Luca Sestak à l’Auditorium de Bordeaux : Classique et Jazz

Par Philippe Desmond

Auditorium de l’Opéra de Bordeaux, dimanche 23 novembre 2025.
https://www.opera-bordeaux.com/luca-sestak-76442

Luca Sestak : piano / Johannes Niklas : batterie / Michael Goldmann : contrebasse, basse électrique

Dans le cadre du festival l’Esprit du Piano, l’Auditorium accueillait le trio du jeune pianiste allemand Luca Sestak https://lucasestak.com/

Une de ses particularités c’est que, parallèlement à sa formation classique qu’il a eu souvent du mal à supporter, il a glissé vers le blues et le jazz, les deux mondes finissant par se fondre, tout en créant sa propre musique empreinte de boogie-woogie, de pop, de funk. L’itinéraire d’un surdoué éclectique et passionné qui a déjà quatre albums à son actif.

Depuis que le jazz existe la musique classique l’a nourri. Duke Ellington et « Peer Gynt », Phil Woods et « le Sacre du Printemps » , Miles Davis dans « Sketches of Spain » tirés du « Concerto de Aranjuez », en France Jacques Loussier dans les années 60 reprenant Bach , plus récemment Dimitri Naïditch avec Bach et Mozart, les frères Enhco, tant d’autres. Citons aussi une curiosité des années 70, en pop-rock cette fois avec le groupe Ekseption pour son album « Classic in Pop ».

Nous voilà donc avec Luca Sestak dans ce qu’on appelle désormais pour faire chic un « Crossover », un pied dans le jazz, un pied dans le classique de quoi réconcilier deux mondes qui souvent s’ignorent ou se regardent en chiens de faïence… ou les fâcher davantage ! Le pianiste allemand propose aussi ses propres compositions indépendantes des musiques des grands maîtres du classique comme on va le vivre ce soir.

L’entrée en scène est très rock’n roll, le trio débutant par un titre très musclé, voire hard, le stoppant assez vite, Luca bondissant alors de son piano, saluant le public et faisant mine de quitter la scène comme si le concert était fini. Taquin le pianiste ! De cet humour il va en faire preuve tout au long du concert, des regards malicieux, des interventions en franco-anglais pleines de fantaisie, un très long ostinato à l’effet comique ; ce jeune homme ne se prend pas au sérieux et affiche des qualités de showman manifestes.

Pour se permettre cela il faut évidemment être à la hauteur musicalement. Il l’est et de façon époustouflante. Il nous explique sa démarche, osant le faire dans notre langue qu’il avoue maîtriser de plus en plus à chaque concert en France : « ce ne sont pas les verzions originales, je les optimise (rires) à ma manière » . Les puristes pour qui déjà le mot « interpréter » est abusif, n’ont qu’à bien se tenir !

C’est une œuvre de Sibelius qui a l’honneur d’être optimisée en premier avec des couleurs de ragtime, un style de musique contemporain d’ailleurs de la jeunesse du compositeur finlandais. Allers-retours entre le thème original et des improvisations comme dans le titre suivant emprunté à Chopin. C’est la Valse en ré bémol majeur plus connue sous le nom de « Valse minute » qui très vite s’anime de syncopes jazz et d’une rythmique funky. Il part du thème, s’en éloigne, y revient de façon incessante, une réelle et agréable fantaisie. Un tabac auprès du public, c’est déjà gagné.

Le jeu de Luca est plein d’accents et ses improvisations d’une belle richesse ( ce coquin arrive quand même à y glisser une citation de « Seven Nation Army » des White Stripes ! ) sa gestuelle fait preuve d’élans, de sautillements, il vit ce qu’il joue, un showman vous dis-je. Petit intermède pour faire chanter le public à l’occasion de l’anniversaire aujourd’hui-même de Johannes Niklas le bassiste/contrebassiste.

Au tour de la famille Bach de passer à la moulinette Sestak, le fils d’abord, Carl Philipp Emmanuel, avec « Solfeggietto », une fugue qui nous conduit assez vite vers des contrées jazz avec quelques haltes sensibles et des surprises harmoniques. Le père Johann Sebastian sera honoré plus tard au rappel avec « Toccata ».

Autre musicien devenu classique à être évoqué, un des favoris du pianiste, Ray Charles avec une très belle version chantée de « Lonely Avenue » ; c’est lui qui a fait naître l’amour pour le blues de Luca. Il prépare son piano avec du ruban adhésif placé sur les cordes (les accordeurs ont horreur de ça !) pour étouffer le son, effet garanti.

Au passage des félicitations à l’ingénieur lumières, ce soir c’est vraiment très beau, quant au son il est parfait.

Les compositions originales du pianiste sont très réussies, on les retrouve dans son dernier album « Lighter Notes » , citons « When the wind turns » une ballade qui finit par exploser d’énergie. Le trio s’entend à merveille.

Chopin revient avec une « Nocturne » avec le pianiste en solo pour un jeu intense et nuancé rejoint par les deux autres pour un final flamboyant.

Ce soir nous avons découvert ce musicien de trente ans dont on devrait entendre parler beaucoup plus bientôt. Talent, virtuosité, sens du spectacle, partage avec le public, tous les ingrédients du succès sont réunis. Je rajouterai que la salle ce soir paraissait rajeunie. Un espoir que des générations nouvelles viennent davantage au jazz, peut-être…

Programmation jazz de l’Opéra 2025/2026 : programmation Jazz Opéra 2025-2026

Soutenez le jazz en Nouvelle Aquitaine !