Aérophone

par Philippe Alen

Blueperry (Gardes-le-Pontaroux, 16), 31 mai 2024.

Yoann Loustalot (tp, fghn), Blaise Chevallier (b), Fred Pasqua (dm).

Perdue dans les collines et quasiment isolée entre prés et falaises calcaires, une grange aménagée avec tout l’amour que cela suppose fait office de club de jazz. Ce n’est qu’à vingt kilomètres d’Angoulême, mais ce pourrait être l’Aveyron ou la Creuse, ou n’importe quel autre endroit où le moindre toit prend allure de refuge. C’est donc bien le lieu approprié pour que le jazz s’y pose, une musique qui, quand elle est vivante garde toujours sur elle un parfum de clandestinité. On y vient des quatre coins du département puisque des routes y mènent. On y est accueilli, plat, dessert, chantilly généreuse.

Ce soir, c’est Aérophone, un trio qui réunit autour de Yoann Loustalot (tp, fghn), Blaise Chevallier (b) et Fred Pasqua (dm). Une soirée de rodage puisqu’ils vont rejouer le lendemain et enregistrer in situ dans la foulée leur nouveau répertoire. Le choix de ce lieu, loin des studios, avec son mur troglodytique et ses bancs de bois dit beaucoup du désir de conserver à la musique son aspect le plus direct, sa chaleur corporelle. Comme celui de débuter le concert par une très longue suite qui plonge d’emblée dans un courant au débit plutôt sage mais qui peu à peu déporte, revient sur lui-même, se creuse d’entonnoirs en constant déplacement, surprenants mais jamais dangereux. Se succéderont des pièces aux guingois calculés, aux contigüités intrigantes, qui n’ouvrent pas toujours sur l’espace attendu et que pourtant, venu en simple visiteur on investit en familier des lieux.

Dans cette acoustique un peu sèche, chaque instrument sonne comme une qualité de l’air, justifiant le nom d’Aérophone que le trio s’est donné et le désir d’en capter ici-même la vérité. Les compositions-gigognes tout en emboîtements-déboîtements qu’il défend, cultivent l’égarement avec d’autant plus d’efficacité que la sonorité un peu cotonneuse de Loustalot – mais de coton brut — s’appuie sur une contrebasse puissante, féline en ce qu’elle allie souplesse et fermeté, rondeur confiante et soudaineté de l’attaque. La main droite de Chevallier est un spectacle en soi. Massée derrière l’index, elle se déploie comme une palme, caresse, pique, pince, griffe. Avec un tel barreur, Pasqua peut faire sonner son instrument dans ses moindre parties, aux baguettes ou à main nue, jouant lestement avec le timbre de sa caisse-claire, étouffant ses cymbales entre le pouce et l’index comme d’une pince de chirurgien, ou de la paume s’il le faut, dans un constant exercice d’équilibriste, fléau d’une balance de précision,. C’est sur cette nef aux membrures chantantes qui tire des bords à tout-va que la trompette de Loustalot embarque en vigie songeuse pour une circumnavigation guidée tant sur les étoiles que par les caprices des vents.

C’était là, paraît-il un tour ce chauffe nécessitant encore quelques réglages de détail ; mais l’essentiel y était, et, pour nous qui y étions, d’y être.