De New Orleans à Kansas City… en passant par Tarnos
Texte et photos Vincent Lajus
C’est avec un plaisir à chaque fois renouvelé que nous retrouvons ce soir du 31 Janvier 2025 la programmation de la saison Jazz de Tarnos, concoctée amoureusement par l’excellent Arnaud Labastie, pianiste émérite et pédagogue reconnu, directeur artistique du Festival de la ville landaise – Jazz en Mars (12-15 Mars prochain), qui fêtera d’ailleurs cette année ses 20 ans d’existence (le festival ;-)) avec une programmation internationale d’une qualité à mettre en exergue. Mais cela est une autre histoire qu’ Action Jazz vous contera bientôt.Ce soir, devant une salle M.Thorez comble malgré les événements qui auraient pu inciter l’auditeur à choisir de rester au chaud au coin de l’âtre, devant le match du tournoi contre les Gallois ou encore la Nuit des Conservatoires, vont donc se succéder les trios de Julien Brunetaud et celui constitué par Guillaume Nouaux/Louis Mazetier/Michel Pastre.Deux trios et deux formules différentes, celui de J.Brunetaud dans la tradition piano/contrebasse/batterie, et le second composé d’un saxophoniste, d’un pianiste et d’un batteur. Mais ce n’est pas tout. Car tout au long de la soirée, nous allons être invités à voyager en compagnie des musiciens dans une Amérique berceau du Jazz, dans un périple que nous commencerons à la Nouvelle-Orléans pour atteindre en deuxième partie les clubs mythiques de Kansas City, voire pousser un peu plus loin vers Chicago. Un voyage qui n’aurait pu se dérouler sans l’excellence des prestations proposées ce soir.
Julien Brunetaud trio
Commençons donc par le trio de Julien Brunetaud qui ouvrait la soirée. Malgré « une bonne crève » (dixit), le chanteur, compositeur et pianiste virtuose – on ne semble pas le remarquer assez souvent à mon goût, nous a embarqué avec bonheur vers ses destinations favorites, le Blues, Le Swing, le Boogie, et donc le Mississippi, la Louisiane et la Nouvelle-Orleans, berceau historique de notre musique favorite. Parmi les thèmes proposés entre deux compositions originales, on notera la ré-orchestration très réussie du premier A de Satin Doll qui aura fait tendre l’oreille des plus affûtés. Un magnifique In My Solitude (toujours le Duke), d’une profondeur et d’une sensibilité extrêmes, aura laissé la salle dans un silence recueilli pendant de nombreuses secondes, preuve que la magie opérait pleinement. Sam Favreau à la contrebasse apporte au trio sa positivité et sa précision habituelles, faisant croire que c’est facile, alors qu’il en est tout autrement bien sûr, ce qui souligne l’excellence et le goût de son jeu fin et puissant à la fois. Les percussions de Cédric Bec n’ont rien à envier à son collègue de la rythmique. Le batteur imprime avec réussite une assise stabilisatrice permettant au trio de garder le cap tout en laissant la liberté requise à chacun pour jouer avec les pulsations. Que demander de plus ?
Deux rappels viennent récompenser la prestation de ce magnifique trio qui aura su nous dépayser pendant une heure.
Trio Pastre/ Mazetier/ Nouaux
Le temps de nous restaurer quelque peu et de boire un coup à l’excellent buffet proposé par les bénévoles de l’APE, de rigoler avec les vieux copains, et vient l’heure pour Guillaume Nouaux et ses acolytes de monter sur scène. Dès les premières notes, le ton est donné : nous remontons de quelques 850 miles pour nous diriger vers Kansas City, Missouri, et ses incroyables concerts et jam sessions qui duraient toute la nuit, parfois plus, jusqu’à épuisement des troupes ou de la réserve du lieu. Non point que le spectacle proposé ne soit pas préparé, mais les complices du soir se connaissent depuis si longtemps que l’impression de fluidité et de décontraction domine, tout au service des musiques proposées. Dans cette formule avec Michel Pastre au saxophone ténor et Louis Mazetier au piano, la part belle sera faite au grands ensembles ! En effet, les titres joués ce soir feront référence au Duke (tiens, tiens! encore lui) avec un « Rockin’ In Rythm » ébouriffant, au Count bien sûr, à Chick Webb, Benny Goodman, Stan Kenton, etc.. et tous les merveilleux chefs d’orchestre de l’âge d’Or des Big Bands. Les arrangements et les mises en places rythmiques et mélodiques des trois musiciens sont impeccables et rendent une impression de cohésion d’ensemble qui fait très vite oublier qu’ils ne sont que trois sur scène ! L’enchantement est total ! Tous les spectateurs sont conquis et embarqués dans ce voyage, et chaque final de morceau est salué par des salves d’applaudissements enthousiastes. Hé bé ! quel concert !
Michel Pastre, énorme saxophoniste, nous distille thèmes et chorus avec un son phénoménal, puissant et lyrique, les idées s’enchaînent sans faillir, convoquant les fantômes de Lester Young ou Coleman Hawkins. Louis Mazetier au piano digne héritier de Teddy Wilson, fait un boulot incroyable de justesse et de bon goût, surlignant et/ou soulignant tour à tour les moindres nuances, ayant la lourde tâche d’assurer tout le côté rythmo-harmonique au piano seul. Heureusement, il est bien entendu rejoint dans cette fonction par un Guillaume Nouaux des grands soirs, comme toujours. Le régional de l’étape et directeur artistique du SouthTown Jazz Festival (24-31 Mars 2025 à Soustons, qu’on se le dise !) et maintenant écrivain*, va encore une fois nous livrer une prestation majeure. Je trouve que son jeu évolue vers encore plus de musicalité, les notes de tous les éléments de percussion servant de base à des mélodies de plus en plus… belles, tout simplement, un peu dans le style d’un Jack DeJohnette ou d’un Roy Haynes. Le langage est fluide, et pourtant d’une incroyable technicité. « C’est toujours facile de jouer avec Guillaume » nous dira Michel Pastre après le concert. On le comprend aisément tant le musicien soustonnais imprime une stabilité rythmique en béton, sans qu’une once de perte d’énergie ne vienne altérer le swing puissant et goûteux de l’ensemble. Le jeu de batterie à ce niveau d’excellence est musical et savoureux. Mais quels bons moments nous passâmes ! Saborrrrrrrrrr !Deux rappels et la queue devant le stand mis en place pour les dédicaces récompensent ce concert merveilleux, avec pour le dernier morceau un invité de marque en la personne du toujours jeune et truculent Jérôme Etcheberry, trompettiste émérite qui va nous attaquer « à sec » Squatty Roo de J.Hodges. Il en faut du courage et bravo à lui !* »La Naissance de la Batterie » aux éditions Frémeaux & Associés, un « must have » indispensable pour tous les amoureux du Jazz, et pas que..