Festival Jazz et Garonne 2025 #2/2

Par Philippe Marzat, Solange Lemoine François Laroulandie, photos Solange Lemoine, Alain Pelletier.

Samedi 11 octobre 2025.

Obradovic/Tixier « Jiggled Juggler »

Texte Solange Lemoine

David Tixier : piano, claviers, compositions / Lada Obradovic : batterie, voix, jouets, glockenspiel, compositions

Une chevauchée fantastique vers un monde meilleur ; c’est ce que le duo instrumental franco-croate OBRADOVIC-TIXIER nous propose ce soir, au théâtre Le Comoedia de Marmande.

Sur un répertoire généreux d’une dizaine de titres essentiellement issus de leurs deux derniers albums « A Piece of Yesterday » sorti en 2022 et « Jiggled Juggler » sorti en 2025, Lada OBRADOVÍC à la batterie (kalimbas, bol indien, cloches, tubes métalliques…) et David TIXIER au piano (avec ordinateurs, keyboards, cartes son, DSP…) nous offrent un concert puissant et envoûtant à la fois, dans une absolue complicité.

Chaque morceau est une composition originale de l’un, arrangée par l’autre (ou de l’autre arrangée par l’un). Moult influences musicales s’affichent, plus ou moins distinctement sur toile de fond d’histoires autobiographiques ou imaginées. Sur des rythmiques imprévisibles, souvent menées grand train, la musique acoustique se teinte fortement d’électronique et de percussions, voix enregistrées, autres musiques ou de scènes de vie enregistrées… ; c’est un univers où jazz moderne et textures électro se mêlent subtilement. Ce sont aussi de magnifiques solos improvisés, au piano ou bien à la batterie.

Le jeu de notes endiablées entre ces musiciens complices est un hymne au Vivant !

Ainsi que l’affirme Lada elle-même, la musique est une peinture de La Vie, c’est une vision du monde, un cri transcendant les sons de l’Univers.

Le concert débute avec le 1er titre de leur album « a Piece of Yesterday » sorti en 2022, intitulé « Next time, you think of me ». C’est une histoire qu’ils ont vécue ensemble en sortie de concert : la course-poursuite d’un daim en fuite, la nuit, sur la route, une composition de Lada. La musique dès le début nous réveille et nous éveille … tambours battants, embarquement immédiat !

Les morceaux s’enchaînent, passant par une escale en Inde – « Delhi’s Dream » (dernier album). L’Inde est l’un des 26 pays où Lada et David ont joué depuis bientôt dix ans (duo créé en 2016). Des sons très indiens (cithare, tablas…) captés sur place et retransmis par « les machines » de David, sont distillés avec les notes de son piano et accompagnés d’une formidable performance de Lada à la batterie.

De ce voyage en Inde, j’en ai retenu un festival des sens, le côté sombre des couleurs vives et l’éblouissante lumière du noir. J’ajouterais « des cris » de joie et de douleur ensemble mariés, mais qui toujours nous invitent à revenir à la fraîcheur de l’instant.

De compositions en compositions dans un paysage sonore accidenté et parfois surprenant, on peut se sentir la tête en bas, renversés !

Chemin faisant, nous entrons en hiver, flash back durant la période si particulière du confinement qui là nous offre une fenêtre tant intérieure quextérieure ; comme si l’enfermement et la retenue pouvaient finalement faire sauter le verrou (vers où ?).

Profondeur, évasion, violence, douceur, partage … le sel de la vie constitue cette musique qui vous transporte en terre inconnue.

On se quitte sur « It’s not about now ! (« a piece of Yesterday ») ; une envolée pianistique parfaitement soutenue par une envolée de batterie, en symbiose totale….. comme le triomphe magistral d’une armée d’hommes debouts (humains), une colombe narquoise posée au coin du béret !

Brillant final !

Ce concert fut pour moi reçu comme une musique militante et engagée pour La Vie !

Rentrée chez moi, de battre mon cœur a continué … en ré-écoutant leur dernier vinyle.

Pierre de Bethmann « Agapé »

Texte Philippe Marzat

Pierre de Bethmann : piano, clavier / David el Malek : sax ténor / Simon Tailleu : contrebasse / Antoine Paganotti : batterie

Après un épisode étouffant de confinement, l’envie de sortir s’est faite évidente et Pierre de Bethmann en a éprouvé le besoin. Dans un premier temps, celui où l’on se recherche pour retrouver l’autre, s’est concrétisé avec Antoine Paganotti. Ce duo s’est produit quelque temps et puis, comme une démangeaison irrépressible, est advenu un besoin de partager. Une avidité de communion, de mettre en commun, ce que l’on a à s’offrir mutuellement. Un amour de la même chose, ou bien, si l’on pratique couramment le grec ancien; « Agapé ». Tiens ? se dit Pierre de Bethmann, voilà le titre de mon nouveau projet. Alors, invitons pour cela David El Malek au Saxophone ténor, Simon Tailleu à la contrebasse et Antoine Paganotti à la batterie.Bon, en ce qui me concerne, je ne connais pas très bien le grec ancien mais par contre, pour moi, les agapes étaient synonymes de repas pris ensemble, à festoyer allègrement et je dois dire que là, je me suis régalé. Alors là, avec Pierre de Bethmann, aux compositions, au piano et au clavier et je dirai même à la voix tant il a été prolixe à souhait, nous avons eu droit à un excellent concert. Tout au long des morceaux joués, et on l’a bien ressenti, un plaisir irrépressible entre ces comparses musiciens. Les pièces musicales se sont succédées dans une suite évidente d’affection du public, d’amour de la musique, de tendresse partagée et de dévouement pour la musique. Tiens ? Encore ! Encore les définitions de l’agapé. Comme quoi, il n’y a pas de hasard.Ce soir, au théâtre Cœmédia de Marmande, dans le cadre du Festival Jazz & Garonne 2025, l’auditoire est attentif, ravi, aux anges. Les compositions de Pierre de Bethmann étaient belles aux oreilles, douces à l’âme. Nous avons eu droit aux titres suivants: « Vouloir, tout est là, Agapé, Rien, PFH, Choral, Greens ».En fin de compte, sans s’en rendre compte, l’heure et demie s’en est allée. La soirée s’est déroulée dans un plaisir partagé. Celui évident des musiciens de pouvoir jouer et celui de recevoir cette musique composée, pour nous finalement.Nous ne pouvions pas partir comme cela. Pas question de quitter la table mélodique. Il nous en fallait plus, du « rab » s’il vous plaît! Alors, sous des applaudissements nourris, pour finir ce repas gargantuesque, comme pour continuer sur une note subtile, tel un digestif et sa part offerte aux anges, un rappel divin avec Stellaire.

Dimanche 12 octobre 2025.

Duo Larché / Rousseau : »Continuum »

Eglise de Fourques sur Garonne

Jean-Marc Larché : saxophone / Yves Rousseau : contrebasse

C’est désormais un rituel au Festival Jazz et Garonne de clore les festivités avec un concert dans l’église de Fourques-sur-Garonne, paisible commune au bord du canal du Midi proche de Marmande. Pour cette quinzième édition, Eric Séva, directeur artistique du festival, a cette année invité deux amis de longue date (ils ont débuté ensemble leurs carrières) : Yves Rousseau à la contrebasse et Jean-Marc Larché aux saxophones alto et soprano.

L’ouverture par Jacques Bilirit, maire de la commune, et Eric Séva est l’occasion de rappeler le rôle social du spectacle vivant, et la nécessité de son soutien par les institutions publiques dans un contexte de restrictions. Et de souligner que le spectacle vivant a un besoin vital du public par sa présence dans les concerts et festivals. En ce sens les remerciements ne sont pas superflus : aux partenaires institutionnels et privés, à l’association Les Z’arts de Garonne avec une mention particulière pour tous les bénévoles sans qui un festival ne pourrait voir le jour.

Chaque lieu de concert façonne la réception des œuvres avec son acoustique particulière, et les églises par leur architecture et leur charge signifiante apportent une dimension historique. Lieux propices à la musique baroque ou aux formations de musique de chambre, ils conviennent particulièrement à Yves Rousseau et Jean-Marc Larché qui n’en sont pas à leur première, ayant joué notamment dans des églises de Franche-Comté il y a deux ans, et dans la cathédrale de Coutances à Jazz sous les pommiers en 2019. Leur musique, intimiste et délicate, chargée d’émotion contenue autant dans les silences que dans les notes exprime un sentiment de quiétude auquel n’est pas étrangère leur évidente complicité. Trente années à se côtoyer dont dix avec ce Duo Continuum, ils nous ont offert ce soir là un bel éventail de compositions issues de leur album bien nommé A petits pas sorti en 2022 sur le label MCO.

Le premier titre, ‟Ambreˮ, nous emmène en douceur dans une promenade contemplative, au pas mesuré d’un tempo rassurant, tandis que le soprano tisse une ligne mélodique aérienne. Il y a des accents de musique baroque dans le morceau suivant ‟L’envolˮ, où la contrebasse porte le velouté du soprano dansant en élégance, la mélodie voyageant de l’un à l’autre. Sur ‟Hundertwasserˮ, un hommage au peintre allemand qui a célébré la communion de l’art et de la nature, Jean-Marc Larché troque le soprano pour l’alto, un jeu en puissance assurée, funambule sur le fil des cordes basses, jouant avec le souffle, enchaînant sur ‟Les Ouchesˮ, campagne lumineuse au printemps, peuplée de trilles envolés, exubérances, éclosions de cordes pincées. Le charme est là, dans cette église de Fourques avec un public réceptif mais hélas peu nombreux.

Suit un hommage à J.S. Bach avec un ‟Ariaˮ fabuleux où Yves Rousseau alterne jeu à l’archet ou cordes pincées, bourdon ténébreux de cette cinquième corde ou aigus légers, en dialogue avec les chorus limpides du soprano. ‟A petits pasˮ, titre éponyme de leur album, est une douce déambulation, et toujours cette sérénité qui fait du bien. Suit ce ‟Miròˮ inventif, double hommage au peintre des couleurs et au bassiste Miroslav Vitous, ‟Don Juan aux enfersˮ, ‟Uyuniˮ, et le magique ‟La vie du milieuˮ, promenade réparatrice accompagnés par la puissance du soprano dans les hauteurs et la douceur en médiums, les cordes à peine effleurées ou prolongées en accords de contrebasse. Nostalgique ‟Solitudeˮ pour finir, en souffle ténu jusqu’au silence.

Il y eut évidemment un rappel avec ces ‟Stances Galantesˮ, sublime mélodie, bienheureuse nostalgie en hommage au dramaturge parisien du dix-septième siècle, et un clin d’œil au siècle de la musique baroque. Enthousiasmant concert ce soir avec un duo qui a démontré s’il en était besoin, la fécondité des rencontres entre classique et jazz, la justesse d’une instrumentation qui va à l’essentiel, le pouvoir de la musique à transformer nos visions du monde : « Nous avons choisi une musique sereine où nous prenons le temps des choses ». A petits pas.

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