Arcachon Jazz Festival 2023 – 1/3
par Christine Moreau, photos Philippe Marzat.
La deuxième édition du festival de jazz d’Arcachon se tenait du 7 au 9 Décembre 2023 au théâtre Olympia. Action Jazz et le Jazz hot club du bassin d’Arcachon sont partenaires de cet événement qui vient réchauffer, à point nommé, la morosité hivernale. Le festival est parrainé par Guillaume Nouaux, l’enfant du pays considéré par ses pairs comme l’un des meilleurs batteurs de sa génération.
Valentine trio à l’espace Arlequin
En ce jeudi 7 décembre, 2 formations étaient programmées. Une première partie était dédiée aux musiciens de la scène régionale, Valentine trio et la deuxième à une artiste à l’aura internationale Champian Fulton. Pour l’occasion, l’espace Arlequin situé en contrebas de l’accueil de l’Olympia s’était transformé en club de jazz pour accueillir Valentine Trio. Le public était au rendez- vous et avait pris d’assaut tables et chaises disponibles pour écouter cette formation de jazz atypique avec Philippe Valentine à la batterie, Hervé Saint-Guirons à l’orgue et Yann Pénichou à la guitare. Les trois musiciens, qui se produisent par ailleurs dans d’autres groupes, ont formé ce trio il y a 4 ans, sans contrebasse. C’est l’orgue qui est chargé de reproduire la ligne de basse avec le pédalier et la main gauche. Philippe Valentine, grand percussionniste à la carrière incroyable s’est notamment illustré dans le mythique Affinity jazz Quartet qui réunit Francis Fontes, Dominique Bonadei et Hervé Fourticq. Il est inventif, créatif, toujours parfaitement à l’aise en soutien rythmique ou en chorus.
Hervé Saint Guirons, surnommé affectueusement « le révérend » par le batteur Roger Biwandu avec lequel il collabore régulièrement, est considéré comme l’un des meilleurs spécialistes de l’orgue. Il faut l’observer jouer avec agilité et concentration pour se rendre compte immédiatement qu’il est en parfaite osmose avec son instrument. Quant à Yann Pénichou, il se produit avec des artistes tels Marie Carrié, Alex Golino, Monique Thomas. Il délivre un son clair et puissant, sans fioritures inutiles. Ces trois talents réunis proposent une musique mélodieuse au tempo enlevé, inspirée du trio d’orgue le plus ancien du jazz moderne qui réunit Larry Goldings, Peter Bernstein et Bill Stewart.
En plus des diverses gourmandises proposées par le festival, nous avons dégusté quelques morceaux superbes avec en guise d’apéritif « Dragonfly » du compositeur et guitariste Peter Bernstein puis un standard d’Irving Berlin « Puttin’on the ritz » qui a mis le feu aux poudres rythmiquement avec des musiciens qui se sont lâchés dans des « questions réponses » très rapides et brillants. Nous avons pu savourer une composition personnelle et « latinisante » de Yann Pénichou, « Corsica landscape », inspirée d’un voyage insulaire.
Changement d’ambiance avec une belle balade de Philippe Valentine. Les musiciens se connaissent bien, les chorus s’enchainent, la rythmique est aussi à l’aise en leader qu’en accompagnement. L’orgue et la guitare acoustique mêlent leurs couleurs pour obtenir un son admirable et unique.
Dans le second set, d’autres compositions du trio américain ont été à l’honneur avec notamment l’interprétation d’un superbe « Carrot cake ». Ce n’était pas encore l’heure du dessert mais le trio nous a encore régalé de son talent. Les musiciens ont joué « Reflections in D » de Duke Ellington, au rythme plus lent, voire langoureux, valorisant la musicalité de chacun.
A suivi un autre morceau de Yann Pénichou, comme une samba, où il a pu faire résonner le timbre chaud de sa guitare et son phrasé souple et mélodieux soutenu par les baguettes énergiques de Philippe Valentine.
Le concert s’est conclu avec l’interprétation d’une dernière composition de Peter Bernstein, « Jive coffee » bien nommée pour l’occasion puisque nous arrivions au terme de notre repas.
Devant un public conquis, ce premier concert qui a fait la part belle à la musique de club, a inauguré de la meilleure des manières le festival.
Champian Fulton invite André Villéger : Un cocktail d’élégance, de charme et de swing
Changement de décor pour la seconde partie de soirée. Le public a été invité à rejoindre la salle de spectacle du théâtre Olympia où se produisait Champian Fulton.
Musicienne incontournable de la scène new yorkaise, chanteuse et pianiste, elle s’inscrit dans la lignée de grandes voix féminines telles Sarah Vaughan ou Dinah Washington. Sa musique met à l’honneur les racines afro-américaines du jazz et son jeu au piano est influencé par Errol Garner, Bud Powell ou Sonny Clark. Considérée comme l’une des étoiles montantes de la scène jazz, elle a été nommée pianiste et voix féminine de l’année 2019 lors de la cérémonie des NYC Readers Jazz Awards.
Bercée par la musique depuis son plus jeune âge puisque son père est trompettiste de jazz, elle s’est essayée à la batterie, la basse et la trompette avant de jeter son dévolu sur le piano. Elle envisage le jazz comme un langage qui favorise la liberté d’expression et la recherche du bonheur.
Dès son arrivée sur scène, Champian Fulton a éclaboussé l’Olympia de son sourire et de son élégance naturelle. Toute de bleue vêtue, elle a pris possession du clavier avec autorité et vélocité, sa voix au timbre clair se mêlant admirablement aux arpèges.
Elle est accompagnée d’Alex Gilson à la contrebasse et d’Armando Luongo à la batterie, 2 musiciens brillants, élégants, au swing plein de vitalité. Le saxophoniste André Villéger a été invité à partager la scène avec eux. Ce dernier a une longue et belle carrière derrière lui. Il a su s’adapter au jeu d’autres musiciens exigeants tels Milt Buckner, Harry « sweets » Edison, Claude Bolling. Après avoir longtemps joué de l’alto en s’inspirant du style de Sidney Bechet, il s’est par la suite tourné vers les sonorités plus graves du ténor et du baryton.
Champion Fulton est-elle plus talentueuse au chant qu’au piano se demande le spectateur subjugué ? En fait, on ne peut dissocier les deux. Elle nourrit de sa pétulance et de sa virtuosité chaque interprétation et entretient un lien presque physique avec son instrument. Elle parvient à le faire vibrer avec une main gauche qui est tout sauf indolente. Son jeu regorge de swing. Elle joue en permanence sur les tonalités avec une aisance déconcertante, caressant, survolant les touches avec souplesse et une apparente désinvolture alors que les morceaux sont sophistiqués. Elle maitrise à la perfection les techniques du piano jazz, le toucher est percussif, virtuose, les longs chorus toujours inspirés, rythmés et harmonieux.
Quant à sa voix légèrement acidulée, claire et affirmée, elle a une belle tessiture qui sied parfaitement à son répertoire et lui permet de « scatter » avec décontraction.
Tout au long du concert, l’improvisation a primé, sollicitant en permanence le talent des instrumentistes. André Villéger a su brillamment trouver sa place et colorer avec beaucoup de fraicheur et d’impétuosité chaque morceau du timbre mat, feutré et inimitable de son ténor rutilant.
En professionnelle accomplie, Champian Fulton a su mettre en valeur ses musiciens. Sur le standard pop et jazz de Gus Arnheim et Abe Lyman, « I cried for you », Alex Gilson a exécuté un époustouflant chorus rapide et très rythmé.
De même, sur la belle balade « PS, I love you », chacun a pu poser ses notes dans un tempo parfait, par touches légères autour de la voix lumineuse de la chanteuse, les solos s’enchainant naturellement, rythmés par les balais délicats d’Armando Luongo.
Le quartet nous a gratifié d’une belle reprise de « All of me », coécrite par Seymour Simons et Gérald Marks et interprétée en son temps par Billie Holiday. Le chorus de la contrebasse en introduction aura marqué les esprits par son raffinement rythmique. Quand cet instrument casse les codes et devient leader avec un pizzicato inspiré, on assiste à des moments magiques.
Champian Fulton a publié un album consacré aux chansons de Noël et en ce début décembre, le moment était choisi pour interpréter une « Christmas song » au son jazzy délicieusement désuet avant d’enchainer sur un morceau beaucoup plus enlevé, prétexte à de multiples chorus valorisés par son talent pianistique et enrichis de la créativité de chaque musicien.
Il aura fallu deux rappels pour que le public, venu en nombre, accepte de quitter la salle !
Ce concert a consacré l’essence même du jazz en laissant une large place à l’improvisation, à la liberté d’inventer des plages musicales singulières. André Villéger nous a même confié à la fin du concert qu’une partie de la set list s’était confectionnée au fil de la soirée. Cette information nous a laissé songeurs et admiratifs tant l’interprétation était fluide d’un bout à l’autre.
Il est d’ailleurs à noter qu’en improvisatrice hors pair, Champian Fulton a publié l’album « Meet me at Birdland » en 2022. Pour ce faire, elle a passé 4 soirées sur la scène du légendaire club de jazz new yorkais, sans répéter un seul morceau et tout en enregistrant ce qui allait devenir son futur album Live et son seizième en tant que leader.
Cette première soirée a brillamment lancé la seconde édition du festival du jazz d’Arcachon !
Galerie photos de Philippe Marzat :