Confiné avec … Didier Ottaviani
Nous vivons tous une période particulièrement difficile qui bouscule notre mode de vie d’une façon totalement imprévue. Les musiciens, comme tant d’autres métiers, sont particulièrement touchés économiquement. Comme ils ne peuvent plus exercer leur art autrement que par quelques interventions sur les réseaux sociaux, nous avons pensé qu’il serait intéressant de continuer à tisser du lien avec eux par ce petit questionnaire.
Nous sommes avec : Didier Ottaviani
Présentes-toi rapidement. De quoi, avec qui, quelle musique joues-tu ?
Je suis musicien, je joue de la batterie, mais j’adore aussi aborder d’autres instruments. On va dire que je suis batteur « actif » sur la scène Jazz de ma région, la belle ville de Bordeaux, depuis… longtemps. Je participe à plusieurs projets, j’adore jouer avec plein de gens ! En ce moment, pour n’en citer que quelques uns, Saxtape, Alain Coyral Quartet, Iep (4tet, 8tet, big band…), plusieurs projets avec Christophe Maroye, Alex Golino, Célia Marissal, dBClifford, et plein d’autres… Enfin, tout ça c’était avant.
Je suis aussi formateur au Ciam de Bordeaux, où j’enseigne la batterie.
Comment occupes-tu tes journées en ce moment ?
D’abord les enfants. Passer du temps avec les enfants, regarder des dessins animés, faire de la musique avec mes filles, l’école à la maison (pas facile)… une semaine sur deux !
Ensuite, j’essaie de trouver un équilibre entre : ne rien faire (important !), faire des choses « inutiles » (primordial !), et faire des choses logistiques (nécessaire !). Comme Desproges disait, « le superflu n’est inutile qu’à ceux dont le nécessaire est suffisant ».
J’essaie de bouquiner, écouter de la musique, cuisiner, faire un maximum de musique, en ce moment j’en profite pour travailler un peu l’harmonie, et bosser le vibraphone, j’adore !
Il y a aussi le télétravail, en grande partie pour le Ciam, on fait tout pour garder le lien avec nos élèves. Un peu obligé de se réinventer et de s’approprier de nouveaux outils. On va dire que ça marche mais que ça demande pas mal de réorganisation.
Et puis il y a le travail que j’essaie de faire pour les applications mobiles que j’ai développées il y a quelques années, j’essaie de bosser sur des mises à jour, ça prend du temps, j’ai beaucoup de retard.
Je m’efforce aussi de m’ennuyer aussi un peu chaque jour, ça a toujours été pour moi le lieu de la création.
En profites tu-pour composer, travailler ton instrument, ta voix ?
Je travaille toujours beaucoup mon instrument, tout le temps, ça fait partie des choses qui m’animent. Le temps que je passe sur mon instrument me permet de me sentir bien, comme une méditation journalière. Je cherche, je révise, je progresse, j’organise, j’échoue, je recommence, je perds du temps, je gagne du temps, je progresse sur certaines choses commencées il y a 10 jours, 10 mois, ou 10 ans. La sensation d’avancer, même un peu, est très addictive.
J’aime aussi apprendre des nouvelles choses, me sentir débutant. Recommencer. Retrouver cette sensation où TOUT était un mystère, j’adore ça, c’est comme commencer une nouvelle série avec 8 saisons, on sait que ça va être long, on sait qu’on aura le temps d’en profiter. C’est ma manière de voyager en profitant plus du paysage que de la destination.
J’ai du temps pour faire des choses que je ne fais pas d’habitude, composer, enregistrer des idées… donc j’en profite. J’avance doucement sur des projets. J’ai beaucoup de chance, j’ai mes instruments, un studio, un « box » dans lequel je peux jouer de la batterie. Je sais que c’est beaucoup plus compliqué pour certains copains qui ont pas leur instrument avec eux, je pense d’ailleurs très fort à eux, courage !
Comment arrives-tu à jouer « avec » les autres ?
En fait, c’est la première chose que j’ai commencé à faire dès le début du confinement. J’ai tout de suite su que c’est LA chose qui allait me manquer le plus, les copains musiciens… faire de la musique ensemble. Donc j’ai sauté sur toutes les occasions dès le début, j’ai aussi essayé de générer des idées de collaboration tout de suite.
Tout d’abord, il y a les collaborations vidéos, on s’envoie des vidéos, un montage rapide, et hop ! Je me rends compte en répondant à ces questions qu’il y en a eu pas mal déjà, et c’est pas fini, certaines arrivent. Pour en citer quelques unes : des duos avec Franck Agulhon, une collaboration avec Guillaume Schmidt, Christophe Maroye et Nico Veysseyre, le BOP Bordeaux Octet Project, plusieurs vidéos avec le Akoy Kartet d’Alain Coyral pour annoncer la campagne Ulule pour son prochain album, le projet « Carnaval des Animaux » de Sébastien Arruti, j’en oublie, et il y en a d’autres à venir… tout cela passe sur ma page Facebook ou Instagram. Je dois dire, pour le côté « coulisses » que, très souvent, c’est le batteur qui fait la première vidéo et qui l’envoie aux copains, donc sur presque toutes ces vidéos, je joue tout seul dans mon box, en essayant d’imaginer ce que ça donnera à la fin…
Il y a aussi des petites vidéos que je fais humblement tout seul, ou j’essaie de jouer plusieurs instruments, c’est au stade expérimental mais je m’amuse beaucoup. J’ai fait une vidéo ou je propose aux gens de rajouter un solo (#yoursolohere) et je suis super content du résultat et des interactions que cela a donné.
Je dois aussi signaler qu’on en profite pour finir et sortir les vidéos de Saxtape enregistrées avant le confinement.
L’autre chose c’est que j’ai la chance d’être équipé pour enregistrer les batteries chez moi, donc je fais des « prises » de batterie pour des collaborations studio. Un super projet avec le pianiste Alex Millet dont un premier clip est sorti, et aussi j’enregistre les batteries pour un projet d’Album d’un duo de guitaristes Christophe Maroye et Manu Galvin !
Bref, avec tout ça, on s’appelle, on fait des « visios » pour discuter des idées, on s’envoie des fichiers, des partitions, on se rappelle… au final on « échange » beaucoup, ça ne remplace pas l’interaction musicale, mais ça me donne la satisfaction de faire quelque chose. Je ne m’intéresse pas trop à la vie de ces vidéos ou de ces projets quand ils sont postés sur les réseaux (mise à part éventuellement le plaisir de savoir que des gens on vraiment passé un bon moment à écouter la musique), le vrai réconfort c’est la sensation de participer à quelque chose de collectif. Tout ça n’est que de la musique.
Écoutes-tu la radio, des disques, du streaming ? Quoi par exemple ?
J’écoute beaucoup de musique. Je dois l’avouer en grande partie en streaming (le pire moyen d’écouter de la musique du point de vue des artistes qui la font… s’ils sont vivants, les autres ça change pas grand chose pour eux) mais j’achète encore des disques (pour la conscience). Si là, maintenant, tout de suite, je prends mon téléphone pour y voir l’historique il y’a : Kenny Kirland (l’album de 1991), Common (Like Water for chocolate, et Let Love), David Sanchez (Travesia), Mingus (Ah Um), Becca Stevens (Wonderbloom), Branford Marsalis (Footspteps of our Father), John Mayer (Continuum), Alfio Origlio (Absyrations), Jordan Rakei (Cloak).
Cette situation change t-elle ta façon de voir les choses, la vie, ton métier ?
Oui, bien sûr ! ça change tout. Je pense qu’on ne le réalise peut être pas encore. Je me répète souvent « La passé n’est plus, l’avenir est incertain, le présent est un cadeau »* … L’avenir n’a jamais été aussi incertain pour les musiciens. Quand pourra-t-on rejouer ? Les structures qui nous emploient vont-elles tenir le choc ? Est-ce que les festivals vont pouvoir « juste » annuler cette année et reprendre comme si de rien n’était la saison prochaine ? Quid des structures qui dépendent de subventions ?
J’ai quelques copains qui sont très actifs du côté des syndicats et qui bossent beaucoup en ce moment sur les options qui vont se présenter. Merci, à eux !
Du côté de la vie, pour oublier ma petite condition d’artiste, je pense énormément à la vie de nos enfants. Voilà une génération qui fait tous les ans des « Alertes intrusions » dans les écoles, des « Alertes confinement » en cas d’accident « chimique », et maintenant ils sont familier avec l’idée que TOUT s’arrête parce qu’un virus qu’on ne connait pas tue des gens quelque part. Pour eux, boire l’apéro avec des potes SUR SKYPE (!!!) fait déjà partie de leur quotidien (je ne suis pas en train de dire que je bois l’apéro tous les jours avec les copains sur skype, non, enfin si, mais je ne le dis pas). Pour l’instant, j’ai la chance de ne pas être touché de près par ce virus (même si j’ai eu tous les symptômes, en tous cas dans ma tête, comme beaucoup de gens je crois).
Il pourra sortir des choses superbes de cette période, il faudrait être optimiste, vraiment. J’ai pour principe de ne pas parler politique en dehors du contexte de la vie réelle… Mais là, je ne vois que deux hypothèses : soit nous sommes administrés au plan national par des gens qui ne savent pas ce qu’ils font (alors, on peut dire qu’heureusement qu’on ne fait pas tous notre métier aussi mal qu’ils font le leur), soit ils savent très bien dans l’intérêt de qui ils prennent leurs décisions politiques, en dehors du cadre du bien être du plus grand nombre, du bon sens social et écologique.
Un titre qui te passerait par la tête ?
Je suis hyper content d’avoir participé à ce projet avec Alex Millet, il y a d’autres titres en route, ça c’est le premier : Athome (Alex Millet) https://vimeo.com/403816923
*J’ai retrouvé la citation originale, issue d’une oeuvre dont la portée philosophique est majeure, Kung-Fu Panda : « Hier est derrière, demain est mystère, et aujourd’hui est un cadeau, c’est pour cela qu’on l’appelle le présent » Maitre Oogway 😉
Un grand salut amical et distancié à toute l’équipe d’Action Jazz, je vous espère tous en pleine forme.