In the perfect mood

par Annie Robert / 21 Juillet 2018

photographies :Souillac jazz festival : Jean-Claude Elisas et Marc Pivaudran.

Du Périgord voisin, Souillac garde la fraîcheur des feuillus, le charme rafraîchissant des eaux; et des Causses tout proches la blondeur sèche des pierres. C’est dire si l’association est séduisante…Dans cette jolie ville, du 15 au 21 juillet, les rues se parent de plumetis légers et colorés, les ombrages se balancent en rythme et les amateurs de musique se promènent au gré du jazz.
Cela dure depuis 43 ans, un beau parcours, sans cesse renouvelé rempli d’ audaces et de découvertes,
démarré modeste pour arriver à une programmation de haute volée.

Clopin Clopant – Souillac en Jazz © Jean-Claude Elisas


En attendant les concerts du soir, à partir de midi on peut se balader dans les rues de la vieille ville médiévale et croiser des groupes aux terrasses des cafés ou au détour d’une place. C’est ainsi que le délicieux groupe des Clopin- clopant a envahi de son swing tonique la vieille halle. Quatre excellents musiciens, complices, actifs, et voltigeants ( Noam Lerville à la guitare/ Théo Glass à la batterie/ Gabriel Midon à la contrebasse/ Paul Robert au saxophone) accompagnent la chanteuse Sara Longo. On est très vite séduit par un beau grain de voix à la fois puissant et délicat, des battles virtuoses avec les musiciens, un scat accompli mais sans ostentation et un échange joyeux avec le public. Le groupe s’amuse avec un swing revisité des années 30 à 60, pour claquer des doigts, danser des pieds et fredonner. De la joie à l’état pur, avec le décalage, l’interprétation et l’humour nécessaire.. Il faisait trop chaud pour danser mais ce fut un beau moment gracieux qui a rassemblé plein d’ amateurs attentifs et souriants.

A la nuit descendante, c’est contre l’ Abbaye Sainte Marie et sous l’égide des hirondelles que le public est invité à se rendre. Après Rudresh Mahanthappa, Théo Ceccaldi et Thomas de Pourquery les soirs précédents, c’est avec le grand Joshua Redman et le trio de Billy Hart qu’il a rendez vous.

Joshua Redman – Souillac en Jazz © Marc Pivaudran

Que dire sur Joshua Redman qui n’ait pas déjà été dit? Un son droit, pur, très puissant, incroyablement caressant. Il arrive dans les moments les plus barrés, les plus extrêmes, les plus limites à garder une rondeur, une sensualité qui est un délicieux mystère, porté par une concentration impressionnante, une inventivité incessante et bien sûr une technique parfaite. Son sax chante et palpite, cogne de façon acide ou enveloppe nos oreilles dans un ballet de nappes feutrées ou de grands fracasIl ne nous ménage pas mais ne nous abandonne pas non plus. Ballades qui se transforment en acmé totale, et groove terrifiant qui finit dans la plus pure douceur nous surprennent sans cesse. Mais ce qui le caractérise, c’est sa capacité à partager la musique. Bien que son saxophone le prédispose à «passer devant», il sait se mettre en retrait, s’effacer, se contenter de garder le tempo, ou la ligne de basse quand le piano délicat aux accents d’Erik Satie d’Ethan Iverson ( plus convaincant ici qu’avec les Bad Plus), la contrebasse mélodieuse et inventive de Ben Street, la batterie magnifique de Billy Hart prennent leur place.
Une magnifique idée que de mettre ce maître batteur américain à l’honneur. On sait qu’il a joué avec les plus grands de Wes Montgomery à Jimmy Smith, que dans les années soixante-dix, il était membre du légendaire groupe Mwandishi de Herbie Hancock et travaillait avec des pionniers tels que Miles Davis, Pharoah Sanders et Wayne Shorter. Et le public comprend tout de suite la qualité et l’importance de ce musicien qui à 77 ans possède la verdeur et l’allant d’un jeune homme.
Dans les spirales des éclairages bleues glissant sur les chapiteaux romans, il saura se faire délicat et sobre ou éclaboussant tenant un groove en apesanteur, jouant des silences, des balais, des mailloches.
Une virtuosité pleine, une connaissance charnelle de son instrument et une modestie dans la place occupée: tout en fait un batteur d’exception. Les morceaux ( dont plusieurs sont d’ Ethan Inverson) vont passer de la mélodie claire aux fulgurances quasi contemporaines, de la simplicité d’un unisson à la composition baroque. Ils vont être poussés dans leurs retranchements, étirés, passés à la brume sans que le groove en pâtisse un seul instant.
On est largement emportés, en apnée, étonnés à tout moment, et surtout on se sent incroyablement privilégiés de sentir la musique à l’œuvre, de voir la création à sa pleine conscience, la virtuosité au service du partage.
Un superbe cadeau.

Billy Hart – Souillac en Jazz © Marc Pivaudran

Ce soir là dans les bras de la nuit calme, accompagnés par les rebonds de la musique, Joshua Redman et Billy Hart nous ont permis nous sentir incroyablement accomplis..
Une inspiration à pleins poumons de la chance d’être vivant …