Deux batteurs en vedette ce soir-là au Rocher de Palmer, une découverte et une confirmation, lisez…
Kossi Mawun, le messager spirituel

Par Christine Moreau, photos David Bert
Le Rocher de Palmer, jeudi 20 novembre 2025, première partie de Makaya McCraven.
Voici 15 ans que le Rocher de Palmer fait rayonner les musiques du monde sur les hauteurs de Cenon en mettant à l’honneur le métissage culturel. Défendre la diversité permet à des musiciens citoyens du monde de s’exprimer. C’est cet esprit d’ouverture qui a conduit le directeur Patrick Duval à accueillir le trio togolais Kossi Mawun au Rocher du 17 au 21 Novembre.
Le leader est batteur, c’est naturellement qu’ils vont assurer la première partie du concert de Makaya McCraven en ce jeudi 20 Novembre.
Le trio est composé de Kossi Mawun à la batterie et aux compositions, Joachim Amouzou au clavier numérique et David Kokodoko à la basse électrique. Avant d’arriver dans notre région, les musiciens sont passés par l’auditorium de l’institut français du Togo où ils ont présenté le 07 novembre leur dernier album Culte. Le concert de ce soir est leur premier en France.
Comme nous venons de le voir, il n’y a pas d’instruments africains traditionnels sur scène, le groupe ne s’inscrit pas dans l’afrobeat comme on pourrait s’y attendre.
Kossi Mawun construit sa musique en faisant se rencontrer jazz contemporain et rythmes ancestraux vaudous. Dans une interview, il confiait se voir comme un messager porté par la spiritualité, loin des formats commerciaux. Nous découvrons un trio de jazz qui sculpte une musique singulière inspirée par les rythmes profonds du Blekete et les invocations liées aux divinités.
Au cours de la demi-heure que va durer le concert, nous allons nous imprégner d’une musique vivante, sans artifices. Les trois hommes ont beaucoup écouté les grands noms du jazz et des musiques d’inspiration africaine, inventant une signature unique qui met les percussions au centre du projet.
En interprétant trois de leurs compositions, ils nous offrent un aperçu de la richesse de leur musique. Le premier morceau (était-ce une prière ?) a débuté par des bruissements émis par des percussions légères prémices à la montée en puissance des cymbales. Le pianiste met en place la mélodie en contrepoint, les chorus variés et bien frappés de Kossi Mawun se succèdent, les incantations des musiciens participent à la sensation de transe qui monte dans la salle. La construction rythmique est sophistiquée, l’ensemble est envoutant, le public captivé bat la mesure et se laisse surprendre par un final parfaitement calé.
Le second titre, plus mélodieux, plus lumineux aussi nous dévoile une autre facette de leurs compositions avec une ballade qui laisse une sensation de fraîcheur libératrice après la puissance magnétique du premier morceau.
Enfin, le temps est plus orageux, la scène est nimbée de lumières rouges, le drumming toujours aussi puissant de Kossi Mawun permet au pianiste de laisser s’échapper de longues coulées mélodieuses, le public est sollicité pour reprendre une incantation entêtante.
Ce fut une belle découverte, le trio rend hommage à ses racines togolaises avec une identité musicale bien affirmée. L’énergie spirituelle qui traverse les compositions de Kossi Mawun nous rappelle que le jazz puise ses racines en Afrique.

A suivre le compte rendu du concert de Makaya McCraven
- Interview du Kossi Mawun trio lors de leur passage au Rocher de Palmer :
interview-video-du-trio-togolais-de-kossi-mawun/
- Chronique de l’album « Culte » : CULTE
Makaya McCraven : l’époustouflant batteur explorateur.

Par Christine Moreau, photos David Bert
Le Rocher de Palmer, jeudi 20 novembre 2025.
Après la prestation de Kossi Mawun, le temps est venu de changer de plateau pour accueillir le quartet du batteur américain Makaya McCraven.
Pour appréhender le concert dans les meilleures conditions, il est nécessaire de présenter Makaya McCraven, qui se définit lui-même comme un « beat scientist ».
Sa filiation le destinait naturellement à être musicien puisqu’il est le fils du batteur Steven McCraven qui a joué avec Archie Shepp et de la chanteuse hongroise Agnes Zsigmondy qui se produisait avec le groupe hongrois Kolinda dans les années 70.
Installé à Chicago depuis une quinzaine d’années, son travail en a fait un des leaders les plus importants de la scène musicale. Il devient « sonic collagist » de créations hybrides en partant de l’enregistrement de bandes de ses concerts sur lesquelles il opère des coupes, des collages, des ajouts, des remixages. La musique Live est ainsi au cœur de ses projets, elle lui permet de développer un processus créatif en perpétuelle mutation. Il a publié deux albums In these Times en 2015 et In the moment en 2022 métissant avec liberté jazz, hip hop, électro et jazz rock.
Sa méthode révolutionnaire apporte beaucoup de densité et de vitalité à ses albums qui ont été unanimement salués par la critique.
Le dernier en date Off the Record est paru en 2025. Il s’agit de la compilation éclectique de 4 EP’s mettant en lumière son jeu multifacette, concentration de dix ans d’enregistrement d’explorations sonores.
Makaya McCraven avait déjà foulé la scène du Rocher de Palmer en octobre 2021 pour revisiter des extraits du label Blue Note. Ses samples avant-gardistes avaient insufflé des pulsations contemporaines à Art Blakey, Horace Silver, Clifford Brown ou encore Dexter Gordon. Ce soir, c’est avec un quartet venu tout droit de Chicago qu’il va interpréter ses compositions, fruits d’une écriture minutieuse en amont, l’improvisation collective en redessinant les contours à l’infini. La démarche s’annonce passionnante d’autant plus que les musiciens se connaissent bien et ont une maitrise absolue de leur instrument. Makaya est en effet entouré de Marquis Hill à la trompette, Junius Paul à la basse électrique et Matt Gold à la guitare.
Après la présentation du quartet par le leader, le concert a débuté avec Away extrait de Off the record. Cela sonne comme de la musique expérimentale, des tintements, des clochettes, tous s’activent avec de petites percussions, faisant feu de tout bois dans ce creuset rythmique qui fait penser à un matin. Puis le thème se met en place, Marquis Hill pose son triangle et entame un dialogue nourri avec Matt Gold.
Nous allons voir que les quatre hommes bousculent avec audace les possibilités harmoniques et rythmiques que recèle chaque morceau en l’étirant à leur guise selon l’inspiration, ce sont souvent des ballades qui mettent en évidence l’indéniable sens du rythme et de la mélodie de Makaya McCraven.
C’est fascinant d’observer le batteur, toujours en mouvement, véloce et fin. Sa dynamique corporelle accompagne son jeu fondé sur la polyrythmie de frappes puissantes avant de revenir avec souplesse sur un tissu percussif beaucoup plus nuancé. Son drumming dense et profond dévoile la palette d’infinies colorations de timbres que peu produire une batterie.
Le second morceau délivre un groove irrésistible, le phrasé tout en finesse de Marquis Hill et les riffs bien sentis de Matt Gold forgent un récit très écrit, redéfini grâce aux improvisations magnétiques du trompettiste avec en contrepoint le relief des phrases rythmiques déssinées avec beaucoup de clarté par Makaya, qui, inlassablement trace le chemin. Après ce voyage céleste, les quatre musiciens retrouvent la mélodie.
Le concert se poursuit sur une rythmique africaine, petite flute pour Marquis Hill, percussions légères pour les deux autres tandis que le jeu foisonnant de Makaya monte en puissance libérant un groove qui nous donne des fourmis dans les jambes, le morceau met en valeur les lignes de basse de Junius Paul, deuxième membre d’un tandem rythmique qui sera exceptionnel tout au long du concert.
Lors de sa première prise de parole, Makaya évoque le sens qu’il donne à sa musique. Avec Off the record, il revendique que l’improvisation doit être collective, elle célèbre la vie et rend le monde plus beau. Sur scène, il fait corps avec la batterie, présent mais jamais envahissant, son agilité dénotant la force tranquille. Son groove incroyable ne vient cependant pas écraser ses compères, ce sont d’infatigables artisans d’une musique évolutive, relevant le défi improbable d’être toujours en osmose tout en se surprenant dans des pièces au long cours. Il n’y aura pas de chorus démonstratifs mais beaucoup d’interactions et le plaisir jubilatoire de triturer, tordre un thème pour lui insuffler une seconde, une troisième vie.
Les morceaux s’enchainent, nous immergeant dans des paysages sonores kaléidoscopiques étourdissants. Les solos de chacun toujours plus inspirés et variés sculptent une fresque musicale hypnotique. Au cours de sa seconde intervention, Makaya évoque la spiritualité : La musique doit être un vecteur d’unité. La partager c’est communier l’espace d’un instant pendant lequel public et musiciens respirent le même air. A une époque dit-il, où les « fake news » saturent l’espace, seule l’énergie du Live nous permet d’être connectés dans une grande spontanéité, Il remercie le public pour son soutien.
Le dernier titre interprété News feed confirme son immense talent de « Beat scientist » : Le travail rythmique produit par Junius Paul ce soir est mis en valeur lors d’une brillante joute avec les riffs lyriques délivrés par Matt Gold.
La salle conquise était debout pour applaudir ce quartet de haut vol. Pour le rappel, les musiciens ont joué Lullaby qui figure sur In these Times. Une belle manière de retrouver notre condition de terriens grâce à cette ballade lumineuse, une chanson d’Europe de l’est composée par la mère de Makaya, Agnes McCraven et Péter Dabasi. L’arrangement de la mélodie entêtante est sublimé par le souffle élégant et lumineux de Marquis Hill.
Le public a offert à ce quartet exceptionnel une dernière standing ovation méritée pour récompenser une performance scénique qui fera date dans l’esprit de chacun. Reste à savoir dans quelle mesure ce concert fournira le matériau d’un futur album !








