Eric Séva quartet au Rocher « Et Dieu créa les femmes »
Par Martine Omiecinski, photos Philippe Marzat (cliquer sur les photos pour les agrandir)
Rocher de Palmer, jeudi 31 octobre 2024
5 étoiles
Eric Séva : Saxophones soprano et ténor, arrangements / Alfio Origlio : Piano, arrangements / Nolwenn Leizour : Contrebasse / Elvire Jouve : Batterie
Pour clore cette belle journée d’automne ensoleillée, quoi de mieux qu’un concert de jazz ?
Patrick Duval, le directeur du Rocher de Palmer, vient d’offrir une résidence de 3 jours au nouveau quartet d’Eric Séva pour son dernier projet : « Et Dieu créa les femmes ». La sortie de résidence fait l’objet d’un concert offert au public qui ne s’est pas fait prier pour cette occasion !
« Et Dieu créa les femmes » émane en fait de 2 cerveaux :
- Celui toujours en mouvement vers des projets éclectiques d’Eric Séva donc – Un de nos saxophonistes français aussi à l’aise au baryton (comme nous l’a prouvé son duo insolite et magnifique avec Daniel Zimmermann cet été au jeune festival de Hure près de La Réole) qu’au ténor et au soprano (il a été l’élève de Dave Liebman à New-York). Au-delà de ses nombreuses collaborations en jazz et pop, plusieurs albums personnels ont été encensés par les médias dont « Mother of Pearl » en 2020 avec un certain Alfio Origlio !
- Et celui d’Alfio Origlio, un pianiste ayant participé à un nombre impressionnant de formations de jazz, classique, électro, pop, et ayant sorti ses propres albums, bref, un incontournable !
Le thème du projet s’intitulant « Et Dieu créa les femmes », Eric et Alfio vont nous « balader » et « ballader » au cœur d’œuvres composées (et/ou écrites) par des femmes au cours des 20 ème et 21 ème siècles allant de Nadia Boulanger à Amy Winehouse.
Outre nos deux cinquantenaires, une autre belle place est faite aux femmes : le quartet est complété par deux trentenaires à la rythmique : la brillante contrebassiste bordelaise Nolwenn Leizour, une habituée de nos chroniques, et la batteuse clermontoise Elvire Jouve, une découverte pour beaucoup d’entre nous ce soir, donc parité et mélange transgénérationnel : Quelle bonne idée !
La scène est éclairée de manière intimiste et le concert démarre en douceur puis sur « Back to Black » d’Amy Winehouse nous savourons le lyrisme et le velouté puis la pétillance d’Eric Séva au ténor, le solo ravageur d’Alfio Origlio au piano et le groove, la fulgurance de la rythmique.
Sur « La vie en Rose » écrit et composé par Edith Piaf, Nolwenn Leizour d’abord socle « métronomique » se fait voluptueuse sur un solo pointu où elle met toute son âme, Eric reprend la mélodie qu’il emmène loin au soprano, un beau dialogue anime piano et saxo…Le public apprécie !
« Painful Joy » de Gretchen Parlato confirme la rythmique de feu (quel accord entre ces deux artistes s’étant découvertes récemment !), un échange complice entre Alfio et Nolwenn (eux non plus ne se connaissaient pas avant cette résidence !) précède l’épanouissement du ténor.
Suit un morceau du répertoire de Mireille (celle du petit conservatoire) : « Puisque vous partez en voyage » reprise et chantée en duo par Françoise Hardy et Jacques Dutronc. Le quartet nous livre une version à l’entame déstructurée, aux variations de tempo, aux échos d’un « The Beauty and the Beast » de Wayne Shorter (repris par Claude Nougaro : « Comme une Piaf au masculin »), aux impros passionnées du trio de base sur lequel Eric volute allègrement. Le public adore.
Puis Alfio nous plonge tendrement dans un morceau plus classique de Nadia Boulanger que soprano et piano délient délicieusement. Elvire entre en jeu avec de précieux roulements aux petites mailloches suivis de caresses de balais d’une grande délicatesse. Le saxo revient en volutes gracieuses épaulé par Alfio, le tout très poétique !
Repartons en 2018 pour une œuvre de Zazie : « Nos âmes sont », la superbe mélodie est magnifiée par le romantique du piano et le saxo enjoué puis tout s’accélère vers des échanges virevoltants et réjouissants.
« L’aigle Noir » conclut le set : un « Aigle Noir » très arrangé par Eric, entamé au ténor, poursuivi au soprano avec la même maestria, puis groové et embarqué loin par les jeux et interactions de tous : percussions d’Elvire, joute Nolwenn/Alfio, accords triturés par Eric qui, tel un chat, retombe toujours sur ses pattes pour reprendre le thème, tous redémarrent de plus belle vers un final endiablé très salué par le public.
Le rappel nous ramènera vers Piaf et l’« Hymme à l’amour » écrit par Edith et composé par Marguerite Monnot pour conclure encore dans l’ émotion cette soirée magnifique !
Galerie photos de Philippe Marzat
Bonus : la résidence
par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat
Ce concert était l’aboutissement de la résidence au Rocher commencée le lundi matin précédent. Si Eric Séva connaissait les trois musiciens ce n’était pas le cas pour les autres. Ainsi Nolwenn a découvert seulement ce jour-là Alfio et Elvire. Quand on voit le résultat final quatre jours après, on mesure le travail qui, associé au talent de chacun, a pu être produit. Et oui, un concert n’est que la face émergée de l’iceberg que constitue un projet tel que celui-ci. Une fois, comme ici, les titres choisis et arrangés – déjà un gros travail – il faut ensuite les faire vivre à quatre. Il faut s’entendre, s’écouter, se comprendre, s’accorder ; il faut régler les détails, caler la structure des titres, le tempo, modifier une note par ci par là, se mettre d’accord sur la place des chorus de chacun, un travail d’une grande méticulosité qui ne laisse aucune place au hasard pour pouvoir justement permettre les improvisations !
Nous qui avons la chance dans le cadre de notre « travail » d’assister à de tels moments, nous faisons souvent la réflexion que ces séances devraient être accessibles au public – c’est bien sûr difficile – pour qu’il se rende compte qu’un concert ce n’est pas seulement une heure trente ; ce sont aussi ces heures de préparation ensemble, ces heures de travail personnel sur les partitions et ne l’oublions jamais, ces heures d’apprentissage et de pratique depuis l’enfance pour la plupart. Musicien c’est un métier, un métier pas facile mais un si beau métier.
Une mention aussi à deux personnes qui ont aussi travaillé pour cette résidence, Yann l’ingénieur du son, c’était parfait et la technicienne du Rocher à la lumière ce soir-là, c’était sublime !