William Brunard « Cello Project »

Line-up : William Brunard (violoncelle), Fanou Torracinta (guitare), Benji Winterstein (guitare), Alex Gilson (contrebasse), Popots (percussions), Jonathan Gomis (batterie)

Par Pops White

Il est des musiciens que l’on peine à enfermer dans une catégorie tant leur talent dépasse les cases. William Brunard est de ceux-là. Guitariste, contrebassiste, arrangeur, chanteur… et surtout violoncelliste, il a choisi de donner à cet instrument une place inattendue dans l’univers du jazz manouche.

Comme Oscar Pettiford ou Dave Holland avant lui, il revendique cette double appartenance, mais là où d’autres y sont passés en cours de route, lui en a fait une identité à part entière. Son nouvel opus, Cello Project, en est la preuve éclatante.

Le secret de Brunard ? Un accordage particulier de son violoncelle, pensé comme un pont vers la contrebasse et la guitare, qui lui ouvre une palette sonore inédite. Le pizzicato devient swing percussif, l’archet trace des lignes mélodiques insoupçonnées, et tout cela sert une vision unique : faire du violoncelle un instrument de jazz à part entière.

Autour de lui, une équipe de haute volée : Fanou Torracinta, Benji Winterstein, Alex Gilson, Popots et Jonathan Gomis, tisse un écrin rythmique et mélodique où la tradition de Django Reinhardt se marie à la grâce d’un Lotus Blossom de Strayhorn ou à l’intemporalité du Cygne de Saint-Saëns.

Dès Blue Lou (Edgar Sampson, 1936), le ton est donné : un coup d’archet qui swingue sur une pompe manouche, avec ce thème entêtant repris mille fois dans l’histoire du jazz mais qui sonne ici comme neuf. My Blue Heaven (Walter Donaldson, 1927) confirme l’impression : un standard universel transformé par l’incroyable sonorité du violoncelle, qui accroche l’oreille et s’élance dans des acrobaties que la guitare reprend avec gourmandise. Time After Time (Styne/Cahn, 1947) s’installe dans un swing cool, comme une redécouverte.

Dans Stranger in Paradise (adapté du Prince Igor de Borodine !), Brunard joue des décrochements harmoniques en dialogue avec la guitare. Indiana (James Hanley, 1917, immortalisé par Coltrane sous le titre Donna Lee) prend ici des allures de ronde sauvage où violoncelle et guitare rivalisent de virtuosité. Et sur Blues for Ike (Django Reinhardt, 1951), un chorus en pizzicato hallucinant démontre l’étendue de la palette de Brunard.

Lotus Blossom (Billy Strayhorn, 1964) apporte un moment de grâce suspendue, avec un chorus en harmoniques qui fait chavirer. Love Me or Leave Me (Donaldson/Kahn, 1928) retrouve sa fraîcheur intacte, réinventée avec inventivité. Plus loin, My Melancholy Baby (1912) se déploie comme une broderie nostalgique.

Le disque se teinte aussi de chaleur sud-américaine. El Capuz de la Noche évoque La Havane et ses nuits de rumba : on croirait entendre les échos d’un bar du Malecón. Aquellos Ojos Verdes (1931, célèbre bolero de Nilo Menéndez) est revisité avec une élégance rêveuse. Et Cauchemar, morceau onirique signé Brunard, emprunte au cinéma fantastique ses harmonies de 7ème et de diminués, un peu à la Tim Burton.

Car Brunard ne se contente pas d’interpréter : il compose. Wolfy pétille de malice, ponctué de riffs de batterie et de chorus vifs. We Never See Each Other, un blues tout en finesse, dévoile une veine plus intimiste. Will Swing, ultra-rapide, est une démonstration de virtuosité maîtrisée, jamais gratuite.

Enfin, impossible de passer à côté de El Cant dels Ocells, chant traditionnel catalan rendu célèbre par Pau Casals, ici revisité avec élégance. Et bien sûr Le Cygne de Camille Saint-Saëns : un pied de nez autant qu’un hommage, transformant ce morceau mille fois galvaudé en chef-d’œuvre de swing et d’inventivité. Là où tant d’essais pour “jazzer” Vivaldi échouent (car Vivaldi est déjà un jazzman), Brunard réussit l’impossible : faire danser Saint-Saëns sans le trahir.

On connaissait William Brunard comme artisan précieux du jazz hexagonal, compagnon de route des plus grands et pilier du projet Django Célébration aux côtés de Stochelo Rosenberg, Tchavolo Schmitt ou Angelo Debarre (projet dont le premier album, sublime, a été chroniqué séparément sur ce site). Mais avec Cello Project, c’est un autre visage qui se révèle : celui d’un musicien total, qui fait du violoncelle un instrument de swing et d’émotion, un passeur entre les mondes.

William Brunard n’est pas seulement un virtuose, il est un phénomène musical unique. À la fois héritier et inventeur, il enrichit la scène jazz française d’une voix inclassable, et donne au violoncelle ses lettres de noblesse dans un registre où on ne l’attendait pas.

PW

Label Ouest

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