Chroniques Marciennes 1 : Annie Robert, photos Thierry Dubuc
Marciac 28 juillet 2018
Profondeur et surface
Après un démarrage en tambour et surtout en trompettes la veille au soir..( le dernier petit prodige en vogue du moment Lucienne Renaudin Vary puis Winton Marsalis et Ibrahim Maalouf avec douze trompettistes…excusez du peu !!) nous voici revenus vers des formations plus modestes par le nombre mais pas moins intenses.
Un lever de rideau idéal, vrai lever de lune rousse, rencontre de cultures et de trois géants : Chris Potter, saxophoniste incandescent jusqu’à l’extase, Dave Holland et sa contrebasse agile et douce, et Zakir Hussain, star mondiale du tabla, pionnier de la fusion entre jazz et musique indienne (notamment au sein du légendaire Shakti).
C’est dans un parcours délicat, exaltant, secoué et surtout habité qu’ils nous entraînent, un récit de voyage, un chemin de notes et de musique entre trois compagnons, solidaires, respectueux, se tenant la main, se soutenant de l’ épaule et du regard, partageant le pain, l’eau, l’air du soir et le chant de l’aurore.
Zakir Hussain marque les pas, les hésitations, les cailloux sous les semelles, les bondissements et les courbes de la route. Merveilleuses tablas, au son en creux, à la résonance d’argile, au glissando enivrant. Frappés de doigts rapides comme des ailes d’oiseaux mouches, rythmes variés tih ke tah, sonorités mélodiques et troubles: son jeu est éblouissant d’inventivité généreuse.
Dave Holland est d’une présence qu’on reconnaît entre toutes, à la fois légère, mélodieuse et tonique. Tout semble si facile, si évident avec lui et pourtant cela dépasse largement un simple accompagnement: mélodies déroulées et renouvelées, relances dans des silences, tempos accrochés sont des merveilles de précision et de charges émotives. Il marque la sagesse du voyage, son esprit profond et libérateur.
Quant à Chris Potter, il donne là sa pleine mesure, il est la crosse de fougère que l’on remue sur son passage, les lianes, les larges plaines herbeuses sous le zénith, l’ envol des perdrix dans les champs, ou les buffles dans la rizière : inventif, d’une technique sans faille allant des petits sons filés si clairs et des souffles retenus aux éclats puissants. En six morceaux seulement, ces trois là nous donnent à entendre ce que le jazz improvisé a de plus beau: l’osmose, le partage, l’écoute, le sourire. En un quart de seconde, un quart de battement de cil et de regard, ils anticipent, devinent les intentions et les non dits musicaux. L’Autre devient le support à sa propre création, l’indispensable soutien du Moi, la raison d’être de cette virtuosité si chèrement acquise, de ces années de travail acharné sur l’instrument. L’Ego se dissout dans le projet, le don est total, heureux et roboratif. On en est «espanté» comme on dit par ici! Les cultures, les influences circulent d’un instrument à l’autre, pour créer quelque chose de neuf, d’ in-entendu, d’ in-ouï. Jamais seuls et toujours ensemble, dans des mélodies claires et parfois rompues, d’ influences «orientales» ou pas ( un boléro, des rythmes de biguine, de west coast difficiles à définir mais le faut -il vraiment? ) ils mettront la salle debout, émue, conquise par un vrai discours, un vrai projet, un partage sincère. Un dernier morceau roulant avec un Zakir Hussain de haute voltige clôturera le set avant un rappel tout en douceur pour se séparer sans se quitter.
Quel moment, quelle profondeur, quel don de soi. Et quel voyage. !
C’est avec le grand guitariste américain Pat Methény que se poursuit la deuxième partie de soirée. Attendu par de nombreux fans ( certains venus de loin..) Pat Metheny, c’est tout simplement 20 Grammy Awards, une carrière phénoménale, des succès à ne plus finir, une virtuosité fantastique, une sonorité particulière oscillant entre le gant de velours et le gant de fer. Plus rapide que lui sur le manche tu meurs!
Compositeur prolifique depuis ses débuts en 1974 avec plus de 40 albums et des collaborations prestigieuses avec les plus grands (Joni Mitchell, Charlie Haden ou encore Chick Corea) il revient avec une formation cohérente ( le pianiste britannique Gwilym Simcock, le batteur Antonio Sanchez, complice de longue date et la contrebassiste Linda Oh) dans la continuité des succès mondiaux des deux albums «Unity Band» et «Unity Group». Il nous propose parmi de nouveaux morceaux tantôt d’influence brésilienne, tantôt folk, tantôt strictly jazz mais toujours groovy. quelques anciens titres revisités ( salués dès les premières notes!).
Le guitar héro est fidèle à lui même, rapide, étincelant et improvisateur prolixe. Il commence seul dans la lumière ( il aime!) et en douceur sur un drôle d’instrument: une triple, quadruple ou quintuple guitare, entre lyre et harpe, sitar et flamenca où toute sa virtuosité va prendre son envol.
Autant le dire de suite, histoire de me faire lyncher rapidement par les Méthénydolâtres ( qui ont droit à tout mon respect..) je n’ai jamais pu entrer dans le concert… sans doute parce que nous venions d’assister à un vrai échange, un vrai partage quelques instants auparavant et que je n’avais devant moi que la glorification d’un instrumentiste magnifique et prestigieux en diable certes, mais délibérément seul.
D’ailleurs ses compagnons de scène étaient soit de dos : un pianiste sous employé mais brillant dans ses rares impros soit de biais : pour la batterie qui avait pourtant déployé le gros format et pour la contrebasse perdue au fond. Quelques exigences de star n’ont pas permis non plus d’engager le contact serré : pas de photographes dans la fosse, pas de caméras sur le côté et donc pour les spectateurs les plus éloignés aucune possibilité de voir le travail d’orfèvre de Methény. Alors bien sûr, on ne va pas faire la fine bouche.. Méthény, c’est Métheny… du bon, du brillant, du rapide, du virtuose, de l’éclectisme et des mélodies ciselées et sismiques… mais Méthény c’est aussi ce soir, un peu de cabotinage, pas beaucoup de partage, une absence de contact avec le public et pour moi ( et seulement pour moi sans doute), un discours musical de surface sans beaucoup de prises de risque, du strass et un peu moins de diamants qu’espéré.
Le public présent lui était bien sûr tout acquis et lui a fait l’ovation que sa virtuosité mérite. Franchement je souhaitais être séduite, emportée comme mon voisin de gauche qui se délectait avec bonheur de chaque solo, fredonnait du bout du pied ou des lèvres les mélodies aimées. J’ai du passer sans doute à côté de quelque chose de grand, ou alors je deviens snob ( c’est possible!) mais je m’étais envolée si haut avec la première partie que je suis pardonnable.. ( enfin peut être?)
Profondeur et surface, surface et profondeur… au choix.