieurs niveaux. Ce n’est facile pour personne, mais ça peut surtout faire beaucoup de bien !

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Un titre qui te passerait par la tête ?

Si j’étais vache, je dirais « The Masquerade is Over ». Alors qu’on manque de masque, les masques tombent. Et il semblerait que nous soyons bientôt contraints d’avancer masqués …

Mais bon, j’ai réécouté ça dernièrement, ça fait écho à certaines de mes préoccupations du moment.

Paranoid Android – Brad Mehldau

Pour en savoir plus sur Thomas Bercy, son interview dans la Gazette Bleue # 23 de juillet 2017 : https://blog.lagazettebleuedactionjazz.fr/gazette-bleue-n23-juillet-2017/

 

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