Django Célébration #2

Tchavolo Schmitt, Fanou Torracinta & William Brunard


Par Pops White


Tchavolo Schmitt (guitare), Fanou Torracinta (guitare), William Brunard (contrebasse, direction artistique)

Il y a quelques mois, on s’enthousiasmait ici même pour le premier opus de cette collection Django Célébration initiée par William Brunard, en partenariat avec le Sunset-Sunside et Label Ouest. On saluait un disque magnifique, conduit par Stochelo Rosenberg et Rocky Gresset, et on écrivait alors que cette série promettait d’être une aventure discographique majeure. Eh bien, promesse tenue, et même dépassée. Django Celebration 1

Voici le deuxième volet, et c’est une autre histoire, une autre couleur. Là où Stochelo et Rocky incarnaient l’élégance solaire, le raffinement absolu, Tchavolo Schmitt et Fanou Torracinta nous emmènent sur des terres plus telluriques, plus brutes, plus habitées.

Tchavolo, c’est lui aussi un monument. Une légende vivante, certes, mais surtout un homme qui n’a jamais cessé de jouer comme si sa vie en dépendait. Attaque rageuse, vibrato à la machette, swing incendiaire : son jeu garde cette folie douce, ce parfum de liberté que peu osent encore respirer. À ses côtés, Fanou Torracinta ne vacille pas. Treize ans après leur première rencontre sur scène, il revient en homme accompli, avec un son ample, boisé, qui ne cherche pas la copie mais la conversation. Chez lui, l’énergie corse se marie à une grande délicatesse de phrasé , et c’est là que la magie opère.

William Brunard, toujours lui, tisse la toile. Fidèle contrebassiste, mais surtout directeur artistique de cette collection, il agit ici en sage alchimiste. Sa ligne grave n’est jamais pesante : elle enlace et relie. Il est le liant et la respiration de ce trio qui, à trois, fait danser l’esprit manouche.

L’album s’ouvre comme un dialogue à la fois respectueux et frondeur. On sent d’entrée le plaisir de jouer, de se provoquer gentiment, d’aller chercher l’autre sur son terrain. Car tout est là : cette rencontre intergénérationnelle que Brunard revendique n’a rien d’une simple transmission. C’est une friction heureuse entre l’expérience et la jeunesse, entre le souvenir et la promesse.

Et puis, il y a cette attention constante au son. Django, on l’oublie souvent, fut un pionnier de la recherche sonore : attaques, timbres, résonances, silences. Ici, on retrouve cet esprit. Dans les introductions à la guitare seule, dans les cadences improvisées, dans les arpèges qui laissent deviner le grain du bois, la respiration du manche. C’est un disque d’acousticiens fous, ceux qui savent que le moindre frottement, la plus petite corde étouffée, peuvent raconter une histoire.

Dès le démarrage, Confessin’ nous installe dans l’harmonie tranquille du swing manouche que l’on aime, sans grands effets de manche mais en privilégiant le bonheur de jouer ensemble et d’écouter. Ce vieux standard popularisé par Louis Armstrong trouve ici une belle fluidité: tout respire, tout coule, comme si le temps lui-même battait la mesure en douce.

Sur un rythme plus rapide, soutenu par une pompe d’enfer, Daphne permet aux deux guitaristes d’exprimer leur virtuosité et leur art de sortir de la grille pour mieux y retourner, créant ainsi des équilibres fragiles qui nous ravissent. Django avait composé ce thème en 1938 ; on y retrouve cette joie primesautière, cette insouciance dansante que Tchavolo et Fanou revisitent sans jamais l’imiter, avec cette touche de nerf et de lyrisme qui les distingue.

Stompin’ at Decca renouvelle un morceau bâti sur une grille de trois ou quatre accords ultra-classique, et arrive à cette prouesse de nous les faire entendre à nouveau comme pour la première fois. Ce standard de la période swing, enregistré entre autres par Chick Webb et Benny Goodman, devient ici un terrain de jeu d’une fraîcheur irrésistible : la pompe manouche s’y marie à une énergie communicative qui donne envie d’ouvrir les fenêtres et de fredonner.

Beaucoup plus lent et travaillé dans les harmonies, Danse norvégienne nous offre un swing poignant d’une grande mélancolie, avec comme toujours dans le jazz manouche ce petit clin d’œil qui frise. Adaptée du Norwegian Dance de Grieg, cette pièce est un petit miracle d’équilibre entre lyrisme nordique et feu gitan. Les sons des deux guitares se marient à merveille, reliés par la contrebasse souple et charnue de William Brunard ; la projection de la guitare de Fanou Torracinta est impressionnante.

Une reprise manouche absolument ébouriffante de What a Difference a Day Made, à pleurer de virtuosité et de pertinence. Ce standard popularisé par Dinah Washington devient ici une déclaration d’amour au phrasé jazz manouche : rubato subtil, accent syncopé, humour et tendresse mêlés.

What Is This Thing Called Love nous offre une poursuite entre les deux guitares, toujours soutenues par cette pompe impressionnante et chaleureuse. Ce Cole Porter de 1929, éternel terrain d’improvisation, prend sous leurs doigts un relief nouveau : la tension du swing y est conduite comme un duel d’amis, entre taquinerie et admiration mutuelle.

Incroyable mais vrai, une reprise de Love Me Tender , revisité de la cave au grenier , qui rappelle un peu la déconstruction/reconstruction de Over the Rainbow dans l’album précédent par Stochelo Rosenberg et Rocky Gresset. Ici, la tendresse d’Elvis rencontre l’élégance manouche : chaque note semble déposée à la main, avec une pudeur qui serre la gorge.

Enfin, pour clore l’album, I Can’t Give You Anything But Love : on a bien compris que l’amour traverse à la fois ce disque et l’esprit dans lequel cette musique est interprétée , ensemble, comme autour d’un feu. Sur un swing rapide, c’est un dernier feu d’artifice : riffs en miroir, contrechants espiègles, sourires qu’on devine derrière les guitares. Un au revoir en forme de clin d’œil, qui nous laisse la tête et les oreilles pleines d’étincelles.

Ce volume #2 confirme surtout l’intelligence de la démarche initiée par Brunard. Plutôt que de céder à la nostalgie du mythe Django, la collection Django Célébration en ravive le mouvement même : le goût du risque, la curiosité, la fraternité musicale. Chaque album sera une photo différente du même rêve : celui d’une guitare libre, ouverte, vivante.

Et si l’on s’en tient à la qualité de ce deuxième jalon, on peut s’attendre à un cycle d’une cohérence impeccable, un fil d’or tissé entre les générations, de Tchavolo à Fanou, de Stochelo à ceux qui viendront ensuite, dont en janvier pour le troisième opus, l’immense Angelo Debarre.

Un disque terrien et aérien, âpre et lumineux, qui rappelle que le jazz manouche n’a pas besoin d’artifices pour rester moderne. Il lui suffit d’un trio sincère, d’un public attentif… et de ce souffle d’éternité qu’on appelle Django.

Label Ouest – Collection Django Célébration
https://www.bayardmusique.com/jazz


Sortie : 21 novembre 2025

À suivre :
Django Célébration #3 , Angelo Debarre, Adrien Moignard & William Brunard (sortie le 23 janvier 2026)

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