Propos recueillis par Philippe Desmond. Photos Vincent Lajus. Relecture de la traduction Ivan Cormier.

Au festival Jazz en Mars, vendredi 14 mars 2025.

Pour les vingt ans du festival Jazz en Mars, son directeur musical depuis la création, Arnaud Labastie a pu faire revenir celui qu’il admire par-dessus tout et dont il reprend souvent le répertoire avec son trio, le Swingin’ Bayonne, le légendaire Monty Alexander. Tarnos ce vendredi, Barcelone le dimanche pour deux concerts seulement en Europe en cette fin d’hiver, ce dernier est donc venu quasiment spécialement des USA. Il sera de retour en automne pour une tournée européenne avec notamment un passage au Rocher de Palmer le 20 novembre.

Action Jazz ne pouvait manquer l’opportunité de rencontrer cet immense musicien. C’est lors des balances du concert, après que ses musiciens aient passé une heure sans lui à faire les réglages nécessaires avec leur propre ingénieur du son, que Monty est arrivé après quelques moments de récupération, jet-lag oblige. Lui qui a dû subir des centaines d’interviews m’a accordé quelques minutes en fin de balances pour un moment chaleureux où, en peu de temps, il nous a livré des choses interessantes.

En préambule, je lui ai rappelé sa venue au festival de Monségur en juillet 2019 où, sous un soleil de plomb, il nous avait avec son trio, offert un concert inoubliable. Son hommage à Joao Gilberto décédé la veille en reprenant « Estate » que le brésilien avait rendu si populaire, est resté gravé dans nos mémoires ; sa compagne, la chanteuse italienne Caterina Zapponi, présente aujourd’hui, avait alors chanté la mélodie.

Action Jazz : Merci Monty Alexander de nous accorder cette interview. Vous revenez ici dix ans après pour ce seul concert en France. Vous avez toujours la même flamme, la même envie de parcourir le monde pour votre musique et votre public ?

Monty Alexander : l’énergie est différente en devenant plus vieux, ça devient ennuyeux, l’ennui c’est le problème mais quand je vois le piano et mes amis musiciens, c’est un cadeau, je revis. Quand je joue je me sens heureux. C’est un cadeau de Dieu, ce n’est pas moi qui décide. Parfois je doute, je n’ai pas envie mais quand je vois le piano, je suis comme quand j’avais quatre ans. La musique est un cadeau pour tout le monde. Ce n’est pas une question de technique, d’école de musique, souvent les gens croient que cela suffit mais la technique se passe ici (il touche sa tête), pas ici (il pose la main sur son cœur). On doit garder son âme, le meilleur du jazz est celui qui vient de l’âme (soul) . Armstrong, Duke Ellington, quand ils jouent vous ressentez cela.

AJ : c’est pourquoi votre musique est éternelle ? Comment l’expliquez-vous ?

MA : Je vais vous dire quelque chose, comme quelques-unes de mes idoles, Duke Ellington en était une, vous priez, vous implorez pour que l’esprit vous touche. C‘est indépendant de ma volonté, c’est inexplicable. Le jazz c’est l’Afrique mais en Amérique tout a commencé à l’église mais certains ont commencé à boire beaucoup d’alcool et à chanter le blues (il fredonne Hey mama, baby love me…) c’est une version différente mais qui vient aussi de l’âme.

AJ : quand vous ne jouez pas, quel type de musique écoutez-vous ?

MA : je n’en écoute pas

AJ : jamais ?

MA : Si parfois suivant mon humeur, je peux avoir envie d’écouter Erroll Garner ou bien Gustav Mahler c’est si beau (il mime l’ampleur de la musique) ; je ne peux pas le jouer mais ça m’inspire. La musique Reggae vient des Antilles, de la biguine, c’est le même rythme . Et quand j’avais 14 ans en Jamaïque j’ai entendu dans un studio le début du Ska , les gars c’était tous des jazzmen , ils voulaient jouer comme Miles Davis, Charlie Parker mais ils ont oublié leur âme, au profit de la technique. La musique aujourd’hui est bonne mais plus technique.

AJ : le trio est votre formation favorite non ?

MA : j’adore ça. Un de mes héros favoris monsieur Ahmad Jamal a dit ce que je ressens : le trio est un orchestre.

AJ : le vôtre particulièrement !

MA : oui, vous pouvez jouer be bop (il chante) mais vous pouvez jouer des symphonies. Il fut un temps où je jouais avec un autre grand musicien, Milt Jackson et avec Ray Brown, j’ai fait des enregistrements avec eux. Vous connaissez le Modern Jazz Quartet, quand ils jouaient c’était fin, classique mais quand
on jouait en trio avec Milt et Ray c’était unique. Ces gars sont morts, ils sont mes héros comme Dizzy Gillespie.

AJ : Vous avez évoqué le Reggae, vous êtes nés six mois avant Bob Marley et vous avez fait le pont entre cette musique et le jazz.

MA : en Jamaïque tout le monde aime la musique avec du beat, du rythme, le calypso mais j’ai été tellement chanceux quand j’ai eu 11 ans, j’ai vu sur scène Louis Armstrong. C’était un monde nouveau. C’était une culture différente de ce qu’est le Reggae : les Rastafariens, les Africains, les noirs et leurs souffrances. Mais l’art du jazz, à son sommet, c’est Armstrong, Duke Ellington. J’ai vu ces gars, je  les ai rencontrés ; c’était tellement au-delà du Reggae, une combinaison entre l’Afrique et la musique  classique européenne alors que la musique jamaïcaine tend à se cantonner dans un mélange de  rhythm‘n’blues et de calypso.

AJ : j’avais une dernière question mais vous m’avez dit que vous ne souhaitiez pas aborder de sujet  politique. Votre dernier album « D Day » est un hommage aux soldats américains, pour la plupart, qui ont  aidé à libérer la France. (Monty est né le jour du Débarquement et doit son prénom au surnom du  Général Montgomery). Quand on regarde la situation actuelle on se dit que tout cela est bien loin et que  le « May we never forget » est justement oublié.

MA : c’est OK, nous sommes musiciens notre mission est de jouer et d’amener du bonheur et de l’espoir  aux gens. On ne peut pas ignorer les faits l’actualité . La seule chose qu’on puisse faire est d’aider à  tenir le coup. Je ne connais pas la réponse, la solution, n’étant pas prophète, j’essaie de jouer quelque chose de joyeux et de m’abstenir de toute agressivité, de n’asséner aucun jugement de valeur, je reste  plein d’espoir, je ne peux pas parler de politique, du gouvernement.

AJ : Ce fut un honneur une grande joie de vous interviewer. Merci encore.

MA :  » Grande Joie, Paix et Bonheur « , c’est justement le titre d’une chanson d’un de mes amis ! Merci à vous.

Inutile de préciser que le concert du soir allait être un grand moment. On en parlera bientôt dans un compte rendu du festival.

Monty Alexander sera au Rocher de Palmer le mardi 18 novembre 2025