par Philippe Desmond, photos Christine Sardaine (N&B) et PhD
Le Thélonious, samedi 28 décembre 2019.
Pour ces fêtes de Noël et aussi pour marquer la première année d’activité du Thélonious, Benoît Lamarque avait décidé de nous faire un cadeau, deux soirées avec un combo exceptionnel, j’hésite à dire quintet. Un cadeau ne se refusant pas j’ai donc écourté mon séjour familial dans le sud d’une journée pour le recevoir.
Pensez-donc, sur scène était convoquée une bande de jeunes, toujours, mais depuis bien longtemps. Commençons par les Bordelais d’origine, à la guitare, une bonne vieille Telecaster, il ne jure que par ça, Jimi Drouillard. Il se trouve qu’on était au lycée ensemble, sans se connaître à l’époque préhistorique, fin de Gaulle, début Pompidou. Depuis Jimi est parti chercher fortune à Paris, il cherche toujours mais il y est devenu un personnage incontournable, je ne fais pas ici référence à son tour de taille, du rock, de la pop, du blues, du jazz, des studios, des clubs. C’est bien simple, la seule musique qu’il ne joue pas c’est celle qui n’a pas encore été écrite.
A la basse sa vieille copine comme il dit, avec qui il a commencé la musique ado, Dominique Bonadeï. Lui toujours à Bordeaux où on a la chance de l’entendre souvent avec Affinity quartet ou quintet dont un autre membre de la même génération est sur scène, Hervé Fourticq au sax ténor et soprano. Pas prévu au départ pour cette soirée mais dont l’apport a été fantastique.
Aux claviers, piano et synthé, de la génération suivante et lui d’Arcachon, rien moins que Thierry Eliez, un touche à tout de génie, de la pop au jazz en passant par la variété, les BO de film, de spectacles et même le rock progressif. En 2020 il va en effet tourner au sein de Magma !
A la batterie Francis Arnaud, un personnage discret qui a pourtant joué avec la terre entière et dans tous les styles, allez j’en cite quelques-uns : Aznavour, Christopher Cross, I Muvrini, Roberto Fonseca… Éclectique le monsieur. De grands joueurs ne font pas forcément une grande équipe on le sait, mais quand ils sont amis, se connaissent et se pratiquent depuis des décennies c’est, si je puis dire, une autre musique.
Je suis présent au second concert mais je sais par de nombreux amis que la veille le Thélonious était bondé, record d’affluence battu et la queue devant la porte laisse à penser que ce ce soir on n’en sera pas loin. Jamais vu ça ici encore.
Que vont-ils donc nous jouer ? De tout et avec la manière. Beaucoup de compos de Jimi, mélange de chansons – il chante – et de blues, aux paroles pleines de sens, de nostalgie ou d’humour. Ca y est j’en vois qui disent mais c’est pas du jazz ! J’ai toujours dit que le jazz ce n’est pas une musique mais une façon de jouer de la musique et bien là on y est pile poil. Une fois le propos du thème tenu ça commence à partir dans tous les sens. Des chorus de très haut vol , des questions-réponses guitare sax soprano où on ne sait plus qui est qui, des envolées magiques de claviers. Je suis juste à côté de Thierry Eliez, à ses pieds, les yeux fascinés par ses doigts sur leur parcours noir et blanc.
Et alors question rythmique entre Dominique et sa cinq cordes qu’il porte quasiment sous le menton et Francis Arnaud impossible aux autres de se perdre en route. Si je connaissais et appréciais le premier, c’est la première fois que je voyais le second. C’est la classe à l’état pur, groove, précision, polyrythmie… le tout avec une sobriété de gestes, Le « gardien du temple » le baptise Jimi, et pour cause !
Jimi c’est bien sûr un pseudo, en référence à l’autre qu’il s’est pris dans les oreilles à 14 ans dans sa chambre et qui depuis ne l’a plus quitté. Il va jouer de lui « Message to Love » en hommage à Rémi son jeune fils, guitariste lui aussi, disparu prématurément l’an dernier. Que Rémi puisse avoir entendu la version stratosphérique (ou télésphérique plutôt) de ce soir la salle finissant debout en hurlant.
Voilà parait-il un titre tiré d’un morceau Dixieland et retravaillé par Jimi, pas terrible au départ mais qui maintenant est pas mal nous dit-il. En effet le Dixieland a totalement disparu pour un tempo latino où on voit que Jimi aurait pu aussi se faire appeler Carlos. Du jazz j’ai dit, tiens les voilà partis savent-ils eux-même où ? Dominique Bonadeï les embarque en plein morceau sur le « Black Market » de Weather Report et de suite les autres enclenchent, jubilatoire. Et maintenant un morceau de grosse feignasse nous indique Jimi, en effet un blues lent de sa composition « Sol Pleureur ». Ah oui car un concert avec Jimi c’est aussi un show d’humour, d’échanges avec le public mis à contribution pour chanter. Mais pour réussir à faire le pitre comme ça il faut en avoir sous le capot me dit Alain Piarou ; et Thierry Eliez n’est pas le dernier non plus !
Voilà du calypso (ouch la batterie !), des mesures de reggae, du jazz West Coast, la cascade de piano de « Rider on the Storm » qui passe au coin d’un titre, un morceau de Gary Willis, le bien nommé « It’s Only Music », un festival !
Et pour finir, des titres de l’album hommage que Jimi et Thierry avaient en tête depuis longtemps et sorti récemment « Zappa’s Song ». Frank Zappa justement, ce pont entre toutes les musiques, inclassable, indomptable, ils ne pouvaient pas se manquer. Intello Zappa, oui un peu mais aussi tellement fantasque, spectaculaire. Instantanément on se retrouve dans cet univers, c’est Thierry Eliez qui chante maintenant mais Jimi ne va pas le laisser tranquille, sur « Dirty Love » il va nous faire chanter en Français le gimmick « Poodle bites, poodle chew it » ce qui donne « le caniche mord, le caniche le mâche » réclamant des aboiements ! Humour, dérision, auto dérision, mais derrière GROSSE musique, TRÈS GROSSE musique. Quel moment fantastique que ce concert !
Demande de rappel tonitruante et retour à un certain calme avec un magnifique « Chill Out » version John Lee Hooker /Carlos Santana.
Les concerts où il fallait-être, et donc une promesse tenue de Benoît Lamarque, un réel cadeau.
Quelques mots échangés avec Jimi pour la dédicace des ses derniers albums , où on perçoit l’être sensible autre facette du truculent show man. Echange avec Thierry Eliez sur son passage chez Magma, beaucoup de travail en perspective mais un défi magnifique à relever avec ce groupe et cet univers qu’il a toujours aimés. Il seront au Femina le 6 mars prochain.
2019 s’achève en fanfare (tu parles d’une fanfare !!), mais la musique reprend très vite, on vous tiendra au courant mais n’oubliez pas de consulter notre agenda en ligne.
A l’année prochaine !
http://jimidrouillard.com/