NAÏSSAM JALAL 

« SOUFFLES »

 

Chez : l’Autre Distribution https://naissamjalal.bandcamp.com/album/souffles

Par : Alain Fleche

Naissam Jalal: Flûte, Vocal, Compositions + 8 Soufflants

10ème disque de la flûtiste franco-syrienne. Artiste libre, bardée de récompenses et de prix, exploratrice de sons, de projets, d’elle-même, ne cessant d’ affiner son jeu pour accentuer et préciser ses luttes contre les épreuves de notre époque, pour défendre ses choix et sa personnalité contre les doxa imposées.

Pas évident d’attendre que les circonstances provoquent l’occasion de jouer avec des musiciens souffleurs dont on rêve de partager une expérience musicale. Donc, dans l’urgence de ce désir, le mieux est de le provoquer, et de convoquer 8 camarades d’exception pour des duo intimes qui interrogeront le rapport des musiciens à leur instrument et au jeu en commun.

Désir de créer un son commun avec des amis, des confrères qui ont les mêmes problématiques que chacun résolve avec sa propre sensibilité, individualité, capacité, plus ou moins consciemment. Par exemple, comment remplir l’espace en ne pouvant jouer qu’une note à la fois ? Doubles sons ? Harmoniques ? Ajouter des voix ? Et aussi : Comment transcender l’horizontalité de la linéarité mélodique ? Comment gérer le rôle de celui qui ‘porte’ le discours mélodique ? Comment se servir d’un élément aussi intime que le souffle passant par les entrailles pour créer du Beau ? Qu’implique cette mise à nu dans notre rapport à l’intimité, au spirituel, à l’autre qui écoute et entend le fruit de ce souffle ?…

Questionnements introspectifs, discussions sans conclusion pour des échanges sans contraintes. Ces efforts ne sont pas vains pour autant. Outre le bonheur d’être témoin de cette approche de la Beauté par l’ascension d’une verticalité spirituelle, reste des questionnements qui sont posés pour y réfléchir à défaut d’y répondre catégoriquement, ce qui imposerait un dogme pour une musique qui les refuse catégoriquement !

« Cet album est le fruit de toutes ces questions mais n’apporte aucune réponse, confie Naïssam, c’est plutôt une expérience concrète, une tentative joyeuse et enthousiasme de partager du son, du souffle, du sens, avec générosité et bienveillance »

8 invités, 8 artistes en quête d’eux-même, de l’autre, d’intériorité et d’ailleurs, 8 histoires de partage, de frissons, d’émotions. 8 bijoux.

Thèmes simples et facilement mémorisables, difficilement oubliables. Prétextes (joliment élaborés) à rencontre, joute et plaisir.

THOMAS DE POURQUERY à l’alto ouvre le bal. En route pour les hauteurs. Son et puissance ascensionnelle, retour sur terre, calme et silence en résolution.

La clarinette klezmser de YOM se marie avec la flûte et la voix moyen-orientale habillée d’arpèges serrés hérités de son travail en ‘musique classique’ qu’il pratique toujours avec bonheur.

Tutti acrobatiques avec SYLVAIN RIFFLET. Un thème plus élaboré et rythmé pour le virtuose du ténor qui joue clair, notes détachées ou coulées, un peu froid mais efficace !

Le souffle chaleureux de ce bon vieux LOUIS SCAVIS ouvre le 4ème morceau, riche et mystérieux. Le chant de la flûte est prolongé d’harmoniques, notes imperceptibles, ou presque, qui laisse entendre de quoi est fait le silence… Silences et pleins, la clarinette basse enveloppe d’arpèges répétitifs la flûte qui s’échappe vers les étoiles en spirale, comme un typhon en formation, comme un derviche tourneur en action…

Léger, joyeux, le soprano de IRVING ACAO chaloupe, danse. Contre-temps, réponses, la discussion est tendue. La voix de Naïssam calme l’élan du saxophoniste fougueux qui continue ses fulgurances, les plaçant où ça lui chante, juste bien comme on s’y attend pas.

Le vent souffle et mélange les notes qui s’envolent et retombent en planant. Le trombone de ROBINSON KHOURY susurre plein d’entrain un accompagnement discret et volubile.

Haut en couleurs le soprano à la précision remarquable de ÉMILE PARISIEN joue les hérauts, appelle à la réflexion, poursuit la flûte qui se change en voix, et la dépasse, un instant. Sages arpèges, tapis de soie où s’installe la flûtiste pour mieux se libérer.

Coup de maîtres pour la dernière chanson qu’ illumine la légende du ténor. Mr ARCHIE SHEPP est aux manettes pour ce qu’il sait faire de mieux : un blues, mieux : un ‘working song’. Sax en fleur, en pleur, fulgurances free, plaintes ravalées. Comme il se doit, la voix à le dernier mot. Les deux voix clament, se mêlent, s’unissent, racontent leur douloureuse histoire partagées de déracinés. Un chant triste dont la beauté fait couler des larmes de bonheur. Une caresse froide qui fait frissonner de joie.

Souffles, des vents qui vont dans le même sens de générosité, d’offrande, de don de soi. Joli choix d’une talentueuse artiste accomplie qui ne s’en laisse pas compter par ses collègues souffleurs prestigieux, sans perdre une miette de son art qui approche la perfection, simplement la Beauté.

Un bien beau cadeau. Merci à cette grande dame pleine de charme et de vie.